Il
n'est pas nécessaire de connaître à
fond l'histoire du Liban pour apprécier les
beautés naturelles et artistique que nous
propose notre pays: mais je crois que nous ne pénétrions
véritablement jusqu'à l'âme
de cette terre bénie du Proche-Orient que
si nous possédons au moins quelques données
sur le Kesrouan dont les paysages dégagent
une impression de majesté et de spiritualité.
Or,
précisément, le village d'Antoura,
situé au cœur même du Kesrouan doit
sa renommée et son prestige à sa mission
fondée en 1656 par les Peres Jésuites,
cédée en 1783 aux Pères Lazaristes
et érigée en cité scolaire
en 1834.
Les
Pères Jésuites à Antoura
En
1657, les Pères Jésuites ont construit
le couvent Saint-Joseph d'Antoura. Son corridor
en forme de voûte surbaissée évoque
le cloître. En 1773, le Pape Clément
XIV a supprimé la Compagnie de Jesus sur
les instances du gouvernement du roi Louis XVI et
celles de la Propagande. Les Pères Lazaristes
firent la relève de leurs illustres devanciers
les Pères Jésuites qui ont choisi
à Antoura une maison de repos où l'on
pourrait se refugier en cas de persécutions.
Cheikh
Abou Naufal El-Khazen, un éminent chef maronite
fut le premier kesrouanais qui a invité les
Peres Jésuites à établir leur
mission en cette belle et paisible région
libanaise ou il n'y a que des maronites, et en grand
nombre, logés sur les montagnes du Liban.
Le plan d'Abou Naufal El-Khazen aboutit à
une fin heureuse: la fondation d'une maison d'éducation
au Kesrouan, son fief. Il en escomptait d'ailleurs
un double avantage; maintenir les Maronites de la
montagne dans la piété et instruire
la jeunesse. Sous les Pères Jésuites
de 1657 à 1783, sous les Peres Lazaristes
de 1783 à 1834, Antoura sera d'abord maison
de mission jusqu'en 1845, date à laquelle
le développement du collège demandera
l'activité de tous les missionnaires.
Signalons
à cette occasion que Cheikh Abou Naufal El-Khazen
est un des personnages les plus importants de l'histoire
maronite. Son père Abou Nader El-Khazen avait
été le conseiller du grand Emir Fakhreddine
Le Grand II qui a été confié
avec son frère par leur mère Sitt
Nassab aux cheikhs Khazen de Ballouné pour
les soustraire à la vengeance des Turcs.
Abou
Naufal continua à jouir du crédit
de son père auprès de l'Emir Melhem,
gouverneur du Liban depuis la défaite de
son oncle Fakhreddine. Grace au Consul du roi de
France à Alep, François Picquet il
avait été nommé vice-consul
de France à Beyrouth et le roi avait confirmé
cette nomination.
Louis
XIV, sur les instances de Mgr Isaac Chedraoui, évêque
de Tripoli porte-parole du patriarche maronite,
jointes à celles des missionnaires jésuites
et capucins, et par lettre patente du 1er janvier
1662 le nomma non plus vice-consul, mais consul
du roi de France à Beyrouth.
Le
Père Lambert qui fondera Antoura déclarait
que Abou-Naufal El-Khazen avait l'âme noble,
il était le conseiller du patriarche maronite,
son hospitalité était magnifique,
sous sa silhouette la paix régnait parmi
les chrétiens.
Le Père Jésuite, le Père Besson
disait de lui également que riche, considéré,
magnifique et libéral, il passait pour un
génie et qu'il était effectivement
capable et merveilleusement entendu en affaires.
Il a gagné toute la nation par sa bonté.
Il devait mourir le 13 août 1679 à
Ajaltoun où il est inhumé en l'église
de la famille Khazen dite de la Vierge. Tel est
le personnage qui devait contribuer par ses instances
et sa générosité à la
fondation d'Antoura.
Quant
au village lui-même (Antoura) d'après
son sens étymologique d'origine syriaque
signifie source de la montagne (Ain-Toura). Cette
source, située à 500 mètres
au-dessus du couvent permettait le ravitaillement
en eau, avantage appréciable dans un pays
ou l'eau est rare.
Les
Lazaristes au Liban
En
1656, la Propagande avait sollicité saint
Vincent de Paul, le fondateur des Lazaristes, d'envoyer
au Mont-Liban un de ses missionnaires « homme
qui ait gravité, bonté et doctrine
». Son choix s'était porté sur
Monsieur Jolly, Supérieur à Rome.
Ce dernier pour des raisons de santé envoya
Monsieur Berthe.
Enfin
en 1658, saint Vincent fit son possible pour protéger
les chrétiens d'Orient. Avec l'aide du Père
Sylvestre de Saint-Aignon Custade des Capucins de
Syrie et le projet du Consul de France a Alep, François
Piquet, grand ami des maronites et futur évêque,
le Saint-Siège choisit en 1763 Monsieur Armand
Bossu, premier lazariste qui devait venir s'installer
au Liban avec le titre de délégué
apostolique pour le patriarcat d'Antioche, de Jérusalem
et du royaume de Chypre. Il résida chez les
Peres Capucins de Beyrouth.
Ainsi
au début de l'année 1783, écrit
E. Joppin, 17 lazaristes partirent pour le Levant
et le Mont-Liban.
Les
seigneurs évêques, les consuls, les
ex-jésuites, et tous les catholiques leur
ont fait un accueil chaleureux, accompagné
des démonstrations de la plus grande joie.
Les
lazaristes à Antoura
Le
21 juillet 1773 le Pape Clément XIV signait
le Bref «Dominus ac Redemtor» supprimait
la Compagnie de Jésus. Ordre était
donné aux évêques de tous pays
d'expulser les jésuites de leurs maisons,
de faire l'inventaire de leurs biens et de leur
substituer des séculiers. A l'instigation
du Duc de Choiseul, Louis XV avait déjà
légiféré dans le même
sens pour la France en 1764. Privées d'hommes
et de ressources les missions devaient suivre le
sort des provinces dont elles dépendaient.
Au
Levant ce fut le gouvernement français qui
eut tout le souci de la liquidation. Son ambassadeur
à Constantinople, le Chevalier de Saint Priest
écrivait le 2 septembre 1773 au ministre,
le Duc d'Aiguillon, que cet événement
si longtemps annoncé l'avait pris au dépourvu,
entre autres raisons, parce qu'il se faisait une
peine de s'occuper d'avance de la dépossession
de ces religieux. Leur expulsion avait laissé
vacantes des maisons que les Turcs n'auraient pas
manqué de confisquer. J'ai pris, ajoute l'ambassadeur
de Saint-Priest, le parti d'écrire à
tous les officiers du roi des lieux du ressort de
mon ambassade où sont les maisons de ces
religieux de ne permettre à qui que ce soit
d'entrer en possession des maisons; capitaux et
autres effets appartenant aux ex-jésuites,
sans nouvel ordre de ma part. La question fut agitée
en cour de Rome qui finalement en laissa la propriété
à l'Etat français. La confiscation
de leurs biens et la suppression de leurs établissements
par la Sublime porte était ainsi évitée.
Deux
congrégations et un Ordre religieux furent
mis en avant pour remplacer les jésuites:
les franciscains et les lazaristes. Le projet de
Saint-Priest fut adopté. Ses candidats étaient
les lazaristes.
Le
23 décembre 1780, un arrêté
du Conseil d'Etat du roi attribuant aux lazaristes
les missions précédemment desservies
par les jésuites dans les Etats de la domination
ottomane, cet arrêté était confirmé
par lettre patente de Louis XVI du même jour.
Le gouvernement du roi ouvrit ensuite des négociations
avec Rome pour lui faire accepter son projet, le
22 novembre 1782, la Propagande donnait son acquiescement
par décret. Le 21 décembre de la même
année le roi Louis XVI délivrait par
exécution du Bref de Rome des lettres patentes
que le Parlement d'Aix enregistrait le 30 janvier
1783.
Un
premier travail des lazaristes arrivés au
Levant fut de réorganiser les maisons plus
ou moins tombées du fait du départ
de leurs devanciers les jésuites.
Monsieur
Cordier se rendit à Saida où il fit
enregistrer au Consulat de France les actes officiels
de la substitution des lazaristes aux jésuites.
De Saida il se rendit à Antoura pour y prendre
possession de la maison.
Le
second travail du Supérieur de la Mission
de Syrie et premier Supérieur d'Antoura,
Monsieur Cordier sera celui d'apprendre la langue
arabe. C'était une tâche assez délicate
et difficile. Une première connaissance suffira
pour remplir à la maison les fonctions de
curé et y enseigner le catéchisme.
Voici
un témoignage intéressante sur l'Antoura
de l'époque est celui de l'auteur des «
Ruines » Volney, précurseur des nombreux
voyageurs de lettres en Orient du XIXème
siècle.
«
Sur la frontière du Kesrouan, rapporte-t-il,
a une lieue a l'est de Nahr el-Kalb, est le petit
village d'Antoura où les jésuites
avaient établi une maison qui n'a point la
splendeur de celles d'Europe: mais dans sa simplicité
cette maison est propre, et sa situation à
mi-côte les eaux qui arrosent ses vergers
et ses mûriers, sa vue sur le vallon qu'elle
domine et l'échappée qu'elle a sur
la mer, en font un ermitage agréable ».
Hôte d'Antoura pendant quelques jours en souvenir
de son passage Volney grava son nom sur un de ces
orangers du jardin qui devaient faire l'admiration
de plusieurs voyageurs.
Monsieur
Cordier, devait mourir en mer en 1790 au large des
côtes de l'Ile de Tinos, à bord de
la « Madonna delle Grazzie », alors
qu'il se rendait de Beyrouth à Smyrne pour
continuer sur Constantinople. Le 14 juillet il fut
enterré dans l'Ile de Castella Rossa.
Signalons
à cette occasion que seuls parmi les missionnaires
français du Liban, les lazaristes survécurent
à la crise et se perpétuèrent
sans interruption jusqu'à nos jours.
Monsieur François Leroy Fondateur du Collège
d'Antoura
Le
vicaire général des lazaristes, Monsieur
Boujade, envoya en 1826 Monsieur Antoine Poussou
missionnaire zèlé et expérimenté
au Mont-Liban pour le relèvement des missions
des lazaristes en Syrie car Antoura avait perdu
son prestige et la congrégation ne disposait
plus de prêtres. Ne voulant pas partir seul,
il sollicita un compagnon le jeune séminariste
François Leroy pour l'accompagner. Ce dernier
était doué du sens de l'administration
et de l'autorité. Les deux missionnaires
arrivèrent à Antoura en mai 1827.
Ils y passèrent cinq mois à apprendre
l'arabe, puis de la ils partirent pour Damas.
Par
un heureux dessein, le climat de la capitale syrienne
ne convint pas à Monsieur Leroy. Il revint
à Antoura. Y fonder le Collège d'Antoura,
jouer dans la montagne un rôle de grand missionnaire,
telle fut sa tâche jusqu'en 1844.
Ordonné
prêtre le jour de l'ascension de l'année
1829, Leroy exerça avec ardeur le saint ministère,
prêchant, catéchisant, administrant
les sacrements, faisant fonction de curé
d'Antoura. Il reprit dans les villages d'alentour
les missions volantes des Pères Jésuites.
Son
influence devint assez grande dans toute la montagne.
C'est pourquoi Monsieur Etienne, procureur général
des lazaristes à Paris, le nomma Supérieur
du Collège d'Antoura.
Visite
de Lamartine
Au
mois de novembre 1832, Antoura eut l'honneur de
posséder Lamartine dans ses murs durant deux
jours. Aller en Orient, c'était pour le poète
un rêve qu'il caressait depuis l'âge
de huit ans.
Après
Volney et Chateaubriand, Lamartine était
un des premiers parmi les gens de lettres qui allaient
succéder en Orient au 19ème siècle.
Dans
son « Voyage en Orient » Lamartine raconte
tout au long sa visite à Antoura. Il fit,
écrit-il, diverses excursions dans la partie
du Liban qui lui restait à voir. C'est en
revenant de Tripoli, note son majordome Geoffroy,
qui tint le journal, que le poète retournant
à Beyrouth, s'arrête à Antoura.
Monseigneur Losanna, le délégué
apostolique était allé lui-même
à cheval accompagné d'une nombreuse
escorte au devant du poète. Apres une halte
à sa résidence il conduisit Lamartine
chez les missionnaires. Les Lazaristes d'Antoura
étaient alors Messieurs Leroy et Teste.
Fervent
de la grande nature, Lamartine est satisfait à
Antoura. Il trouve son site égal ou supérieur
aux plus beaux des paysages d'Europe. Le voyageur
pourrait se croire sur les bords du lac de Genève,
entre Lausanne et Vevey ou sur les rives enchantées
de la Saône entre Macon et Lyon; seulement
le cadre du tableau est plus majestueux à
Antoura. Lamartine ne quitta pas Antoura sans y
accomplir le rite obligatoire de toute visite de
marque, à savoir la signature du livre d'or.
Seulement le livre d'or fut un oranger dans l'écorce
duquel il grava son nom.
Revenu
en France, député influent, Lamartine
ne devait pas oublier ses amis les missionnaires.
Il interviendra auprès du ministre Guizot
pour obtenir quelques bourses en faveur du Collège
naissant.
Antoura
sous les Egyptiens 1831-1840
Sous
la domination égyptienne, Antoura allait
subir une transformation profonde. De maison de
mission, le couvent Saint-Joseph devient la maison
d'enseignement pour la jeunesse qui sera le Collège
d'Antoura.
Les
premières années du collège
En
octobre 1834, le couvent Saint-Joseph écrit
le P. Joppin, recevait quelques élèves
qui venaient y faire leurs études secondaires.
Sept élèves, tel fut le chiffre du
premier contingent. C'étaient d'après
les archives du collège le jeune Alphonse
Guys, fils du Consul de France de Beyrouth, le fils
de Monsieur Jorelle, chancelier du même consulat,
deux fils de M. Lorello, consul d'Autriche, Michel
Medawar, Jacob Tabet et le fils d'un certain Francis.
Les
efforts louables de M. Leroy n'ont pas été
vains. Il réussit contre vents et marées
et malgré toutes les difficultés de
construction sous le régime turc à
construire les bâtiments projetés du
Collège. Le corps enseignant était
composé de trois professeurs qui assumèrent
la tache d'instruire ces premiers élèves.
Un ecclésiastique maronite chargé
de la langue arabe complétait le corps professoral.
Qu'on
ne s'étonne pas de la place accordée
dans un collège français à
l'italien. A l'époque, c'était la
seule langue européenne connue au levant
en raison des relations commerciales des républiques
italiennes avec le Levant. En outre, plusieurs membres
du clergé oriental la connaissaient. Il y
avait également les Pères de Terre
Sainte, les Capucins italiens qui enseignaient cette
langue. Gérard de Nerval qui a visité
le Liban en 1843 a signalé dans ses écrits
que la langue italienne était bien répandue
au Liban. Disons enfin que le réalisateur
de tous les projets des Lazaristes fut M. Leroy.
Bon administrateur, c'est à lui que les lazaristes
et les filles de la Charité devaient, après
la fondation du Collège d'Antoura plusieurs
de leurs établissements à Beyrouth,
à Alexandrie et à Damas. Il y a lieu
de signaler que les premiers élèves
qui sortirent d'Antoura seront drogmans dans les
consulats, interprètes, commis, commerçants
et journalistes.
Sachant
l'arabe, le français et l'italien, ils étaient
à même de traiter avec les Européens.
Parmi
les premiers anciens élèves du Collège
d'Antoura figure Michel Medawar. Il était
journaliste, drogman, un des promoteurs de l'ouverture
de la route Beyrouth-Damas, membre de la Compagnie
des Eaux de Beyrouth, membre honoraire de la municipalité
de Beyrouth. Au cours de ses voyages en Europe,
il fut reçu par Napoléon III, par
le Pape Pie IX, il mourut en 1889.
Parmi
les visiteurs de marque qui se rendirent à
Antoura en 1859-60 figurent le Comte de Paris et
le Duc de Chartres petit-fils de Louis Philippe
en voyage en Orient.
Signalons
également que durant les événements
de 1860, le Collège d'Antoura ferma ses portes.
Le Père Supérieur à l'époque
Monsieur Depeyre quitta le Collège et alla
à Alexandrie. Il ne laissa à Antoura
que son intrépide procureur Monsieur Pinna
qui accueillit les refugiés Zahliotes et
ceux qui s'étaient joints à eux en
route. Ainsi le village d'Antoura fut transformé
en un vaste hospice à ciel ouvert.
Mort
de Monsieur Leroy fondateur du Collège d'Antoura
Monsieur
Leroy, le vénérable fondateur du Collège
d'Antoura était pendant les événements
de 1860 à Damas. Il ne craignait pas tant
pour lui que pour ses missionnaires et surtout pour
les onze filles de la Charité, ses voisines
confiées à ses soins. Lorsqu'il voulait
les faire sortir de la ville, c'était trop
tard. Enfin il réussit le 19 juillet 1860
à quitter la capitale syrienne pour Beyrouth.
Il y arriva le 23 après une marche pénible
de trois jours. Epuisé par les mortels soucis
par lesquels il venait de passer, il partit pour
Antoura dans l'intention de monter à Rayfoun
dont il connaissait l'air salubre et frais. La mort
ne devait pas lui laisser la possibilité.
Le 30 juillet il rendit son âme à Dieu.
Grand
et véritable missionnaire par sa piété
son souci de la gloire de Dieu et ses talents d'administrateur
et de fondateur d'œuvres, sa mort fut considérée
comme une calamité. Ses obsèques furent
imposantes. Il avait été le bienfaiteur
et l'apôtre de la montagne.
Maurice
Barrès à Antoura
Le
7 juin 1914, le consul général de
France, François Georges-Picot avait eu la
délicate attention de venir faire les honneurs
d'Antoura à un Français illustre,
Maurice Barrès. L'éminent académicien
dont le passage en Syrie et au Liban fut triomphal
et se perpétue par le beau témoignage
qu'il en laissa dans « Enquête aux pays
du Levant » conquit rapidement tous les cœurs
par son affabilité et sa parole éloquente.
Dans la réponse qu'il fit à l'adresse
qui lui fut lue à la salle des fêtes,
faisant allusion à l'œuvre de Monsieur Saliège,
le Supérieur et à celle des missionnaires
il fit un rapprochement ému entre sa Lorraine
natale et le Liban, rappelant que la France, née
généreuse, à des victoires
pacifiques aussi glorieuses que ses conquêtes
guerrières. Après une visite rapide
de l'établissement et un long entretien au
salon avec Monsieur Sarloutte, le nouveau Supérieur,
et ses confrères, Maurice Barrès quitta
le Collège et se dirigea vers Byblos.
Monsieur
Sarloutte, Supérieur (1911)
Monsieur
Ernest Sarloutte succéda à Monsieur
Saliège. Il était arrivé à
Antoura en septembre 1903. Il avait gardé
par delà ses études ecclésiastiques
une solide culture classique. Il était poète
également.
Le
Collège d'Antoura ferma ses portes durant
la Première Guerre mondiale et les Lazaristes
furent expulsés par les Turcs d'Antoura.
Il devint un orphelinat turc et reçut des
orphelins arméniens auxquels étaient
mêlés des Turcs et des Kurdes. Leur
nombre dépassa les huit cents Khalida Hannoun
fut chargée par Djamal Pacha d'ouvrir le
Collège d'Antoura. De nombreuses jeunes filles
de bonnes familles turques furent engagées
comme enseignantes sous la direction de Khalida
Hannoun. Les propriétés de Mousbeh
et de Rayfoun furent exploitées au profit
de l'orphelinat. La religion officielle était
l'islam que l'on enseignait à tous les orphelins.
Le Muezzin chantait les heures de la prière
du haut de la tour du Collège.
En
1915 Monsieur Sarloutte fut affecté comme
aumônier volontaire sur les arrières
immédiats des fronts de Lorraine. Il fut
heureux de se retrouver dans sa Lorraine natale.
L'armistice
et le retour au Liban du Père Sarloutte
L'orphelinat
d'Antoura ferma ses portes avec la défaite
de la Turquie. Trois mois avant l'armistice Loutfi
Bey et son adjoint Rachid Bey annoncèrent
leur départ à leurs collègues
du corps enseignant.
Un
pharmacien Riza Bey dirigea la maison. Ce dernier
quitte à son tour Antoura avec tout l'élément
turc dirigeant, laissant la maison aux soins d'un
Russe Abdel Rahman Bey et des instituteurs libanais.
La
désorganisation fut inévitable. Le
ravitaillement n'y arrivait plus. Comment tenir
des enfants affamés. Ceux-ci se répandaient
sur la place précédant le collège
criant: Nous avons faim. Les orphelins arméniens
plus nombreux que les Kurdes engagèrent une
bataille entre eux. Le lendemain on expédia
sur Damas la plupart des orphelins kurdes. Un professeur
envoya à Monsieur Dodge, président
de l'Université Américaine un messager
muni d'une lettre demandant secours. Immédiatement
le président Dodge fit le nécessaire
et les enfants furent sauvés. Le 7 octobre
1918, Monsieur Sarloutte avait fait son réapparition
à Antoura. Débarqué à
Beyrouth aux côtés de l'amiral Verney,
son premier soin fut d'aller revoir son collège
et ses confrères à Ballouné.
Il avait retrouvé Antoura dans un état
pitoyable.
Grace
au président Dodge et à la Croix-Rouge
américaine, le Collège d'Antoura reprit
sa bonne marche.
La
famine au Liban
C'est
un tableau particulièrement triste et la
misère devient effrayante. La désolation
règne sur le littoral et dans la montagne
libanaise. On mourait partout et à toute
heure, en plein jour, devant le Sérail, devant
les restaurants et les hôtels, devant les
riches magasins et devant les palais. Du matin au
soir, les cloches sonnaient le glas en haute montagne.
Sombre tableau. Le premier soin de la France arrivant
au Liban, fut de sauver la population libanaise
de la famine et de la mort.
Monsieur
Sarloutte fut chargé de ravitailler toute
la partie nord du Liban, de Nahr el-Kalb à
la frontière. Le Père Remy supérieur
des Capucins de Beyrouth, de la ville de Beyrouth
et le Père Martimprey du Liban-Sud. Ils continuèrent
à distribuer des vivres mensuellement jusqu'en
avril 1919.
La
guerre terminée. Il fallut songer à
reprendre ses occupations de paix. Pour Monsieur
Sarloutte, c'était son collège, qu'il
allait falloir remettre sur pied pour une nouvelle
période d'activité.
Du
collège il ne restait guère que les
murs, tout son matériel avait disparu ou
était fortement endommagé.
L'entre
deux guerres 1919-1939
Monsieur
Sarloutte se rendit à Paris pour se reposer
de sa double campagne de Rouad et du ravitaillement
du Liban. Il alla trouver son nouveau supérieur
général. Celui-ci lui demanda d'aller
rouvrir son Collège d'Antoura. Il reprit
donc le chemin du Liban. La rentrée de 80
élèves en octobre 1919 fut modeste.
Monsieur
Sarloutte fut largement aidé par le General
Gouraud, Haut-commissaire de France. A la fin de
l'année 1919-1920, Monsieur Sarloutte faisait
installer l'électricité par une société
française qui venait de s'établir
à Beyrouth.
En
outre, sur le plan scolaire, le Collège d'Antoura
accueillait les fils des fonctionnaires du mandat
ou d'officiers des Troupes du Levant. En 1930, un
arrêté du Haut-commissaire de France
supprime le privilège de l'équivalence
du Baccalauréat accordé aux établissements
qui comme Antoura délivraient un diplôme
de fin d'études. Les Baccalauréats
libanais et français deviennent obligatoires
pour accéder aux facultés.
Monsieur
Sarloutte exigea un réajustement de programmes.
De nombreux étudiants égyptiens venaient
faire leurs études à Antoura.
Durant
le mandat français (1920-1943) les établissements
français connurent une grande prospérité.
Le Collège d'Antoura grâce à
Monsieur Sarloutte devint le centre scolaire le
plus important au Proche-Orient. Ses anciens élèves
occupèrent les postes-clés dans les
administrations publiques.
Centenaire
du collège (1935)
Durant
cette période, le collège devait être
centenaire. Il fut décidé, écrit
Joppin, de célébrer cet événement
par des fêtes solennelles en présence
de Monsieur Heuxdre, visiteur provincial des Lazaristes
du Levant. Elles eurent lieu le 5,6 et 7 mai 1935.
En
tète des anciens élèves, Monsieur
Georges Lecomte de l'Académie française.
Monsieur Selim Tacla, administrateur de la Ville
de Beyrouth prit la parole au nom des anciens et
présenta aux Pères Lazaristes les
félicitations du corps des anciens Cheikh
Youssef El-Khazen, député du Mont-Liban,
descendant de ce Khazen qui jadis avait donné
aux Pères Jésuites le terrain sur
lequel s'élève Antoura, prit également
la parole au nom de sa famille.
Les
autres personnalités religieuses qui étaient
présentes durant le centenaire furent:
Le
délégué apostolique, le patriarche
arménien catholique, Mgr Abdallah Khoury
représentant du patriarche maronite, de nombreux
évêques de toutes les communautés.
Le
3ème jour, placé sous la présidence
du Comte de Martel, ambassadeur de France et Haut-commissaire
en Syrie et au Liban, était réservée
aux autorités civiles et militaires du mandat
et aux amis du collège.
Monsieur
Emile Eddé, Me Béchara El-Khoury,
étaient présents. Monsieur Abdallah
Beyhum épingla sur la poitrine de Monsieur
Sarloutte la médaille d'or du Mérite
Libanais de 1ere classe pour ses vingt cinq ans
de supériorat.
De
son côté le gouvernement français
dans sa promotion du 14 juillet 1935 élevait
Monsieur Sarloutte au grade de Commandeur de la
Légion d'honneur et le 14 novembre de la
même année l'amiral Rivet venait lui
en décerner les insignes.
Enfin,
le Grand Prix de langue française fut décerné
au Collège d'Antoura.
Les
écrivains français à Antoura
A
la suite de Volney et de Chateaubriand, nombreux
sont ceux qui au 19ème siècle étaient
venus en Orient contempler les ruines des civilisations
écroulées chercher les vestiges de
spiritualité dans ces pays berceau des religions
ou simplement voir des pays de lumière et
de pittoresque.
Parmi
eux citons Maurice Barrès, Renan, les Frères
Tharaud, Henry Bordeaux, Lamartine et Pierre Benoit
et d'autres…
La
Deuxième Guerre mondiale (1939-1945)
Sitôt
l'ordre général de mobilisation lancé,
les Lazaristes d'Antoura mobilisés rejoignirent
les postes qui leur étaient assignés
aux armées, Monsieur Sarloutte lui-même,
quoique non mobilisé, repris par ses souvenirs
de la dernière guerre, alla offrir ses services
au général Weygand qui venait de revenir
au Liban avec le titre de Commandant en chef dans
l'Orient méditerranéen. Le plus grand
service qu'il pouvait rendre au Liban et à
la France, lui répondit le général,
était de rouvrir son collège. C'est
ce qu'il fit à la date habituelle, au début
d'octobre.
Le
collège durant la guerre reçut une
population d'élèves accrus et en rendant
aux autorités des services de guerre qui
lui seront bientôt demandés. Le collège
devint également le centre d'examen du Baccalauréat
libanais et français.
Signalons
à cette occasion que le Collège d'Antoura
fut occupé durant la guerre de 1939-1945
par des troupes françaises et par des légionnaires.
Mort
de Sarloutte
Le
rôle de Sarloutte ne se limitait pas à
son établissement. Son long passé
dans le pays, son imposante barbe blanche, les services
qu'il avait rendus, son caractère élevé,
tout commandait en lui le respect. Il usait de son
prestige pour les bonnes causes et les premiers
servis étaient ses anciens.
Le
26 février 1944, Monsieur Sarloutte rendit
son âme à Dieu, après plusieurs
mois d'hospitalisation. Sa disparition fut vivement
ressentie dans tout le pays. La marine française
envoya un piquet de marins qui monta la garde d'honneur
autour de l'ancien aumônier de la Flotte de
l'Ile de Rouad. Le président Béchara
El-Khoury nouvellement élu monta à
Antoura rendre hommage à la mémoire
de celui qui avait dépensé quarante
années de sa vie au service du Liban. Ses
obsèques furent un unanime hommage rendu
à sa mémoire.
Le
9 avril 1944, jour de Pâques, Monsieur Emile
Joppin, préfet de discipline du collège,
était nommé supérieur en remplacement
de Monsieur Sarloutte.
Les
supérieurs du Collège d'Antoura de
1834 à nos jours
Le
R.P. Supérieur Michel Attallah qui dirige
le Collège d'Antoura depuis 1970 avec un
zèle et une compétence étonnante
m'a délivré la liste des Supérieurs
du collège depuis sa fondation:
1-
P. Tepssere 1834-1837
2- P. Brasset 1837-1839
3- P. Laderriere 1839-1843
4- P. Amaya 1843-1845
5- P. Laderriere 1845-1852
6- P. Depeyre 1852-1866
7- P. Cauquil 1866-1872
8- P. Romand 1872-1873
9- P. Destine 1873-1876
10- P. Depeyre 1876-1879
11- P. Saliege 1879-1911
12- P. Sarloutte 1911-1944
13- P. Joppin 1944-1955
14- P. Bertrand 1955-1963
15- P. Maransin 1963-1969
16- P. Atallah Naoum 1969-1976
17- P. Atallah Michel 1976- ... etc
Après
cette étude nous pouvons conclure que le
Collège d'Antoura demeure et demeurera une
cité scolaire de première importance
au service de notre cher Liban.