Je parle d’un lieu, d’un site qui n’est pas défini,
d’un village anonyme Libanais, de ses maisons, ses
souvenirs, ses mœurs, ses us et coutumes, ses vestiges,
à une époque qui n’existe plus… Des
coins que nous avons fréquentés nous
tous et aimés durant notre enfance et que
l’évolution contemporaine a effacé
pour toujours. En ces lieux on vivait et on pratiquait
nos traditions : naissances, baptêmes, fêtes,
danses, décès, folklores, jeux et
relations, visites, amours et amitiés, les
quatre saisons, les récoltes et les moissons…
« En 1936, deux archéologues français
Mr et Mme Dunand, terminant une fouille exhaustive
à Byblos, firent une importante découverte
: sous les dernières couches où se
superposent les cendres de vingt civilisations,
ils eurent la surprise de trouver les plus vieilles
habitations de pierre de taille connues à
la surface du globe à un temps où
l’Egypte et la Chaldée ne connaissaient que
la construction en briques de terre cuite. Ici,
au Liban, l’homme osa s’attaquer à la dure
matière de la roche » (Charles Corm)
Ce qui était singulier dans ces antiques
maisons de Byblos, c’est que chacune, en plus de
leurs murs en pierre de taille avaient sept piliers,
dont trois sont encastrés dans le mur de
droite et trois dans le mur de gauche et le septième
était érigé au milieu de la
maison pour soutenir le toit et consolider les piliers
des murs par des poutres en bois que le pilier central
porte horizontalement. Du plan de cette maison est
né l’emblème des sept piliers de la
sagesse.
Dans mon œuvre peinte, j’ai fait beaucoup de recherches
et de travaux autour du thème de «
La maison et le village au Liban ».
La maison et ses occupants sont en relation très
intimes : l’hospitalité, le respect des valeurs,
les amitiés, la confiance, la patience, les
aides, la générosité, la moralité
… Tout cela est reflété par la simplicité
de l’environnement de l’habitation – la maison.
La conception d’une maison est simple, mais fonctionnelle
: une cave, la terrasse, « la chambre haute
» … La maison était habitée
le soir seulement ; le matin et toute la journée
les habitants étaient aux champs pour le
travail.
La terrasse de la « grande chambre »
était soutenue par une colonne en pierre
ou par un grand tronc d’arbre, la terrasse était
en terre glaise étendue sur des planches
et branches, et bien compressée par un lourd
rouleau, de telle sorte qu’elle devenait imperméable
lors des averses. Quelquefois la maison possédait
deux ou trois chambres, une grande salle (salon)
de réception.
L’intérieur de la « chambre »
possédait, intégré dans l’une
des murs intérieurs. Le fameux « Youk
» (un mot turc). C’est une grande armoire
ou étagère pour ranger les matelas
et couvertures qu’on étendait seulement le
soir par terre pour dormir. Dans l’entrée
ou sur la terrasse, à l’ombre se trouvait
un meuble « porte jarres » où
se trouvaient les jarres, les cruches et des verres
pour l’eau potable. Quant à la salle à
manger c’était une planche en bois, rectangulaire,
haute d’une quinzaine de centimètres qu’on
plaçait au centre de la chambre. On s’y installait
tout autour, assis, à genoux ou accroupis.
Chacun tendant les mains pour se servir et se nourrir.
On n’allumait pas de feu à l’intérieur
de la maison, pour éviter les fumées,
mais dans un coin protégé du vent,
du soleil et de la pluie… Le pain était fabriqué
et cuit dans la cave ou dans un endroit adéquat.
Dans la maison Libanaise, les travaux étaient
repartis suivant les saisons. C’est en Août,
Septembre et Octobre qu’il y avait le plus de travail
à réaliser : les moissons, le nettoyage,
le bois pour se réchauffer et cuisiner …
Et surtout la « mouné » (les
provisions pour l’hiver, pour les gens et pour les
bêtes) : le blé et le bourghoul, les
céréales, les confitures, les jus
de tomates et autres, les fruits déséchés,
le « Kicheck » (du lait caillé
desséché dans du blé concassé
ou bourghol), les produits à base de beurre,
les fromages, la labneh, l’huile, les distillations...
Et que de choses…
Ce qui était important c’était la
tranquillité de l’âme, la compréhension,
la vie heureuse et familiale.
Une première maison, au Nord-Est du village
de Eddé, est toujours
habitée, l’intérieur est formé
de plusieurs arcades ce qui la rend très
pittoresque, on voit l’endroit du « Youk »,
le salon est séparé par un «
Diwan » qui sert pour s’assoir ou s’endormir.
La maison est simplement meublée, il y a
juste ce qu’il faut, point de bavardages. L’on remarque
des serviettes accrocher au mur et des tapis au
sol. La maison donne une impression de propreté,
de chaleur accueillante, de repos. Une gaité
qui nous enchante.
Une seconde maison au Sud de Eddé n’est plus
qu’une ruine inhabitable : sur la terrasse se trouve
toujours une vigne pleine de grappes succulentes,
l’intérieur est formé aussi d’arcades,
à peine on trouve une fenêtre brisée,
des portes dont le bois est décomposé.
On sent que des êtres comme nous ont vécu
et se sont aimé en ces lieux. Il y a encore
l’ombre d’une présence, un âtre où
il n’y a que des cendres et quelques morceaux de
bois, une cruche brisée, un réservoir
d’eau où des gouttelettes tombent du plafond,
des souvenirs … Oui, la nostalgie est puissante.
Même le jardin est abandonné, les mauvaises
herbes y poussent partout…
Un jour, je me promenais du côté de
Annaya, de là à Ehmej pour me trouver
un peu plus bas à Kfaar Baal, un village
avec une grande ouverture sur d’horizon. Une vallée
s’étend au-dessous de ce lieu où se
trouvent deux autres maisons.
La première est habitée, meublée,
tapissée, propre, très agréable.
Il s’agit d’une grande salle, une grande pièce
divisée en plusieurs espaces : un coin pour
le soir, un autre coin avec des fauteuils pour la
réception, en face des chaises autour d’une
grande table qui sert de salle à manger,
le tout séparé par une armoire en
bois, derrière laquelle se trouve la cuisine.
A l’intérieur se trouvent trois à
quatre colonnes, de gros troncs d’arbres, peints
à la chaux blanche qui soutiennent la terrasse
formée par des troncs d’arbres aussi, des
branches et de la terre glaise compressée
par un rouleau en pierre. Une maison centenaire
si j’ose dire qui est encore fonctionnelle et nostalgique.
Des maisons pareilles, on en trouve très
peu désormais… La vie circule pourtant, l’ambiance
est émotionnelle, quelle chance ont les habitants
de ce logis !
La seconde est en bon état mais presque abandonnée.
Elle est habitée par un vieux paysan qui
résiste encore à la modernité.
Sa grande pièce est utilisée comme
dépôt, un lieu pour les débarras.
Restaurée, repeinte et nettoyée, elle
sera aussi agréable que la première.
Dans les deux maisons, la place du Youk est présente
et le divan aussi. Nos aïeux n’étaient
pas exigeants. Ces quatre maisons sont des spécimens
très rares et dire qu’avant le béton
armé, le fer et les nouvelles techniques,
on menait une vie agréable et débordante
de bonheur.
Les relations entre la demeure et les gens, les
habitants sont absents – peut-on lui redonner vie
? Oui, sûrement et on peut en faire un joyau…
Je me souviens depuis une cinquantaine d’années,
on m’a offert du thé à la terrasse
de cette maison qui était pleine de vie,
de propreté, d’animation…
Joseph Matar
- Maison
ancienne à Kfar Baal
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