SUITE > Deuxième
Partie: L'habitation au Liban Jacques Liger-Belair
(Association pour la protection des sites
et anciennes demeures - Yvonne Sursock Cochrane)
14e siècles, peut-être…
Avec
ce dernier type d'architecture, dont l'apparition
difficile à dater est peut-être bien
antérieure à ce XVe siècle, les
éléments constitutifs sont réunis:
Maison rectangulaire à « plan libre »,
hall central, liwan, cour intérieure, galerie
à arcade.
Ils
sont réunis sur un même territoire, mais
se développent, jusqu'alors du moins, indépendamment
les uns des autres, sans interférence sensible.
C'est la souplesse avec laquelle chacun d'eux s'est
soumis aux paysages, aux matières, au climat,
aux techniques, aux habitudes de vie… propres
au Liban, qui les unifie. Et, souvent, une ferme à
liwan de la Békaa ressemblera plus à
sa voisine de plan rectangulaire qu'à une autre
habitation à liwan du Chouf ou du Mont Liban.
XVIe,
XVIIe XVIIIe siècle la période la plus
brillante de l'histoire du Liban, celle qui lui a
légué la presque totalité de
son patrimoine artistique.
La
féodalité libanaise n'a rien ajouté
d'essentiel à l'éventail des formes
véhiculées par la tradition. Mais la
manière dont elle utilisa ces formes anciennes
semble nouvelle et intéressante. Quelques émirs
riches et influents se partageaient alors le territoire,
s'alliaient entre eux, se querellaient, renforçaient
leur politique intérieure par de solides alliances
avec certaines puissances étrangères
et devaient, dès lors, mener une vie privée
et publique fastueuse et en rapport avec leur rôle
politique.
Dans
ces conditions, la famille princière se présentait
comme un groupement de plusieurs familles mises au
service et gravitant autour de l'émir et de
ses proches. Une vie privée devait se développer
qui garantissait l'intimité de la famille et
de ses serviteurs; une vie publique devait être
possible avec ses audiences, ses réceptions,
voire ses séances de tribunal, avec la vie
des militaires attachés à l'émir
et celle des hôtes officiels. Le palais était
une petite cité ou vivait une société
déjà complexe avec ses délicats
problèmes de contacts et de solitude, tant
dans son enceinte que vis-à-vis du monde extérieur;
vis-à-vis d'un monde extérieur qui,
au temps des émirs libanais des XVIe, XVIIe
et XVIIIe siècles, était tour à
tour favorable ou hostile et dont il fallait éventuellement
se protéger.
Au
lieu d'inventer de nouveaux systèmes de plans
qui répondent à ces exigences les constructeurs
combinèrent entre eux les formules traditionnelles
d'habitations bourgeoises ou populaires. Plans «
khan », avec « liwan », à
« hall central », et à «
galerie », organisés ensembles, donnent
un grand nombre de combinaisons différentes
riches de possibilités tant en échanges
sociaux qu'en formes et expressions architecturales.
La
tradition qui, jusqu'alors, avait développé,
sans grand mélange, quelques longues lignées
parallèles de types différents d'habitation,
les assembla, dans les palais, sous forme de complexes
cohérents ou chaque unité garda, à
la fois, son autonomie de fonctionnement et son expression
architecturale.
La
fusion, qui pouvait s'étaler sur deux ou trois
générations, s'opéra en soumettant
chaque « cellule » à une certaine
hiérarchie, chacune d'elle restant «
lisible », toujours rattachée à
sa tradition propre.
Assez
fermés du côté de la montagne,
ces palais s'ouvrirent largement vers la vallée,
du côté de la plus belle vue, du côté
où la construction s'appuie sur de hauts et
solides soubassements qui interdisaient toute attaque
ou violation de l'intimité des appartements,
des cours et des jardins.
Depuis
les simples combinaisons de types « à
liwan » et « cour centrale » des
maisons et des petits palais de Deir-el-Kamar, jusqu'au
palais de Beit-Eddine lui-même, le procédé
d'assemblage est le même.
La
conjoncture historique et sociale particulière
qui devait engendrer, sous forme de palais, cette
« soudure » des différentes formules
traditionnelles, s'exprime admirablement dans le caractère
architectural de ces palais, tant dans la grandeur
et la force des espaces et la robustesse des constructions
que dans le raffinement des ornements et des cours
intérieures.
La
décoration des fontaines, des portes, des plafonds…
mêlait parfois étroitement des arabesques
savantes et des éléments stylistiques
occidentaux déposés là par les
courants convergents des influences arabes et européennes.
Un
élément architectonique familier à
la plupart des habitations bourgeoises et princières
était la fenêtre double à colonnette
centrale et arc de décharge; elle était
plus ou moins décorée suivant les prétentions
de l'architecture, mais toujours dotée d'un
« balcon à fleurs », sorte de bac
planté faisant saillie sur la façade
et posé sur de forts corbeaux de pierre.
On
constate donc que cette période brillante de
l'histoire libanaise, malgré ses prestigieux
monuments, n'a, en somme, légué à
la tradition que des détails, des ornements,
un sens du raffinement, qui se prolongeront jusque
dans les habitations les plus modestes.
Mais
c'est cette période qui a légué
au Liban l'essentiel de son patrimoine artistique,
du moins dans ses œuvres les plus prestigieuses.
19e siècle et début du 20e siècle
Aucun
apport nouveau ne s'ajouta d'ailleurs à la
tradition. Les différents types d'habitation
continuèrent à se bâtir partout
dans le pays. Mais c'est le plan à hall central
qui fut le plus utilisé pendant le XIXe siècle
et au début du XXe. A peu prés toutes
les demeures traditionnelles de Beyrouth sont de ce
type, des plus modestes aux plus somptueuses.
Ces
maisons se caractérisent extérieurement
par la triple arcade, élément considéré,
à juste titre peut-être, comme «
libanais par excellence ». Cette triple arcade,
à l’ origine, n'était pas vitrée;
elle limitait une véranda couverte, la traditionnelle
pièce extérieure d'été,
sur laquelle s'ouvrait le hall central. Ce hall lui-même
se terminait généralement par une pièce
postérieure. Les chambres sont situées
de part et d'autre du hall.
Plus
tard, afin de gagner une chambre, la triple arcade
se vitra; mais ce vitrage s'est toujours assez mal
inscrit entre les colonnes rondes de pierre ou de
marbre.
A
propos de cette triple arcade, qui semble caractériser
ce XIXe siècle, il est intéressant de
mentionner l'étude que le docteur Hilde ZALOSCER
a publiée dans le bulletin Mélanges
Islamologiques (n I, Le Caire, 1954) sous le titre
« Survivance et Migration ». En voici,
en substance, le contenu:
Le
palais vénitien présente, par rapport
aux autres palais italiens, une particularité:
le groupement des fenêtres centrales par trois,
ou rarement, cinq. C'est le cas du palais Grimani
et Michèle San Micheli. Ce type de groupement
semble quelque peu étranger aux formes architecturales
du Quattrocente.
Est-ce
que la disposition des fenêtres, c.-à-d.
l'accolement des fenêtres centrales, correspond
à une organisation spatiale du palais, au plan
même de l'édifice, ou bien est-ce un
décor superficiel, un élément
purement rythmique?
Cette
« triple arcade » appartient à
un vaste hall qui traverse l'édifice, fraiche
car ouverte au courant d'air. Elle découle
donc d'une certaine organisation spatiale.
Cette
forme architecturale s'apparente étroitement
aux maisons libanaises à hall central.
Rapidement
l'auteur de l'article englobe dans un cadre plus général
la triple arcade et la large baie en arc de type liwan,
ces deux éléments ayant cette même
fonction d'ouvrir, au centre de l'édifice,
un vaste hall frais, fermé ou non, qui distribue
latéralement les autres pièces de la
maison.
«
Il semble hors de doute que nous nous trouvons en
présence d'une forme profondément enracinée
et remontant à une époque lointaine.
Elle est la réalisation, la synthèse
parfaite entre les nécessités de la
vie pratique, une technique patiemment élaborée
et un style. … Née de considérations
pratiques, sinon vitales, plutôt que de spéculations
esthétiques, cette architecture s'est maintenue
à travers les siècles; elle a même
pu s'implanter dans des régions nouvelles.
»
L'auteur s'interroge alors sur l'apparition de ce
type d'architecture; elle décèle ses
traces dans les époques préhistoriques,
dans les vestiges mycéniens, parthes, sassanides,
pour persister dans les formes persanes, musulmanes…
L'auteur
conclut que le problème de la triple arcade
vénitienne ne s'explique pas par l'évolution
des formes architecturales locales, mais par un phénomène
de transfert, de « migration de formes ».
Ville ouverte sur la mer, Venise est prête à
recevoir toutes les richesses que le Levant déverse
sur ses rives. Elle reçoit - parmi tant d'autres
éléments - ce motif architectural; ou
tout au moins son archétype. »
Cette
étude très intéressante n'interdit
peut-être pas de penser que la tradition de
la large baie en arc qui perçait en son centre
l'édifice oriental, après s'être
acclimatée à l'architecture des palais
vénitiens, ait alors « rebondi »
vers le Liban, cette autre côté «
ouverte »; elle serait revenue sous forme d'arcade
triple, souvent chargée d'éléments
stylistiques ou de certains maniérismes italiens.
Ces
maisons à hall central sont couvertes de tuiles
d'importation; ce matériau qui n'est pas propre
au pays s'y est cependant tellement répandu
qu'il s'est intégré aux paysages de
montagne comme aux milieux urbains du Liban.
Cette
technique, à peu prés étrangère
au pays, encore que l'antiquité utilisait la
tuile, s'y est implantée, entrainée
au Liban par des courants occidentaux de plus en plus
denses. Et ces courants déposèrent encore
à la surface intérieure et extérieure
des architectures, par ailleurs libanaises de système
de plan, des éléments stylistiques,
des détails, des décorations de mode
européenne.
Les
échanges étaient alors fréquents
entre le Liban et la Toscane et Venise. Aussi des
architectes italiens furent appelés à
travailler à Beyrouth et interprétèrent
le plan à hall central avec une exubérance
toute italienne. Ils parvinrent à le gonfler
à l'échelle de véritables petits
palais; la triple arcade s'y agrandit en proportion
et se décora de résilles, très
élégantes parfois, parfois aussi de
goût douteux.
Il
arriva que le hall central, vaste, à colonnade
périphérique, s'assimile assez à
un atrium qui aurait été couvert. Il
est difficile de connaître les intentions réelles
des constructeurs, et il est très possible
que, par le processus de leur conception, certaines
de ces constructions découlent de la tradition
de la cour intérieure, progressivement couverte.
Mais
le résultat s'inscrit dans la tradition du
hall central ouvert sur l'extérieur; on peut
certainement le considérer comme une interprétation
extrême et « brillante » de la maison
dite « libanaise ».
20e
siècle
Après les tuiles de Marseille et les marbres
d'Italie, le ciment et le béton armé
vinrent fausser puis désagréger progressivement
le contenu formel et l'esprit de la tradition.
Cela
se fit par étapes. De lourdes terrasses de
ciment appuyées sur de forts piliers défigurèrent
les façades classiques à triple arcade;
les premiers immeubles de béton suivirent l'ordonnance
du plan à hall central en mettant les arcs
à la mode de 1925; de hideux pilotis remplacèrent
les puissants soubassements de pierre des terrains
en pente de la montagne. Puis des architectures d'importation
remplacèrent, en bloc, les conceptions traditionnelles,
en se pliant peu ou pas aux nécessites impérieuses
du climat et du paysage; et des sacs de ciment s'acheminèrent
jusque dans les villages reculés du pays.
A
ce bouleversement des techniques et des modes s'ajouta,
freinée par aucune législation, une
spéculation sur les terrains qui orienta la
construction dans le sens de la plus stricte et immédiate
« rentabilité » et acheva de détacher
la grosse majorité des constructeurs d'une
tradition qui leur devenait, d'ailleurs, parfaitement
étrangère et incompréhensible.
Actuellement
Actuellement,
il semble qu'il y ait rupture totale entre la tradition
et l'architecture des habitations actuelles au Liban.
Il y a rupture si on considère l'abandon de
formes architecturales en usage pendant des siècles,
des techniques traditionnelles de taille et d'assemblage
de pierres.
Il
y a rupture si on considère le caractère
étranger, insolite, artificiel de l'architecture
actuelle, dite « moderne » lorsqu'elle
s'implante dans le paysage ou dans le tissu urbain
des villes et villages libanais.
Et
la consécration de cette rupture n'est-elle
pas surtout dans un mouvement d'intérêt
croissant, par ailleurs légitime et nécessaire,
d'intellectuels et d'artistes vis-à-vis de
formes architecturales presque essentiellement populaires?
La tradition se disloque; certains s'efforcent de
la prolonger, de « recoller les morceaux »;
peu, cependant, s'interrogent sur son véritable
contenu.
Et
pourtant, ce jugement n'est-il pas trop absolu, trop
définitif et superficiel?
La
rupture apparaît peut-être moins radicale
lorsqu'on voit certains habitants du Akkar ou des
villages écartés de la Bekaa se bâtir
encore de petites maisons rectangulaires parfaitement
conformes à leur antique tradition - mais ceux-là
se font de plus en plus rares - ou lorsqu'on constate
que beaucoup de petites maisons récemment construites
en montagne, de béton et parpaings enduits,
petites constructions dérisoires et tristes
qui dégradent progressivement le paysage, sont
encore bâties sur certains types de plan traditionnels;
moins totale encore lorsqu'on voit certaines villes
ou résidences se centrer autour de jardins
intérieurs à la manière des habitations
a atrium -encore que, trop souvent, l'inspiration
en vienne de revues étrangères d'architecture
et que les formes de ces constructions accumulent
les poncifs à la mode.
Mais
le jugement se nuance surtout en réfléchissant
a ce qu'est, essentiellement, la tradition architecturale:
on a vu la tradition libanaise apparaître, se
définir et s'épanouir, organiquement
liée à son milieu géographique
et culturel, processus naturel d'évolution
de toutes les formes inertes et vivantes.
Le
milieu géographique libanais n'a pas peu changé;
les influences étrangères, par contre,
beaucoup plus brutales et discordantes que par le
passé, ont introduit dans le milieu culturel
une extraordinaire confusion.
Si les formes anciennes ont traduit fidèlement
l'ordre des choses de leur époque, les formes
modernes - du moins la plupart d'entre elles - traduisent
tout aussi fidèlement le monde actuel, avec
la surprenante accélération de ses connaissances
scientifiques et techniques, avec l'inquiétant
décalage qui se manifeste entre la pensée
du spécialiste et celle du non-spécialiste;
le monde actuel qui hésite entre des formes
de culture dépassées et une culture,
quelque peu effrayante, qui s'élabore; le monde
actuel qui déracine les individus de leurs
contextes géographique culturel et social et,
avec eux, les modes de penser, les façons de
vivre et les formes d'art.
Les
extraordinaires moyens de diffusion: cinéma,
télévision, publications et autres,
transplantent des formes d'architecture dans des terrains
non prépares, ni géographiquement, ni
historiquement; il en nait des monstres. Cela se fait
par le biais des constructeurs qui se croient «
libérés » de l'empire des anciens
styles, des conventions passées, des contingences
des matériaux et techniques traditionnels et
des exigences du climat; en fait, ils sont tombés
inconsciemment - tout aussi inconsciemment que les
anciens se soumettaient aux pressions du lieu et de
l'époque - dans les déterminismes du
monde moderne, qui sont la publicité, le goût
du jour, les pressions économiques, l'inédit
et la toute-puissance de la technique avec son apparente
et enivrante liberté.
Cette
situation n'est pas propre au Liban; elle est générale,
plus ou moins grave suivant la manière dont
chaque pays a évolué.
Le
bâtisseur ancien obéissait, inconsciemment,
aux « pressions » naturelles qu'il subissait
sans s'en douter; l'architecte moderne (mise à
part quelques rares et admirables exceptions) obéit,
inconsciemment, aux sollicitations mal comprises,
mal digérées, mal assimilées
d'un monde qui cherche son centre de gravité.
Il
en résulte une immense incohérence dans
le vocabulaire de formes et les combinaisons aberrantes
de l'architecture moyenne actuelle. Cette incohérence
est naturelle puisqu'elle émané d'un
milieu culturel incohérent et qu'elle l'exprime
admirablement. Telle est « l’architecture
spontanée » moderne.
Par-delà
ses plus grands mensonges, ses dissimulations et ses
fausses audaces, l'architecture la plus mauvaise reste
parfaitement sincère puisqu'elle étale
au plein jour les égarements de son milieu
culturel.
En
ce sens, la grande tradition d'apparition et d'évolution
des formes d'architecture - comme de toute forme naturelle
– reste remarquablement vivante.
Il
y a rupture entre la tradition et l'architecture des
habitations actuelles au Liban, comme ailleurs dans
le monde, lorsque des formes étrangères,
fausses et mal adaptées, aberrantes, remplacent
les formes anciennes riches de significations, enracinées
depuis longtemps dans leur milieu géographique;
mais ces formes étrangères, même
lorsqu'elles sont condamnables, affirment encore la
vitalité du phénomène architectural.
Mais
il y a rupture, et plus grave encore, lorsque les
formes anciennes sont artificiellement maintenues
tout en sacrifiant aux techniques modernes de construction,
d'équipement et de confort sous leur déguisement
stylistique traditionnel; c'est transformer une tradition
architecturale, vigoureuse pendant plus de cinquante
siècles, en une prétentieuse supercherie;
c'est à la tradition architecturale ce qu'est
la fleur artificielle à l'exubérance
de la vie.
Cette
situation semble paradoxale qui débouche sur
deux voies, toutes deux aussi fausses, l'une offensant
peut-être plus la vue, et l'autre l'intelligence.
Aucune
des deux, en somme, ne se situe dans la tradition:
la première s'est égarée, la
seconde s'est recroquevillée sur elle-même,
coupée de la vie.
Cela
signifie-t-il que cette tradition, vivante durant
5 millénaires, doive nécessairement
et définitivement se résorber en quelques
dizaines d'années?
Sous
la pression harmonieusement conjuguée des milieux
géographique et culturel, depuis ses premières
expériences jusqu'à ses plus savantes
combinaisons, la tradition s'est élaborée
et épanouie suivant un processus naturel; et
elle se désagrège tout aussi naturellement,
parce que ces pressions, divergentes, sont devenues
incompatibles.
Le
bâtisseur ancien avait élaboré
des formes correctes, enracinées, parce que
lui-même était, inconsciemment ou par
tradition vivante, immergé dans le contexte
géographique et culturel et qu'à travers
lui, et presque malgré lui, le milieu modelait
l'architecture.
Que
le constructeur contemporain reprenne volontairement
le contact, qu'il s'appuie sur les réalités
géographiques et climatiques, sur le paysage,
sur les réalités humaines et physiques
de l'époque, avec discernement et sensibilité,
et ne se rapprochera-t-il pas alors, mais plus lucidement,
de l'état d'esprit du constructeur ancien?
Par-delà
l'incohérence et la confusion des valeurs de
la culture moyenne, par-delà ses hésitations
et ses égarements, par-delà les dangers
des nouvelles techniques encore mal assimilées…,
des recherches enthousiastes et désintéressées
de certaines disciplines s'efforcent de faire converger
connaissances et techniques vers le réel épanouissement
de l'homme. Plusieurs grands physiciens et biologistes,
sociologues et urbanistes sont, en même temps,
les authentiques philosophes contemporains.
Et
sur cette base une nouvelle « culture »
semble s'ébaucher, bien différente de
la confusion et de l'incohérence de la culture
moyenne actuelle; elle ne peut en aucune manière
rentrer en conflit avec les sollicitations impérieuses
du paysage et du climat.
Contempler
attentivement les formes naturelles, analyser les
architectures traditionnelles pour découvrir
leur logique interne, leur intégration dans
leur milieu, leur usure aux vents et aux pluies et
leur fusion toujours étroite au paysage…
et se pénétrer des connaissances et
des tendances les plus saines et les plus fortes de
la pensée contemporaine… Cela ne revient-il
pas à se faire une « culture »
qui adhère autant aux réalités
géographiques et du paysage qu'aux réalités
humaines, sociales et scientifiques actuelles?
N'est-ce pas là même retrouver les conditions
favorables qui firent germer et s'épanouir
les formes architectoniques traditionnelles?
Que
le constructeur qui a pu acquérir cet état
favorable d'esprit et de connaissances, possède,
en plus, une imagination créatrice, il sera
alors « architecte », et les formes qu'il
« inventera » seront justes et dans la
tradition vivante la plus authentique.
Et
ces formes auront alors assez d'affinités essentielles
avec les habitations dites « traditionnelles
» pour que leur proximité les enrichisse
les unes et les autres, malgré, et à
cause de leurs différences de programme, de
techniques et d'ornements.
C'est
là, et nulle part ailleurs, sans doute, que
se situe la voie, toujours inchangée, de la
tradition de bâtir.