La résidence de Dr. Tobie Zakhia
LIBAN Myriam Harry sur les pas des Renan à
Amchit
Frédéric ZAKHIA | OLJ 05/08/2019
En
1922, une écrivaine et journaliste française
du nom de Myriam Harry qui effectue un séjour
au Liban décide de visiter Amchit, «
un petit village discret, ignoré des touristes
», écrit-elle. Son but : se rendre
au tombeau d’Henriette Renan, la sœur du philologue
et archéologue Ernest Renan, décédée
et enterrée dans ce village, alors qu’elle
accompagnait son frère et son épouse
dans le cadre d’une mission de fouilles archéologiques
en Phénicie financée par Napoléon
III et entamée en 1860.
Myriam
Harry a l’habitude de sillonner des localités
du Levant et de rédiger des articles et des
reportages. Ce n’est pas son premier séjour
en Orient. Fille d’un commerçant juif converti
au protestantisme, elle fut élevée
à Jérusalem et connaît l’arabe.
Arrivée à Jbeil, elle commence sa
montée vers Amchit, avec l’intention de voir
cet endroit qui est devenu un lieu de mémoire
francophone. C’est un village où les Renan
– Ernest, sa femme Cornélie et sa sœur Henriette
– ont vécu, travaillé et écrit.
Sa visite et ses écrits dévoilent
les secrets d’un paysage naturel à jamais
disparu, décimé aujourd’hui par une
urbanisation effrénée, trop bétonnée.
Myriam
Harry et son équipe traversent un sentier
bien aménagé, entre des terrains d’oliviers,
de mûriers et de vignes. Après une
longue montée, enfin, « de beaux palmiers
élancés » apparaissent, relate-t-elle.
Voilà l’une des caractéristiques de
Amchit : la présence de nombreux dattiers
qui ont inspiré tant d’écrivains.
Ensuite, poursuit Harry, surgissent de « massives
maisons en pierre qui semblent encore plus hautes
» que les palmiers. Une autre caractéristique
du village : ses vieilles et imposantes demeures
bourgeoises en pierre taillée avec «
des balcons en mâchicoulis et des fenêtres
ogivales », admire-t-elle. Atteignant le sépulcre
d’Henriette à côté de l’église
Notre-Dame, après s’être renseignée
sur le chemin auprès de villageois, Myriam
Harry décrit le caveau dans un article publié
en 1922 dans Le Temps, un quotidien français.
Au-dessus de la pièce sépulcrale s’élèvent
quatre murs comme une sorte de mausolée.
L’écrivaine mentionne la présence
de quatre urnes « funéraires »
sur les angles des murs. Ces urnes existent de nos
jours, mais elles n’ont jamais servi pour le dépôt
de cendres, comme Myriam Harry a dû le penser,
parce que dans la tradition maronite, l’incinération
n’était pas pratiquée. Devant la tombe,
ce 24 septembre 1861, jour du décès
d’Henriette, on peut imaginer les gens du village
endeuillés, rassemblés pour rendre
un dernier hommage devant le cercueil de la défunte,
déposé dans ce caveau qui appartient
aux hôtes de Renan, les Zakhia. On pensait
qu’elle y resterait provisoirement, mais son frère
Ernest, chef de mission et futur professeur au Collège
de France, a été convaincu par sa
femme de ne pas la transférer en France.
Henriette fut enterrée en grande pompe, selon
le registre de l’église, suivant le rite
maronite. Elle repose désormais à
proximité de l’illustre Mikhaël Beik
Tobia al-Kallab, la figure économique, politique
et philanthropique la plus connue du Mont-Liban
de la première moitié du XIXe siècle.
Les
dernières heures d’Henriette
Peut-on
visiter la tombe sans se rendre sur les lieux où
les Renan ont vécu ? Non. C’est ainsi que
Myriam Harry s’est dirigée vers la résidence
des Renan, elle a revu la chambre dans laquelle
la « douce dame française » a
rendu l’âme. Les événements
s’étaient précipités pour ces
expatriés français. Henriette avait
déjà eu des problèmes de santé
à cause de longs trajets au cours de la mission
et des changements brusques de température,
comme parcourir les vallées profondes et
froides de Tannourine pour traverser encore Toula,
un village de Batroun au soleil brûlant. Après
un court séjour à Beyrouth pour organiser
leur retour en France, Ernest et sa sœur Henriette
décident de revenir à Amchit par le
Caton, un navire qui devait les ramener ensuite
en France avec les objets et sarcophages découverts
sur des sites historiques libanais. Cornélie
était déjà rentrée en
France. Revenue à Amchit, Henriette était
fiévreuse, elle avait attrapé la malaria.
Son frère eut aussi un accès de fièvre
à cause de la malaria et s’évanouit
le jour même du décès de sa
sœur. Quatre médecins français accourent
à Amchit, essayant de sauver la vie des Renan
: le Dr Suquet, spécialiste « des maladies
de Syrie », le Dr Gaillardot et deux autres
médecins de l’escadre française. On
administre de la quinine et on sauve la vie d’Ernest.
Hélas, c’était trop tard pour Henriette.
Âgée de cinquante ans, elle succombe
et s’éteint. Un hôpital était
en train d’être construit non loin de la demeure,
mais les travaux étaient encore inachevés
et il n’y avait pas de médecin disponible.
C’est l’hôpital Saint-Michel aujourd’hui.
Invité
au Collège de France en 2012 pour donner
une conférence sur les Renan à Amchit
dans le cadre d’un colloque sur l’écrivain,
le Dr Tobie Zakhia, propriétaire de «
la résidence des Renan », ancien médecin-conseil
directeur médical de la région Île-de-France
et actuellement président de la Caisse nationale
de Sécurité sociale au Liban, donne
lors de son intervention des détails nouveaux,
transmis par la tradition et/ou consignés
par écrit. On apprend ainsi que Gaillardot
emporta avec lui les boucles d’oreilles d’Henriette
et que parmi les collègues anticléricaux
de Renan qui ont débarqué dans ce
fief maronite à Amchit, il y avait un monsieur
qui avait franchi toutes les limites de la diplomatie
pour se voir décliner l’hospitalité
et le logis chez les Zakhia. Il avait nommé
son chien Maroun, du nom du saint patron de l’Église
maronite. Il fut déclaré sur le champ
persona non grata.
Le
retour des Renan
En
interviewant un villageois près de la tombe
d’Henriette, Myriam Harry apprend que des années
plus tard, Ernest Renan est revenu à Amchit
avec sa femme, dans l’intention de transférer
sa sœur en France. Devant le caveau, « ils
s’approchèrent de la grille et dirent quelque
chose » et, selon l’histoire racontée
par le villageois, un olivier (qui n’a vraisemblablement
jamais existé si on regarde des photos de
l’époque qui montrent plutôt un chêne)
secoua la tête et leur fit comprendre qu’Henriette
souhaitait dormir éternellement dans ce village
qu’elle aimait, village de palmiers et « de
ciel sans nuages », comme l’archéologue
le décrivait.
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