Berceau de l'alphabet, de l'art de naviguer, du
commerce, de l'industrie, de la diplomatie, lieu de
rendez-vous des dieux, des déesses, des croyances
et des religions, elle força même le
respect de ses conquérants.
Pourquoi,
dit-on, que Byblos est la plus vieille ville du monde?
Parce que ses origines se perdent dans la nuit des
temps, bien avant, semble-t-il, les 7000 ans que lui
reconnaissent tous les historiens et les archéologues,
depuis la plus lointaine antiquité jusqu'à
nos jours.
Il
y a plus de 2000 ans, certains écrivains grecs
et romains se demandaient si ses origines ne remontaient
pas à la création du ciel et de la terre.
Sans remonter jusqu'à la Genèse, Maurice
Dunand situe la création de Byblos vers la
fin des temps préhistoriques, l'âge que
l'on appelle « néolithique ». Les
Phéniciens avaient organisé Byblos en
cité urbaine. Ce n'est qu'en 2150 av. J.C.
que commencèrent les conquêtes.
Ce
furent d'abord les Amorites, une population issue
des confins du désert syrien qui occupa Byblos,
cette même peuplade qui mit fin à la
civilisation sumérienne en Mésopotamie.
La venue d'Abraham d'Our à Harran, et de là
au pays de Canaan (aujourd'hui la Palestine) est un
aspect tardif de cette migration.
Aux
Amorites succédèrent les Hyskos, venus
du nord et dont la domination dura un peu plus d'un
siècle. Ils furent chassés par les Pharaons
qui s'allièrent aux rois de Byblos. C'est le
moment (1580 av. J.C.) où apparurent les premiers
documents écrits en écriture alphabétique.
Vers
la fin du XIIIème siècle aucune puissance
ne menaçait plus Byblos. C'est plus tard qu'arrivèrent
les « Peuples de la Mer », venus des iles
et des rives méditerranéennes de l'Europe,
et se firent une place au milieu des populations riveraines
de la mer de Phénicie. L'époque 725-539
av. J.C. fut celle de l'invasion et de la domination
Assyro-Babylonienne d’où émerge
le grand nom de Nabuchodonosor.
Aux
Mèdes succédèrent les Perses
avec le Grand roi Cyrus. Ce fut pour Byblos et les
autres royaumes Phéniciens une époque
de prospérité inouïe. Ouverts sur
l'Afrique du nord et le monde grec par les circuits
commerciaux établis précédemment,
Byblos se trouva en connexion avec tous les pays asiatiques
soumis à Cyrus.
Lorsqu’Alexandre
le Grand se présenta en 332 av. J.C., Byblos
se rallia à lui. Après la période
hellénistique, apparurent les Romains (63 –
330 ap. J.C.). La conquête romaine développa
les possibilités commerciales des Phéniciens.
Byblos s'agrandit et se retrouva remanié de
fond en comble avec un nouveau tracé urbain.
La cité d'Ahiram brilla alors de mille feux.
Sa grandeur fut d'être reconnue par l'antiquité
comme le berceau culturel du Vieux monde et le centre
du culte d'Adonis dans lequel l'homme prit conscience
qu'il pouvait triompher de la mort dans une vie de
l'au-delà qu'il ne cessa jamais d'imaginer.
Aux
romains succédèrent les Byzantins (330
– 637). Ils furent évincés, trois
siècles plus tard, par les Omeyyades et les
Abbassides de 637 à 1098. Ce temps fut celui
de la conquête musulmane qui n'a laissé
pratiquement pas de vestiges sur la terre de Byblos.
Les
Croisés de l'époque franque (1098 –
1289) y érigèrent une Citadelle dont
les ruines subsistent encore de nos jours. Cependant,
ils durent quitter la ville sous la pression des armées
arabes reconstituées. Reprise par Salaheddine
(Saladin), elle fut à nouveau cédée
aux Croisés qui l'évacuèrent
définitivement en 1266. La ville vécut
alors sous l'autorité des Mamelouks de 1289
à 1516.
En
1516, toute la Phénicie et tout le pays s'étendant
de l'Amanus au Sinai fut conquis sans effort par les
Turcs qui s'y maintinrent jusqu’à la
victoire des Alliés en 1918.
Bien
qu'aujourd'hui, Byblos soit devenue, par ordre d'importance,
une ville de moindre envergure que bien d'autres autour
du Bassin méditerranéen, nulle autre
autant n'eut une histoire aussi riche, un passé
aussi prestigieux. Malgré douze invasions et
une occupation étrangère étalée
sur 5 millénaires, elle sut assimiler ce qu'il
y avait de meilleur dans ces douze civilisations dont
elle garde les vestiges comme autant de signatures
dans un livre d'or.
Byblos
sut surtout continuer à vivre à son
rythme propre. Berceau de l'alphabet, de l'art de
naviguer, du commerce, de l'industrie, de la diplomatie,
lieu de rendez-vous des dieux, des déesses,
des croyances et des religions, elle força
même le respect de ses conquérants.
Philon
de Byblos enseignait depuis des millénaires,
que les dieux, à l’ origine, étaient
Eliane et Bêrouth dont les enfants furent Ouranos
(le Ciel) et Gê (la Terre). D'Ouranos naquit
Adonis à l'incomparable beauté, tué
par un sanglier et que pleure jusqu'à nos jours
son amante Astarté, déesse de l'amour.
Depuis
le Vème millénaire avant Jesus-Christ
et jusqu'à l'apparition du christianisme avec
les Byzantins, Byblos continua à jouer son
rôle de ville sainte. Les Pharaons d'Egypte
lui rendaient hommage et faisaient leurs offrandes
sur ses autels. Et lorsque le roi Salomon bâtit
son temple, il sollicita le concours des artisans
de Byblos.
Même
aujourd'hui, au seuil du IIIème millénaire,
Byblos continue à propager sa lumière
en dévoilant ses secrets. Les fouilles commencées
en 1860 par Ernest Renan continuent. A chaque coup
de pioche des découvertes de tout genre sont
livrées, grâce auxquelles les données
complétées, vont enrichir la science
et servent de base d'étude et de réflexion
dans toutes les universités du monde.
Tout être humain doit avoir connu ou connaître
Byblos pour découvrir son véritable
patrimoine et feuilleter son album de famille. Il
faut avoir visité Byblos pour savoir combien
cette ville eut à la fois le sens de l'humain
et du spirituel dont sont imprégnés
ses murs. Il faut visiter Byblos pour ressentir cette
ambiance de mythes sacrés et de légendes
d'amour qui furent, en leur temps, la seule profession
de foi des Byblosiens.
Enfin,
bien avant Jérusalem, Rome ou Paris, Byblos
était désignée comme «
la ville sainte », « la ville éternelle
», « la ville lumière » et
« la Mère de toutes les villes ».
Car cette cité n'est pas simplement une ville,
c'est une âme, un cœur et une mémoire.
La
légende d'Adonis
Plutarque
rapporte qu'avant l'époque historique, le dieu
Osiris régna sur la Haute-Egypte. Tué
par son frère Seth, son corps fut enfermé
dans un coffre et jeté dans le Nil. Entraîné
à la mer, il fut porté par les flots
jusqu'au rivage de Byblos où il se fixa entre
les branches d'un tamaris. L'arbre, en se développant,
incorpora le cadavre. Iris, sa sœur et son épouse,
qui fût informée, vint le rechercher.
Mais
le roi de Byblos émerveillé par la grosseur
de l'arbre, l'avait fait couper pour en faire un pilier
de son palais. Iris, ayant pénétré
dans le palais comme servante, finit par avouer la
vérité, et le roi attendri, la laissa
emporter le pilier.
Quand
au jeune dieu Adonis, le poète Panyasis (Ve
siècle av. –J.C.) rapporte qu'il était
né de l'arbre en qui s'était transformée
sa mère. Il fut recueilli par Venus qui, pour
le cacher, le confia à Proserpine, la déesse
des enfers. Quand plus tard elle vint le réclamer,
Prosérpine ouvrit le coffret, contempla la
beauté de l'enfant et ne voulut plus le rendre.
Il fallut que Jupiter intervint.
Venus,
qui est le nom donné par les romains à
la déesse Astarté des Phéniciens,
tomba amoureuse d'Adonis et essaya en vain de le détourner
de la chasse, son sport favori. Elle n'y réussit
pas et Adonis périt sous les coups d'un sanglier
dans les gorges sauvages du fleuve qui porte son nom,
à 7kms de Byblos. Ce fleuve continue, jusqu'à
nos jours, à charrier vers la mer, au début
de chaque printemps, une eau rouge, teinte par le
sang du dieu de la nature. Pour commémorer
sa mort, des fêtes annuelles étaient
célébrées, les plus belles des
fêtes phéniciennes. Des pèlerinages
avaient lieu jusqu'à Afka où le fleuve
prend sa source.
Accompagnées
de lamentations, de danse, de musique, ces fêtes
se terminaient par des rites joyeux, dans le temple
d'Afka dédié à Astarté,
déesse de l'amour. Ce temple détruit
par l'empereur Constantin, est situé à
40kms en amont de Byblos, dans un site dont les voyageurs
modernes s'accordent à vanter les charmes extraordinaires.
De la terrasse du sanctuaire, on voit le cirque grandiose
des hautes falaises, dans lequel le fleuve, après
avoir jailli d'une grotte, se répand en flots
tumultueux, de cascade en cascade, entre des rives
verdoyantes et touffues, pour se plonger dans les
profondeurs de la gorge où périt le
jeune dieu.
Le
16 février 1922 une pluie diluvienne produisit
un glissement de terrain sur la pente maritime de
Byblos qui révéla une tombe creusée
à même le roc à douze mètres
de profondeur. Cela permit la découverte de
neuf tombes royales dont celle du Roi Ahiram de Byblos.
(1250 – 1000 avant J.C.)
Les rois de Byblos ont été ensevelis
comme les princes égyptiens à Dahschour
et à Lahyn et ont reçu les mêmes
soins mortuaires. Leurs tombes ont livré d'importants
trésors, signe de leur grande richesse. Le
sarcophage d'Ahiram constitue une des plus grandes
découvertes archéologiques du Liban.
L'inscription en lettres phéniciennes sur le
couvercle est d’une importance exceptionnelle.
Elle est gravée de droite à gauche et
représente la forme la plus ancienne de l'alphabet
phénicien découvert à ce jour.
Ce texte gravé par Ittobaal, fils d'Ahiram,
est une malédiction lancée à
l'encontre d'un éventuel profanateur. La traduction
de cette inscription est la suivante:
Sarcophage
qu'a fait Ittobaal, fils d'Ahiram, roi de Gebal (Byblos),
pour Ahiram, son père, comme demeure dans l'éternité,
Et si un roi parmi les rois, gouverneur parmi les
gouverneurs, dresse le camp contre Gebal et découvre
ce sarcophage, le sceptre de son pouvoir sera brisé,
le trône de son roi se renversera et la destruction
fondra sur Gebal...
L'invention
de l'écriture est considérée
comme un des plus grands exploits de l'humanité.
Désormais, l'homme est capable de graver ses
idées sur des tablettes d'argile et sur de
la pierre.
Néanmoins,
l'écriture demeurait l'apanage de quelques
scribes qui consacraient leur existence à l'apprentissage
de caractères compliqués: l'écriture
pictographique ou les hiéroglyphiques; l'écriture
cunéiforme des Mésopotamiens.
On
inventa au Liban dans la seconde moitié du
IIe millénaire un system alphabétique
de vingt-deux lettres, dans lequel chaque lettre servait
à transcrire un son. Désormais, l'écriture
était à la portée de tous les
hommes. Les navigateurs phéniciens, porteurs
de l'alphabet, le transmirent aux Grecs qui, à
leur tour, le passèrent aux Romains.
L'histoire du monde occidental aurait été
autre sans l'invention de l'alphabet par les Phéniciens.
Nina
Jidedjian
Byblos
Tranquille comme un juste
ancienne comme la vérité,
Byblos ô mon amour à la couleur ambrée,
des choses que le vent ranime de mémoire en
mémoire,
tel un feu domestique lorsque le soir descend.
Et sur le port,
debout contre la mer écartelée
le premier des soleils
évite encore une fois l'écueil de l'horizon,
pour renaître demain vieilli comme la terre.
Byblos ô mon amour s'habille de poussière.
Mais quand la nuit éclaire tous les chemins
du temps,
on voit au fond de l'eau,
la dure transparence des mondes qui se cognent.
Byblos ô mon amour a le silence pour haleine.
Ecoute,
C'est le bruit-plein des vaisseaux qui ramènent,
un peu de sable, un océan,
un équateur, un occident.
J'entends brûler midi,
et dans nos yeux soudain plus grands,
l'écriture a jailli.
Byblos ô mon amour,
n'est que le cœur du temps.