1956
- Je fréquentais à l’époque
la Faculté Française de Médecine,
en particulier la salle des dissections patronnée
par mon ami l’illustre Professeur Farid Serhal.
J’étudiais, je dessinais. Etudes de morphologie
du corps humains, formes et proportions. Dr. Serhal
s’intéressait à mon travail, me racontant
souvent ses intimités. « A Jezzine
m’a-t-il dit au sud-est de la région, je
possède un grand domaine ‘Les vignobles,
les Kroums’ avec une petite maison pour les amis
et une cave pour le vin et l’arack ». il m’invita.
Il me proposa de lui réaliser une fresque
sur un mur d’un salon donnant sur une terrasse.
J’ai pensé à une danse, à Bacchus
Dieu de la boisson. Danse des fées sous la
vigne. Depuis cet ancien temps une amitié
nous lia. Nous étions toujours en contact,
je lui réalisai certains schémas anatomiques,
je passais quelquefois des fins de semaines à
Jezzine en cette belle région qui par une
route donne à la Bekaa et une autre nous
mène vers le sud, Nabatieh, Bent-Jbeil.
1961-62-63, J’étais absent entre Madrid et
Paris pour préparer à l’Université
une première thèse.
1964- Retour au Liban et visites à mes amis.
Le Docteur me raconta que les caves et la maison
avaient été détruites et qu’un
‘grand palais’ venait de pousser au même endroit.
Durant nos rencontres il me montrait les centaines
de Collections de livres qu’il s’achetait : Architectures,
sculptures grecques, romaines, byzantines, arabes,
italiennes, la renaissance, l’art français,
espagnol… les plus beaux châteaux, Paris,
la Loire, Londres, les Perses, les Pharaons, les
Tsars…
Il collectionnait aussi des tapis ‘signés’
de collections, des pièces antiques, du mobilier
ancien, mosaïques, opalines, sculptures, bronzes,
peintures…
Nous avons été ensemble voir le chantier
; une vingtaine de tailleurs de pierre travaillaient
quotidiennement imitant tel chapiteau, détail,
structure, relief, formes, saillie. Il me demandait
mon opinion ; on discutait de beaucoup de choses.
Je lui ai réalisé entre autres un
caducée en plâtre que les tailleurs
ont exécuté en pierre ; les signes
du zodiaque etc…
Je dis tailleurs de pierres ; je ne dis pas artistes
sculpteurs. Ce monument reflétait le ‘’rêve’,
la ‘vision’ les fantaisies, l’imagination du docteur,
son goût, son génie, son souffle. Un
travail de géant.
Il donna une grande réception, un déjeuner…
plus de mille personnes étaient présentes.
Ce palais était sa vie, sa conversation,
sa passion, sa folie… la façade, le fronton,
l’entrée telle Héliopolis étaient
grandioses.
Il me demanda un jour de l’accompagner et quelle
fut ma surprise : tout ce travail, ce monument était
devenu un pavillon, une aile de la construction
reliée à l’autre par une monumentale
porte centrale c'est-à-dire il avait doublé
la superficie de l’édifice, lui cet excellent
chirurgien cet être consciencieux, courageux,
savant, généreux… Lui qui opérait
ses malades tôt le matin pour se diriger à
la F.F.M. parmi ses étudiants, s’occuper
de ses malades en plus de toutes ses activités
et occupations… Que de fois nous avons passé
ensemble chez les antiquaires qui lui réservaient
un tas d’œuvres et de curiosités…
Il faisait sa tournée chez les antiquaires
à Damas, Alep, Turquie, Iran, Irak. Il voyait
loin ; ce chirurgien métamorphosé
en Architecte créateur, avait la plus grande
et la plus belle collection de ‘Narguilhés’
de toutes sortes, formes, périodes, matériel,
etc… de même les tapis, les vases d’opalines,
cristaux, peintures, sculptures.
1975- Début des événements.
Le ralentissement du travail, du projet, pour s’arrêter
quelques années plutard à la suite
de la situation et de son décès.
En plein événement, il me téléphona
de le rejoindre à Beyrouth pour l’accompagner
à Jezzine en sa voiture qui avait une plaque
bleue parlementaire. Il voulait me montrer je ne
sais quoi. Nous avons passé la nuit dans
un annexe à sa clinique au centre de Jezzine
pour nous diriger de très bon matin voir
le chantier puis rentrer à Beyrouth.
Plus de 20 ans ont passé sans que je me sois
dirigé vers Jezzine.
J’y suis allé sur une invitation du Docteur
Camille son fils ; l’émotion et la nostalgie
m’ont emporté ; j’avais les larmes aux yeux,
la parole coupée, moi qui avais connu la
nature du terrain l’évolution de la construction,
la passion du docteur.
Deux autres fois, je suis rentré de Marjeyoun,
du sud ; le conducteur avait emprunté la
route de Jezzine une vue d’ensemble panoramique
s’imposait de loin.
J’ai appris que le Palais de Farid Serhal était
ouvert au public au tourisme comme Héliopolis,
Beiteldine, Byblos etc…
Nos merveilleux vestiges ont été érigés
par des nations, des empires, de conquérants…
Le Palais Serhal a vu le jour grâce à
un homme seul, énergique, amoureux de sa
région, visionnaire, ne reculant devant aucune
difficulté. Plotin, définissant l’architecture,
disait : « L’architecture c’est ce qui reste
une fois la pierre est ôtée… »
Qu’est-ce qui reste ? ce sont les idées,
du créateur architecte, sa sensibilité,
ses conceptions, son génie, son souffle…
Visiter Jezzine et le palais Serhal est plus qu’une
visite, c’est une prière, une communion avec
l’âme éternelle de Farid Serhal.