SUITE > Deuxième
Partie: L'habitation au Liban Jacques Liger-Belair
(Association pour la protection des sites
et anciennes demeures - Yvonne Sursock Cochrane)
Le Liban est un fragment de la cote méditerranéenne
orientale compris entre le 33e et le 35e degré
de latitude Nord.
Jusqu'à
la fin du tertiaire, il était recouvert par
les eaux. De grands bouleversements géologiques
creusèrent la Méditerranée, vers
laquelle les eaux refluèrent.
En
même temps, le plateau formé de dépôts
calcaires se disloqua; il se boursoufla sur deux brisures
parallèles: Mont-Liban et Anti-Liban apparurent.
Des éruptions volcaniques projetèrent
alors des masses de lave, de basalte noir dans la
région Nord du pays. Liban et Anti-Liban limitèrent
une longue vallée à fond plat et alluvionnaire:
la plaine fertile de la Bekaa.
Et
dès lors, dans ses matériaux et ses
techniques, dans ses modes d'implantation et d'orientation,
l'architecture libanaise s'en trouva fortement déterminée:
architecture de pierre, calcaire au Mont-Liban, basalte
noir et dur à tailler dans la région
du Akkar, architecture de terre dans la Bekaa.
Sur
le sol fécond, une végétation
propre au bassin méditerranéen proliféra:
oliviers, vignes, pins, orangers… Les épaisses
forêts ont malheureusement disparu; le déboisement
intensif depuis la haute antiquité, suivi des
troupeaux de chèvres, a dénudé
puis raviné les pentes et réduit une
partie du Liban en rochers superbes mais arides.
Dans
l'ensemble du pays le printemps vient tôt, les
pluies diminuent pour disparaître en été;
il fait alors très chaud; En octobre la température
s'adoucit et les pluies tombent, de plus en plus fréquentes,
violentes durant l'hiver.
Ce
climat général se divise cependant en
microclimats: La côte est humide, jamais très
chaude ni très froide: les vents d'Ouest et
Sud y dominent.
La montagne, sur son versant Ouest, est soumise au
même régime venteux; suivant l'altitude
elle peut être très froide l'hiver.
La Bekaa, continentale, également très
froide l'hiver, est très chaude et sèche
l'été; long couloir défini par
les chaines du Liban et de l'Anti-Liban, elle canalise
les courants d'air qui la ventilent, violemment parfois,
du Nord ou du Sud.
Déjà
définie dans ses matières, l'habitation
se voit alors fortement déterminée dans
ses formes: elle devra s'ouvrir aux vents frais, l'été,
résister aux pluies torrentielles, l'hiver;
elle se cuirassera, dirigera ses ouvertures aux courants
d'air, vers le paysage qui descend à la mer;
elle s'inventera des terrasses couvertes qui protégeront
du soleil et des pluies ses ouvertures; qui permettront
à la vie d'été de s'épanouir
hors de la maison, à l'ombre. Quand l'habitation
se raffinera, elle se « climatisera »
par la fraîche transpiration des fontaines de
ses patios et jardins intérieurs.
C'est
dans ce milieu où sol, plantes et climat font
un tout « organique », en parfait équilibre,
que l'homme apparaît. Et chaque individu nourri
par le « paysage », soumis dans son corps
aux douceurs et aux risques des saisons, modelé
dans son esprit par la vision quotidienne des formes
et des lumières du paysage, par le spectacle
des forces brutales et mystérieuses de la nature
et par sa propre lutte pour la vie, chaque individu
s'accorde au plus intime de lui-même avec ce
paysage. Il en possède une connaissance intuitive
profonde. Et le jour où son habileté
manuelle est suffisante, ainsi que la nécessité
ou le désir de se bâtir un abri durable
et confortable, il quitte les grottes naturelles et
retrouve une déjà vieille tradition
de construire, « invention » du monde
animal qui depuis très longtemps creusait,
assemblait, modelait ou tissait de remarquables habitats
individuels ou collectifs.
L'homme
prend des fragments du paysage, pierres, bois ou terre.
Inconsciemment, sans doute, il structure sa construction
en fonction de cette pesanteur universelle qui s'applique
à lui-même comme à toute chose,
en fonction des caractéristiques physiques
de ses matériaux; il oriente son habitat correctement
par rapport à ce paysage qu'il connaît,
qui a modelé son esprit depuis des générations.
Et
comment sa maison ne ferait-elle pas partie intégrante,
« organique » du paysage, dont elle tire
sa matière, qui en a fixé la position
et l'orientation, du paysage qui a si fortement déterminé
les besoins, la manière de vivre et la vision
du monde du bâtisseur?
La
multiplication des habitations en villages, plus tard
en cités, la création de chemins, l'agriculture,
modifient le paysage. Phénomène géologique
d'abord, squelette minéral, il est envahi par
les formes souples et proliférantes de la vie
végétale et animale pour maintenant
s'enrichir des formes édifiées par l'homme,
s' hominiser.
Le
paysage libanais, large, puissant, remarquablement
beau, se transforme progressivement par le prodigieux
travail des terrasses de culture qui couvrent le flanc
de ses montagnes; géométrie subtile
qui suit en les révélant mieux les plus
légères inflexions du terrain, ces gradins
introduisent, comme en filigrane, l'échelle
humaine dans l'immense paysage. La couleur et la matière
des murs de ces gradins et des habitations traditionnelles
sont celles du plateau calcaire immergé que
les bouleversements du tertiaire disloquèrent.
La couleur et la matière des murs du Akkar,
cristallisation, boursouflures du paysage noir sont
celles du basalte volcanique qui se répandit
au sol; là le pays est dur, ingrat et son architecture
austère, d'une beauté amère,
aux arêtes dures, péniblement taillées
dans une matière difficile, aux surfaces sombres,
où la silhouette des constructions l'emporte
sur le volume qui naît de l'ensoleillement des
faces.
Quant
à la plaine de la Békaa, elle s'est
transformée en un gigantesque tapis géométrique
de champs de culture. Ses architectures paysannes
sont faites de briques séchées au soleil,
de pise, d'enduits de terre, chaulées en partie
ou complètement; ce sont des architectures
de pays fertile, au sol domestique, au paysage très
humanisé. Architectures aux arêtes effacées,
elles trahissent, sous la pellicule éblouissante
de chaux, une matière malléable, plastique,
modelée, lissée à la main ou
à la surface douce de la truelle, une matière
qui est celle du sol, du paysage.
Enracinée
au sol dont elle tire la matière de ses murs,
de ses voûtes et de ses terrasses, bâtie
ou modelée par des hommes qui connaissent intimement
cette matière, soumise au climat dans lequel
et pour lequel elle existe, l'habitation traditionnelle
libanaise, par-delà les nombreuses influences
étrangères qu'elle absorbe ou rejette,
se développe et s'invente des formes nécessairement
et profondément « naturelles ».
«
Fait géographique », l'habitation libanaise
subira d'autres influences déterminantes dans
le processus de son évolution; l'Homme évolue,
ses idées, sa « culture> »,
se précisent, s'accélèrent et
se transforment aussi aux contacts, paisibles ou violents,
des cultures différentes lorsque des individus,
des sociétés ou des races se déplacent,
s'affrontent ou fusionnent. Et, cela c'est l'Histoire.
Et la culture et l'histoire s'impriment dans les formes
édifiées par l'homme.
Et, par là, l'architecture de l'habitation
est, aussi, un « fait historique ».
«
Partout où ils se ralentissent, les courants
de circulation déposent des alluvions sédentaires
» écrit Lewis Memford, qui use de cette
image à propos de l'urbanisme médiéval.
Ce
sont ces « courants », ethniques ou culturels,
venus du Nord ou du Sud, de l'Orient ou de l'Occident,
qui ralentirent ou parfois s'arrêtèrent
au Liban, qui y déposèrent les couches
alluvionnaires qui, en s'ajoutant les unes aux autres,
constituèrent le fond ethnique et le fond culturel
libanais.
Ce
sont eux encore qui y déposèrent des
formes d'art et de technique de bâtir qui, après
assimilation par le paysage, devaient participer à
la formation de la tradition des habitations.
Et
ces courants furent nombreux au Liban, que sa position-clef
rendait, et rend encore, « perméable
» à tous les échanges économiques
et culturels entre l'Orient et l'Occident.
5000
av. J. C. ... Et le Liban actuel
Cela
commença très tôt.
«
Vers 5000 avant notre ère, l'homme était
sédentaire, cultivateur et éleveur…
Peu après, la Phénicie est prise dans
les circuits commerciaux qui la lient à l'Egypte
d'une part, à la Mésopotamie d'autre
part. » (M. DUNAND, Byblos, Bible et Terre Sainte,
n 50)
Se
pliant aux exigences et aux sollicitations géographiques
du pays, ils devinrent navigateurs et commerçants
sur la côte; dans les terres, ils percèrent
des routes et exploitèrent les forêts.
Ils firent ainsi ce que feront ceux qui, comme eux,
s'implanteront pour un temps ou définitivement
au Liban. Ils créèrent les villes: Sidon,
Byblos, Beyrouth, Tyr, Tripoli, Baalbek.
Puis
les Hyksos envahirent le pays et l'Egypte réagit
militairement.
Enfin
les Araméens s'installèrent dans la
Bekaa et sur l'Oronte et le « Peuple de la Mer
», venu des îles et rives européennes,
à la fin du 2e millénaire avant le Christ,
se mêla aux populations de la côte.
Durant
la première moitié du 1er millénaire,
la fondation de Carthage ouvrit le commerce avec l'Afrique
et l'Europe; et un peu plus tard, après la
domination assyro-babylonienne, le Liban rencontra
la pensée grecque.
Et,
par la domination perse qui suivit la prise de Babylone
par Cyrus, les villes côtières qui commerçaient
avec l'Occident furent connectées à
l'Asie et connurent une prospérité extraordinaire.
En 330 avant Jésus-Christ, Alexandre le Grand
fit passer par le Liban le courant des influences
hellénistiques, qui ne s'arrêta que loin
en Asie. Mais si les dieux et la langue devinrent
grecs, coutume et langue araméennes revinrent
rapidement à la surface.
Le
courant romain se superposa au courant grec à
partir de 63 avant le Christ; le grec devint la langue
des philosophes et le romain celle des militaires;
le peuple conserva l'araméen-phénicien.
Puis
le Christianisme se répandit; et les Arabes
du désert commencèrent à pénétrer
au Liban.
A
partir de 395 ap. J. C. le pays subit les influences
byzantines; là encore, le vieux fond phénicien
araméen, vivace, résista au Néo-hellénisme
de Byzance et absorba l'afflux grandissant des Arabes.
Dès
637 le courant islamique atteignit le Liban, venu
du Sud avec la dynastie ommayade, puis d'Orient avec
les Abbassides. Le commerce avec l'Europe en pâtit,
ce qui facilita l'entreprise croisée.
Pendant
deux siècles, la domination croisée
imposa au courant arabe des influences européennes;
quoique troublée l'époque était
prospère.
A
partir de 1289, les Mamelouks fermèrent le
pays aux influences occidentales, pour le rouvrir
quelque temps plus tard. Un équilibre druze-maronite
s'établit alors qui préfigura l'équilibre
confessionnel du Liban Moderne.
Le
Liban féodal des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles
vit se développer, à côté
des influences européennes grandissantes, un
sentiment national puissant qui tendait à souder
entre elles les communautés religieuses et
les races différentes. Cette période
brillante, déterminante de l'histoire moderne
libanaise, a laissé des traces, des architectures
qui sont peut-être l'essentiel du patrimoine
artistique du pays.
Après
la guerre de 14-18, le pays connut l'occupation militaire
et, plus qu'auparavant, la culture française;
puis ce fut la « République sous mandat
français », pour aboutir, en 1944, à
l'indépendance.
Cette
indépendance n'a pas, pour autant, empêché
de forts courants commerciaux et culturels, venus
de pays latins ou anglo-saxons de rencontrer, dans
les mêmes milieux intellectuels parfois, des
courants proprement arabes. En cela d'ailleurs, le
Liban reste fidèle à son ancienne tradition
de côte ouverte et perméable à
tous les commerces de choses et d'idées. Toutes
ces pénétrations de gens et de culture,
pacifiques ou violentes, ont rythmé, tout au
long de ces 50 siècles d'histoire, une profonde
continuité.
Continuité
qui se manifeste dans la permanence de la vocation
des populations côtières obligées
à naviguer et commercer pour vivre et la vocation
des agricultures de la montagne et de la Békaa;
elle se manifeste dans cet écartèlement
continuel du pays, du Nord ou du Sud, de l'Occident
ou de l'Orient, par des grandes puissances voisines;
elle se manifeste encore dans l'exploitation permanente
et habile de la position-clé de cette côte
située à la frontière de l'Orient
et de l'Occident. Et cette continuité trouve
sa consécration dans la soudure progressive
de tous les éléments qui entrèrent
dans la formation du fond ethnique et du fond culturel
libanais.
Voilà
le « Milieu historique » et « culturel
», en perpétuel changement, où
la tradition libanaise de l'Habitat s'est élaborée.
Cette tradition s'est enrichie et partiellement constituée
de ces alluvions sédentaires que les courants
d'influences ont déposées au Liban et
que le paysage et le climat ont « acceptées
» et « assimilées ».
Lorsqu'on
parle de Maison traditionnelle libanaise, on pense
généralement à une maison de
pierre à toiture de tuiles dont le hall s'ouvre
sur la façade au travers d'une triple arcade.
On trouve cependant nombre de maisons à terrasses
de terre, maisons à galeries couvertes, à
structure de bois, modestes fermes de montagne ou
demeures aristocratiques, blocs fermés ou largement
échancrés par une cour intérieure,
volumes de pierres grises ou noires confondues au
paysage ou architectures blanchies, éblouissantes,
nées dans la grande géométrie
de la Bekaa.
Les
formes traditionnelles sont nombreuses et se diversifient
encore en s'adaptant à leurs contextes sociaux,
à leurs sols et leurs paysages.
Toutes
ces formes coexistent sur le territoire libanais,
depuis des habitations primitives à peine différentes
de celles du 3e millénaire av. J. C. jusqu'à
des demeures aristocratiques très évoluées.
Elles
coexistent comme coexistent dans la nature les organismes
les plus archaïques et élémentaires,
et les plus évolués à ce jour;
comme coexistent à la surface de la terre des
sociétés qui ont évolué
à des vitesses différentes, des plus
primitives au plus civilisées.
Ces
habitations différentes, classées de
la plus primitive à la plus « élaborée
» évoquent, malgré leur presque
contemporanéité, le perfectionnement
croissant et les acquisitions de la tradition tout
au long de l'histoire; phénomène d'évolution
qui s'impose sur une longue période de temps,
malgré les moments de stagnation et de recul,
malgré les « blancs » des périodes
mal connues, malgré les inévitables
erreurs d'interprétation des faits ou des vestiges.
Les
pages qui suivent, si elles épousent sensiblement
la chronologie et le « Milieu historique »
défini plus haut, n'ont nullement la prétention
d'être l'histoire de l'Architecture au Liban.
Elle serait par trop incomplète et superficielle.
Elle est le travail d'un historien de l'art et non
d'un architecte.
L'auteur
n'a pas d'autre but que de poursuivre la démarche
adoptée depuis le début de l'ouvrage:
montrer l'enracinement de la tradition libanaise,
son caractère profondément « naturel
» et, par là, son dynamisme et les leçons
toujours actuelles qu'elle contient.
Et
ce sont les formules et éléments architectoniques
qui se sont prolongés jusque dans les habitations
encore en usage dans le pays, ou du moins toujours
entières, qui intéressent cet ouvrage.
L'acte
de bâtir semble être assez récent,
du moins l'acte de bâtir des abris de pierre
ou de terre. Pendant 500.000 ans l'homme se serait
contenté des grottes naturelles.
Au Liban, les plus anciennes traces d'occupation humaine
de grottes remontent à quelques 80.000 ans
avant J.C.
Et
l'apparition de l'architecture, ou tout au moins les
plus anciens, et fort primitifs, vestiges d'habitations,
pourraient se situer au début du 5e millénaire
avant le Christ.
Maurice
Dunand, dans sa chronologie des plus anciennes installations
de Byblos, raconte le tout début de l'évolution
de l'habitat telle qu'elle parait s'être déroulée
à Byblos. Et les termes qu'il emploie, dans
ses descriptions, évoquent cette soumission
totale des premières et archaïques manifestations
architecturales tout entières soumises au contexte
géographique, pour voir, progressivement, se
préciser une géométrie qui dégage
l'architecture du contexte, qui met à l'équerre,
toujours plus rigoureusement, tant les pierres de
construction que les murs entre eux et la toiture
de l'habitat. Une courbe s'ébauche qui montre
le perfectionnement de l'architecture, courbe qui
se confond, sans doute sensiblement, avec celle qui
exprime l'accroissement des connaissances et des aptitudes
humaines.
«
…radiers de cailloux de la dimension du poing…
petit muret d'une ou deux assises de simples pierres
de ramassage… »
« … cabanes circulaires au sol de terre
battue hormis quelques cavités destinées
à recevoir des vases ou des provisions, aucune
trace d'aménagement structural, aucune base
de poteau… »
« On voit s'instaurer une organisation nouvelle…
Les logis sont rectangulaires… »
« La base axiale fait son apparition…
Les pierres employées ne sont plus le tout
venant des simples pierres de ramassage… tirées
de la dune consolidée… sous-jacente…
début de l'industrie de l'extraction…
»
« … transformation profonde quoique sans
rupture… aboutit à la première
installation urbaine… La couverture se transforme,
car aux bases axiales se substituent ou s'ajoutent
des bases au pied des longs côtés…
La maison est devenue prismatique… pierre sableuse.
Il la dresse avec beaucoup de rectitude et sait en
apprécier l'équerre… habitations
à plusieurs pièces… »
« Le réseau urbain est fort clair, les
ruelles se dessinent nettement. Au cœur de la
cité la source est en plein usage… »
« Les premières canalisations sont établies
pour l'évacuation des eaux de pluie…
»
(MAURICE DUNAND, Revue Biblique, octobre 1950)
3e
millénaire avant le Christ
Bien
sûr, il ne reste plus grand-chose du début
de cette évolution. Des premières habitations
phéniciennes subsistent quelques traces au
sol, dégagées lors des fouilles archéologiques,
qui permettent, en les analysant et les interprétant,
de définir un plan… Associées
à quelques textes ou légendes, ces traces
permettent de retrouver quelques caractéristiques
essentielles: En ce début du 3e millénaire,
il semble que la maison phénicienne soit rectangulaire,
aux murs de pierres assez correctement appareillés
et que la toiture s'assimile réellement à
la construction, à Byblos du moins. Cette toiture
était supportée par des poteaux de bois.
Chaque poteau reposait sur une pierre qui le protégeait
de l'humidité du sol.
Et
ce type de maison, plus ou moins perfectionné
sans doute, s'est transmis jusqu'à notre XXe
siècle; actuellement encore un grand nombre
de maisons paysannes du Mont Liban, du Akkar et de
la Békaa sont construites sur le même
plan. Leur cloisonnement intérieur est léger
et indépendant de la structure « plan
libre », en somme, pour utiliser une expression
moderne.
Quelques
poteaux de bois supportent une solive, tronc d'arbre
couché, sur laquelle repose le gîtage.
Une couche de terre durcie est étalée
sur un lit de roseaux ou de planches.
La
terre battue est une formule remarquable quant à
l'isolation thermique de l'habitat. De quelques 20
ou 30 cm d'épaisseur, très compacte,
elle maintient une fraicheur agréable l'été
et conserve la chaleur l'hiver. C'était une
formule parfaitement adaptée au climat libanais.
Mais elle exige un certain entretien: les mois secs
d'été peuvent avoir fissuré la
masse de terre; la première pluie la ramollit;
on « roule » alors le cylindre de pierre
afin de rendre à la surface de la terrasse
son étanchéité; on la lisse afin
que l'eau s'en écoule facilement. C'est l'entretien
de la toiture qui a rendu nécessaire l'escalier
de pierre accroché en porte à faux au
mur de la maison; généralement la première
marche de cet escalier est à une certaine distance
du sol pour éviter que les animaux y montent.
L'escalier est souvent remplacé par une échelle.
Le
rouleau, cylindre de pierre lissé par l'usage,
reste à demeure sur la terrasse. Il n'est pas
rare que le cylindre soit un fragment de colonne antique.
Ces
accessoires d'architecture, familiers au Liban, sont
sans doute aussi vieux que cette ancienne tradition
de construire, près de 5.000 ans, sans doute;
ils racontent l'importance et la force du rythme des
saisons, très marquées dans le pays,
et leur incidence sur l'habitation.
Cette
architecture, en prenant racine dans les différentes
régions du pays, s'est diversifiée fortement
dans son aspect extérieur: volume de calcaire
clair dans la montagne, de basalte sombre dans le
Akkar ou de terre chaulée dans la Békaa,
elle repose directement au sol ou est portée
par un puissant soubassement, étable ou communs,
imposé par la pente du sol. Dans les paysages
arides et durs, l'habitation se referme sur elle-même
et se fond, se mimétisme dans son milieu; dans
les paysages verdoyants et aimables, elle s'ouvre,
se prolonge en terrasse, se fait elle-même aimable
et accueillante, à l'image de son milieu naturel.
On
voit se diversifier ce type d'architecture en autant
de formes différentes que de contextes; on
le voit s'unifier profondément avec son milieu:
principe de multiplicité et d'unité,
tout à la fois, qui a travaillé toutes
les formes inertes et vivantes et qui travaille les
formes issues de l'homme au travers autant que par-delà
ses actes, sa conscience, sa volonté.
Fin
du 3e millénaire
Bientôt,
toujours à Byblos, un plan d'un type plus précis
apparaît qui semble s'être largement répandu:
une salle centrale sur les longs côtés
de laquelle se branchent d'autres pièces plus
petites; c'est le plan à « hall central
» si courant au XIXe et au début du XXe
siècle et qu'il est souvent appelé «
Maison Libanaise ».
Pourquoi
la maison phénicienne courante n'aurait-elle
pas suivi la tradition de « l' atrium »,
à cour intérieure, considérée
comme classique de l'antiquité du Proche et
Moyen-Orient ainsi qu'en Europe Méridionale?
La différence entre ces deux manières
de construire, et aussi d'habiter, est très
grande: l'habitation à cour centrale s'ouvre
sur son petit espace intérieur et ignore volontairement
son environnement; la maison à hall central
s'ouvre sur l'extérieur, le fait participer
à sa vie.
La
géographie du Liban n'expliquerait-t-elle pas
cette tradition d'une habitation ouverte? Contrairement
aux plaines proche-orientales, arides et brûlantes,
le paysage libanais et aimable, vert, accueillant,
agréable à contempler. La vie ne s'y
renferme pas sur elle-même; elle jouit du monde
extérieur. Il est « naturel » que
l'habitation, elle aussi, s'ouvre.
En
s'ouvrant au paysage, elle capte les vents rafraîchissants
qui viennent de la mer. De plus, la pente naturelle
du sol, en montagne du moins, assure la sécurité
et l'intimité de la maison en plaçant
la façade ouverte et vulnérable sur
un haut et solide soubassement.
Il
semble que fort longtemps ces deux premiers types
d'habitation, rectangulaire et à hall central,
aient été seuls utilisés au Liban.
Avec la prospérité que connurent les
villes côtières, ces constructions évoluèrent
et se perfectionnèrent certainement beaucoup,
mais sans guère changer de système,
de "manière d'habiter".
La
domination Romaine
Avec
la période hellénistique, peut-être,
avec la domination romaine, certainement, les maisons
avec atrium firent leur apparition. Architecture "
d'importation"- au même titre que l'armée,
l'administration, le nom des dieux et une certaine
culture - cette maison à cour centrale se modifia
quelque peu au contact du paysage, du climat et des
traditions du pays. Alors que les habitations romaines
et syriennes ne s'ouvraient que sur leur atrium, les
murs extérieurs des maisons construites au
Liban se percèrent d'ouvertures et s'ouvrirent
au paysage.
Mais
si la tradition de la cour centrale s'est partiellement
maintenue bien après la période romaine,
c'est certainement sous la pression de nouveaux courants,
de nouveaux besoins qui ne se manifesteront que plus
tard.
Aucun
élément nouveau, apparemment, ne vint
s'ajouter à l'héritage architectural
de l'habitat durant la période byzantine.
Byzance
7e siècle, l'Islam
D'ailleurs,
« à propos de culture et de civilisation
», écrit Jacques Nantet dans son Histoire
du Liban, « …deux traits sont remarquables:
la résistance du fond phénicien-araméen
au néo hellénisme de Byzance qui, finalement,
laisse peu de trace… et son extraordinaire vitalité,
sa puissance d'absorption à l'afflux arabe.
»
Toujours
est-il qu'aucun souvenir de cette période ne
semble avoir été véhiculé
jusqu'à nous par la tradition des habitations
libanaises.
L'Islam
est un courant jeune et vigoureux et la conquête
arabe modifia sensiblement le fond culturel du pays.
Progressivement, et malgré l'utilisation d'éléments
et de fragments architectoniques antiques, des éléments
proprement arabes sont venus s'ajouter au vocabulaire
formel de l'architecture: arcs outrepassés,
decors géométriques…
Sur
le plan de la conception même de la maison,
sous les Ommayades et par le canal des tailleurs de
pierre, l'antique tradition de l'atrium est revenue
à la surface; on peut la voir dans les ruines
d'Anjar.
8e
siècle, les Abbassides
La
dynastie des Abbassides, par contre, a importé
une formule architecturale de vieille tradition perse,
une formule qui semble toute nouvelle dans le pays
et s'y implantera si bien qu'on la retrouve de nos
jours dans quantité de modestes maisons paysannes
de la Békaa ou de la montagne. Il s'agit du
liwan.
Le
liwan est une pièce ouverte donnant sur l'espace
extérieur au travers d'une baie en arc. Deux
chambres sont situées de part et d'autre de
cette pièce.
Cette
forme d'habitat est parfaitement adaptée au
Liban; aussi, comme une graine qui tombe dans un sol
qui lui convient, elle a proliféré sur
tout le territoire, se pliant presque aussi aisément
que l'antique et naturel "plan rectangulaire"
à toutes les situations, à tous les
paysages, à toutes les techniques, à
tous les milieux sociaux.
Le
liwan est pièce d'été, extrêmement
agréable, ombrée, ventilée, où
la famille peut vivre, au frais, les mois de chaleur;
il devient porche abrité pour les deux pièces
d'habitation que la famille occupe l'hiver.
La
maison a liwan peut être une modeste ferme à
toiture de branchage et terre; elle peut être
une maison bourgeoise qui ne manque pas de grandeur;
elle peut, en se combinant avec la traditionnelle
cour intérieure, devenir un palais; ce qu'elle
fera avec succès.
12e
siècle, les Croisades
Le
courant d'influence croisée, s'il a enrichi
le sol libanais de châteaux, forteresses et
églises, a peu modifié ce qui constituait
alors la tradition de l'Habitat.
Bien
sûr, des villages, des agglomérations,
Batroun et Amioun par exemple, ont un visage bien
proche des cités médiévales d'Occident.
Mais cela tient au moins autant à ce que les
Croisés ramenèrent d'Orient en Europe,
qu'à leur influence propre. C'est sans doute
le cas des encorbellements et des murs en surplomb.
Dans
beaucoup de constructions l'influence croisée
se limita peut-être à un certain "climat",
à une certaine « tendance » vers
un travail de pierre appareillé de façon
robuste et soignée, sans mièvrerie ni
maniérisme.
Et
le courant arabe quant é lui ne fut guère
freiné par ce courant occidental; il arriva
même qu'ils se rencontrent dans certaines architectures:
« La bourgeoisie latine devient fastueuse »,
écrit Jacques Nantet, « et elle fait
décorer ses demeures par des artistes arabes
».
14e
siècle les Mamelouks
Les
Mamelouks, après avoir jeté les croisés
à la mer et annihilé pour un temps les
courants d'influence venus d'Occident et du Moyen-Orient,
se rouvrirent au commerce et à la culture de
l'Europe.
Ils
acheminèrent, d'autre part, le pays vers une
situation intérieure particulière, sorte
de féodalité dont le caractère
influera, tout naturellement, sur les formes architecturales.
Le plan à cour centrale fut alors à
nouveau introduit au Liban, importation perse, cette
fois, sous la forme, légèrement en marge
de l'habitation proprement dite, du khan.
Le
khan, plus qu'une habitation, est un ensemble de cellules
d'habitation ou de boutiques tournées vers
une cour intérieure. Son échelle n'est
d'ailleurs pas celle d'une famille mais plutôt
d'une communauté.
C'est
sous cette forme et dans cette fonction particulière
que la tradition de « l'atrium » pût,
enfin, s'implanter solidement au Liban; atrium qui,
contrairement à celui des habitations romaines,
n'est plus privé mais public.
Cette
tradition ne se résorba plus, comme lorsque
cessa le courant d'influence romaine; elle se répandit
au contraire au Liban et s'ajouta au répertoire
déjà riche des formes traditionnelles.
Le
« Khan Français » de Saida, les
Khans « el-Menzil » et « el-Saboun
» de Tripoli sont parmi les beaux exemples de
cette forme d'architecture.
On
trouve bien sûr dans le pays, tout particulièrement
dans la Békaa, des cours intérieures;
il ne s'agit cependant pas là, de construction
à atrium proprement dit; la construction n'est
pas évidée en son centre, comme la maison
romaine, mais se présente plutôt comme
un groupe de maisons rectangulaires, parfois à
galerie ou à liwan, qui enferment et déterminent
un jardin clos. Ce type de groupement d'habitations
est très ancien; Maurice Dunand le décèle
assez rapidement dans les anciennes installations
de Byblos.
On
pourrait encore rapprocher du « khan »
certaines habitations qui n'appartiennent à
aucun des types précis jusqu' alors intégrés
dans la tradition.
Ces
habitations apparaissent comme des « galeries
à arcades », sortes de longues terrasses
couvertes sur lesquelles s'ouvrent, côte à
côte, les pièces d'habitation.
Effectivement
ces constructions semblent être des fragments
de khan jamais achevés; auquel cas, elles seraient
à rattacher à la tradition de l'atrium.
Et
pourtant, beaucoup d'entre elles sont construites
en montagne, assises sur les terrasses de culture
face à la vallée ou à la mer.
La pente du terrain s'oppose absolument à toute
extension qui refermerait le plan sur un espace intérieur.
L'idée même de construire un khan à
ces emplacements serait aberrante. Et de plus, et
surtout, ces constructions apparaissent, non seulement
« achevées », mais encore particulièrement
adaptées au paysage et plus nobles que nombres
de demeures aristocratiques, traditionnelles ou non.
Elles satisferont l'esprit par la logique avec laquelle
elles se plient aux exigences climatiques du pays
en abritant du soleil la terrasse sur laquelle, face
au paysage, se développe la vie d'été
et en protégeant, l'hiver, les portes et les
fenêtres des pluies violentes auxquelles les
châssis et les seuils résistent mal.
Sous ce rapport, elles se rapprochent d'ailleurs des
maisons avec liwan.
Ne
serait-il pas logique, dès hors, de considérer
que ce type d'habitation, fait géographique
plus qu'historique, est apparu tout naturellement
sous les pressions conjuguées du caractère
aimable du paysage et des nécessités
climatiques propres au pays? >
Lire la suite