Le
mystère de Byblos dans l’Egypte antique
par Michel Rouvière
Peu de personnes se rendent compte que la particularité
des sarcophages de cèdres dans les tombeaux
des premiers pharaons, renferme un mystère
bien étrange. En effet, tout égyptologue
souligne la pauvreté en bois de la vallée
du Nil ; il n’y aurait que le palmier, le tamaris,
le sycomore et l’acacia. Même les barques
se construisaient en papyrus. Seuls les Dieux et les
Rois avaient des vaisseaux en vrai bois, mieux en
cèdre.
Ce n’est pas n’importe quel bois.
Le cèdre est un des bois les plus noble dans
son aspect comme ses qualités. Sa présentation
en milieu naturel, suggère toujours la majesté
par ses formes étagées. Le balancement
lent de ses larges branches par vent fort en accentue
la solennité. N’avez-vous jamais entendu
dans votre réveil de cauchemar, au cœur
du silence de la nuit la plus profonde, les gémissements
apaisants de ce géant plein de sagesse ? Vaste
vaisseau immobile dans l’océan stellaire
des constellations, il renferme tout un monde. La
bible, en parle comme l’arbre divin par excellence.
Ses qualités intrinsèques odoriférantes
et imputrescibles nous touchent au plus subtil de
nos sens. En fait c’est un arbre incomparable,
un monument vivant plein de magie tranquille. Ces
spécificités convenaient parfaitement
au voyage éternel du plus digne des hommes,
le souverain parfait ; le pharaon.
Cette surprenante particularité est du domaine
du culte. Elle touche à l’intimité
de la pérennité du Roi vers l’éternité.
Les navires les plus anciens du monde sont les barques
funéraires en cèdre découvertes,
démontées, au pied de la pyramide Kheops
le 26 mai 1954 (43,4 x 5,9 m) ; si peu de bois devant
tant de pierres. Ancienneté oblige, dans celle
que vous pouvez admirer montée, hormis quelques
clous ou agrafes de cuivre, c’est seulement
des liens qui l’ajustent. Cependant, ce navire
porta le Pharaon lors de son dernier voyage terrestre.
Nous sommes d’une génération qui
peut voir ce que beaucoup n’ont pas vu, ou même
deviner. Parmi les sept différents sarcophages
le cèdre est entre l’or et le granit.
Son origine nous interpelle dès le début
du mythe fondateur ; l’épopée
osirienne.
De tous les Dieux qu’offrent l’Egypte
Antique, Osiris est le seul dont la représentation
soit exclusivement à visage simplement humain.
C’est le Dieu, fils des Dieux primordiaux du
Ciel et de la Terre, qui descend vers les hommes pour
les élever à leur vraie humanité.
Il transforme le troupeau, la harde ou la meute, en
une société d’abondance par le
génie de l’agriculture. Il y ajoute la
politesse. Ensuite il la tourne vers le divin en en
action de grâces. Il crée le culte. Sûrement
qu’il y apporta des chants merveilleux. Ainsi
s’établit un âge d’or, hantant
depuis l’imagination des hommes. Malheureusement,
venant du sud avec le souffle brûlant du désert,
le mal, la méchanceté du monde, incarné
par le monstrueux frère Seth, met un terme
à ce moment de perfection. Alors ce mauvais
frère, Seth, fait vivre sa passion à
Osiris. Il est d’abord tué à Nadit.
Cependant on ne sait pas où est ce lieu tragique
si ce n’est au haut du courant vers le sud.
Enfermé dans un sarcophage il descend le Nil.
La royale dépouille mortelle va au gré
du fil de l’eau.
Son sarcophage, était-il déjà
en cèdre?
C’est impossible.
Peut-être en pierre.
Prenons les vases dans la préhistoire de la
civilisation Egyptienne.
« La grande majorité de ces pièces
est taillée dans les pierres les plus dures
: basalte syénite, granit, porphyre, serpentine,
diorite. Et l’habileté technique des
Egyptiens qui s’était déjà
révélée si grande dans la taille
des silex, atteint alors son plus haut degré.
D’autant que tous étaient uniquement
travaillés à la main, sans l’usage
de tours ni de forets, avec la seule aide de la poudre
d’émeri et d’instruments de pierre.
Tel qui plein pèserait 200 Kg peut être,
une fois terminé, soulevé avec un seul
doigt. D’autres taillés dans le granit
le plus dense, ont été tellement amincis
qu’ils sont devenus à moitié transparents.
La plupart d’entre eux, sans décor aucun,
tirent toute leur qualité de la perfection
achevée de leur galbe et de la beauté
de la matière. »[1]
Le plus humains des Dieux, le plus Dieu des hommes
descend le courant du Nil jusqu’à Bousiris,
dans le delta. Beaucoup de documents égyptiens
l’arrêtent en ce lieu ; la ville au niveau
de la mer Méditerranée. Ensuite la rédemption
continue en remontant le courant, avec l’aide
d’Isis la magicienne son épouse et sa
sœur. C’était il y a plus de quatre
mille ans.
C’est là que se situe le Liban de Byblos.
Le grec Plutarque, au temps de l’âge d’or
de l’Empire romain, nous révèle
une part de l’énigme. Il était
prêtre des Mystères d’Eleusis.
C'est-à-dire ; comment revivre après
la mort ? Eh bien. Comme les végétaux
toujours renouvelé allant d’un printemps
à l’autre ! La déesse titulaire
de ce lieu sacré, Déméter, Cérès
pour les Latins, tous les six mois, va chercher toujours
sa fille Perséphone aux enfers. Au travers
du jeune Triptolème, elle avait enseigné
aux hommes l’agriculture. Les Athéniens
disaient même, que lui aussi jugeait les morts
au côté de Minos et de Rhadamanthe. Notre
cher Plutarque à partir d’un vieux fond
égyptien, mène le sarcophage d’Osiris
jusqu’à Byblos. La terre du bel Adonis
aimé de Perséphone et d’Aphrodite,
possède aussi sa chanson du Printemps. La cité
de l’écriture, du papyrus, du livre,
de la bible reçoit-elle par le courant marin
quelques feuillages des rives du Nil ? Quoiqu’il
en soit un buisson en son sein protégea le
coffre. Par la vertu du cadavre divin ce buisson salvateur
se transforme en cèdre. Jusqu’au jour
où Malcandre, le roi du pays, coupa la tige
et en fit une des colonnes de son palais.[2]
Cette colonne sera le pilier Djed. Il entrera dans
les signes hiéroglyphiques des cités
du Delta Bousiris et Mendès dévouées
à Osiris. Ce sera la colonne vertébrale
d’Osiris, une des reliques les plus importante
du monde égyptien. Comme la croix Ank rappelle
Chou, l’Air primordial et le sceptre Ounas la
Chaleur vitale. Dans le rite de la momification on
mettait en dernier cette amulette sur le dos du corps.
Isis par révélation céleste,
se fit connaître à Byblos. En fait, elle
n’avait qu’à suivre la migration
saisonnière des oiseaux, comme le milan, le
faucon, ou l’aigle pécheur. Sans épreuve
particulière, nous sommes sur une terre hospitalière
et de bon aloi, elle obtint la restitution du corps
de son mari et frère. Ensuite elle revint à
Bousiris. L’épopée reprend son
cours normal. Seth se ressaisit du corps d’Osiris.
Il le dépèce en 42 morceaux, correspondant
aux 42 nomes d’administration historique de
l’Egypte. Isis fera une seconde recherche fructueuse.
Elle rassemblera le corps épars. Elle enfantera
Horus, vengeur de son père.
Il sera le premier des pharaons.
Beaucoup limitent Osiris au seul royaume des morts.
Certes nous passerons tous devant son jugement après
notre décès, mais il est autre chose
de plus grand aussi. Dans sa renaissance il y a toute
la symphonie cyclique du monde végétal.
Actuellement la veille de Noël, dans des familles
libanaises et orientales on fait germer dans un petit
récipient en un coin du salon, des grains de
blé ou d’orge. Je ne puis, alors, m’empêcher
de songer à Osiris. De nombreux égyptologues
nous parlent des Osiris végétant retrouvés
ici et là, ayant 35 à 50 cm. Des formules
des Textes des Sarcophages soulignent le parallélisme,
le lien, entre la régénération
du défunt et l’apparition des jeunes
pousses d’orge sur le corps d’Osiris.
Il est à remarquer quelques pièces ayant
des affinités avec ces jardins osiriens ; il
s’agit de rares exemples de briques cuites dont
la surface supérieure est percée d’une
cavité empruntant la forme du profil d’Osiris.
Ces briques ont 20 cm de long sur 10 cm de large.
Elles pouvaient servir de première pierre de
fondation mais aussi recevoir du limon et des graines.
Un peu plus tard nous voyons que l’amour conjugal
fait des merveilles en enfantant Horus.
Toutefois le vrai mystère demeure dans l’importance
accordé au Cèdre. Si, comme des Egyptiens
particulièrement nationalistes, on arrête
la descente du premier sarcophage à Bousiris
ou à Mendès, vous ne rencontrez pas
de cèdre. Alors comment expliquer l’importance
de ce matériau dans cette première momification
et funérailles pharaoniques ? Quarante siècles
avant Jésus-Christ, les Egyptiens extrayaient
l’essence de cet arbre. Où l’avait-il
cherché ? Certains mettent un relais à
Bousiris. Il y avait antérieurement un dieu
archaïque du lieu : Andjty. Osiris se confondit
avec lui. La résolution du mystère n’est
pas faite. La question demeure ; comment le bois de
cèdre arriva-t-il à Bousiris ? Il fallut
bien que quelqu’un alla jusqu’à
Byblos puis en revint. Etre subjugué par cet
arbre magnifique, le cèdre, il n’est
rien qui ne soit plus naturel. On hésite à
le toucher. Porter atteinte à cette sorte de
perfection naturelle est tabou. Maintenant encore,
le forestier bien sûr, mais tout homme bien
né, se plaint dès qu’il faut en
abattre un. Cette opération nécessite
tout un appareillage. Entre Paris et Roissy Charles
De Gaulle, deux cèdres, un mâle et un
féminin, firent dévier l’autoroute.
L’avez-vous remarqué ? Pourtant nous
étions en pleine époque d’expansion
économique. C’était dans les années
1970.
Alors, comment, à l’âge de la pierre,
car le bronze n’était qu’à
ses débuts, oser porter atteinte à un
cèdre ?
C’est un blasphème.
L’abattre ?
C’est un crime. Une crucifixion.
Le traîner dans la souillure de la boue avec
les griffures des pierres, jusqu’à la
mer ; une profanation, un chemin de croix.
Enfin, une longue navigation le lave, le soigne. Alors,
arrivé à Bousiris, nous comprenons qu’il
soit redressé semblable à un vivant,
en signe de résurrection. Il est toujours aussi
noble de parfum, de texture jusqu’à la
moindre de ses fibres. Il a quelques aspects de l’immortalité.
Nul ver ne peut y pénétrer. Il mérite
d’accompagner Osiris rédempteur.
Pourtant, nous pouvons dire de la civilisation Egyptienne
Antique, que ce fut une civilisation lithique ; de
la pierre. Elle atteint dans ce domaine une perfection
en finesse que les métaux n’arriveront
pas toujours à égaler.
Cette perfection dans le travail de la pierre pose
des questions sur la nécessité d’avoir
un bois aussi exotique que le Cèdre. D’autant
plus que dans la civilisation égyptienne nous
assistons à une évolution inverse. Les
égyptologues reconnaissent dans les temples
de pierres leurs origines végétales.
L’exemple le plus évident vient des colonnes
et des piliers. Ils ont des formes de palmiers, de
papyrus, de lotus ; végétaux fragiles.
Soudain, ils se pétrifient parfaitement dans
le calcaire des brûlantes carrières nilotiques.
Une des caractéristiques les plus notoires
de l’architecture égyptienne est la porte
monumentale à gorge. Elle provient du fait
que les parois végétales des huttes
primitives étaient constituées par des
faisceaux de tiges serrées par un lien au-dessous
de leurs têtes. C’est l’évasement
des têtes au-dessus du lien qui donna naissance
à la conception de la gorge surmontant la porte.
Les arêtes de roseaux se transforment en corniche
aux lignes pures se détachant dans l’azur
du ciel égyptien le soir. Les ligatures de
joncs forment des tores réguliers.
Dans les sarcophages nous assistons à une mutation
inverse ; de pierre ils se transforment en cèdre.
Bien que le mot cèdre remonte au début
de l’écriture hiéroglyphique.
Quelques fois, mais rarement, on recouvre le bois
sacré de feuilles d’or. Ce métal
que l’on dit de la chair des Dieux. Entre le
corps du Roi et le cèdre, il peut y avoir l’or.
Malgré cela, il faut reconnaître que
le cèdre ne se prête pas à ce
genre de substitution. Il se suffit à lui-même.
Certains voient dans le cadre minéral impitoyable
des chaînes arabiques ou libyques de l’Egypte,
sous un ciel écrasant de chaleur et d’éclat,
la nécessité pour les hommes de penser
l’indestructible, l’éternel, le
définitif. La sècheresse de l’air
est telle que les morts se momifient naturellement
sans que la pourriture de la fermentation parvienne
à les liquéfier. Le bois se pétrifie.
Le granit dure. Un fleuve immense et singulier, permet
la vie sur ses rivages changeants au gré de
la respiration de ses inondations redoutables et de
sa dangereuse faune ; crocodiles et hippopotames.
Un tel environnement conduit à la prémonition
de l’éternité dans le temps et
de l’illimité dans l’espace.
En contre partie se présente le mont Liban.
Personnellement j’essaie de m’imaginer
l’arrivée d’un Egyptien au pays
de Byblos.[3] Regardons «La
mer, la mer, toujours recommencée !»[4]
miroitante perpétuellement. Elle est comme
au premier temps. Tournons-nous vers la montagne.
Là, il faut faire un grand effort d’imagination.
Une forêt immense de cèdres gigantesques
nous accueille depuis les bords du rivages roc ou
sable jusqu’aux sommets des neiges éternelles.
C’est un temple naturel. Nul homme ne peut en
bâtir un semblable. Le sol offre un tapis d’aiguilles.
Elles adoucissent nos pas. Des clairières d’herbe
fraîche nous invitent au repos. Les branches
avec leurs étages de verdures nous prennent
du raz du sol pour nous mener par notre regard à
la cime des cieux. L’ombre fraîche s’embaume
et nous fait parler bas parmi ces géants débonnaires
et interrogateurs. Une source d’eau pure nous
murmure une chansonnette d’amour. N’est-ce
pas une sorte de paradis ? Un contre point complémentaire
à l’Egypte ? Une sensation de vitalité
paisible nous marque alors à jamais. Nous ne
voudrions plus quitter cet endroit enchanteur. Comment
ne pas songer à « Correspondances »
de Charles Baudelaire.[5] Autour
de l’Egypte on ne trouve pas un semblable cadre.
Ce n’est ni les déserts sahariens où
la torride Nubie qui me contrediront. Le bois de cèdre
attestait qu’un paradis, au nord, existait sur
terre en plus des bords du Nil. La brise rafraîchissante
venant de là était espérée
dans la vallée du Nil. Les navires chargés
avaient leurs voiles tendues, avec la fraîcheur,
ils remontaient le courant.
Notre étonnement vient de ce que les Egyptiens
n’acclimatèrent pas cet arbre divin dans
leurs temples ou au moins aux seuils de leur demeure.
En France, rare sont les châteaux du XIX siècle
qui n’ont pas leur cèdre dans leur parc.
Avec l’animation de la vie d’une famille,
comme au temps de comtesse de Ségur, c’en
est l’un des principaux charmes. La Pharaonne
Hatshepsout, (1520–1484), entreprit une mémorable
expédition au pays de Pount pour en ramener,
entre autre de l’arbre à encens. Il fallait
naviguer vers le sud, loin après Abou Simbel.
Le vizir, architecte aussi, Senmout sur ses cinq bateaux
ramena entre milles merveilles surtout trente et un
arbres à encens. Ils furent transplantés
dans la cour son temple dédié à
Amon. On sculpta leur profil sur le mur d’enceinte.
On narra cette épopée en hiéroglyphes.
Amon aura en abondance l’encens.
Pour les cèdres nulle transplantation.
Peut-être que le climat ne le permet pas;
Peut-être que les Egyptiens considéraient
Byblos comme le 43ième nome exotique, comme
bien plus tard avec Alexandrie. « En outre,
voit Gubla (Byblos). Exactement comme Hikuptah (Memphis),
ainsi est Gubla pour le roi mon Seigneur »[6]
A Byblos, la plus ancienne de Phénicie, les
premières manifestation artistiques, colliers,
pendentifs sont manifestement d’inspiration
égyptienne. Elle entretient un lien privilégié
avec l’Egypte. Une vaste aire sacrée,
de l’âge du bronze, caractérisée
par la présence d’une source a une Astarté
appelée « Dame de Byblos » aux
traits d’Hathor.[7] Pour les
témoignages sculptés plus évidents
de cette proximité il faut descendre au IX
siècle avec un buste d’Osorkon Ier, (984-978).
Le sarcophage de Tabnit nous mène à
la fin VI siècle. Quant à celui de celui
d’Eshmunazor du V siècle, nous sommes
déjà dans l’histoire familière.
Vu dans la perspective du temps ils sont aussi éloigné
du voyage d’Osiris que nous par rapport à
eux.
Laissons notre imagination accompagner Osiris et Isis
dans leur première résurrection au pays
des cèdres, à l’aurore du monde.
Le cœur suffit, pour qui sait ressentir. Les
Dieux ont foulés la terre du Liban.
On peut en ressentir des traces aux détours
d’une promenade, quand nous laissons la nature
tranquille, apaiser notre âme.
[1] Le Style Egyptien
Christiane Desroches-Noblecourt 1946 [2] Le papyrus du Louvre publié
par Chassinat (Recueil de Travaux, XIV, p. 14) [3] 2 700 av J.C « La Méditerranée
des Phéniciens » p 271 Jean Paul Thalmann
2007 [4] Le cimetière marin, …O
récompense après une pensée,
qu’un long regard sur le calme des Dieux ! [5] La nature est un temple où
de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
L’homme y passe à travers des forêts
de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
…… [6] Rib-Addi, roi de Byblos, à
Akhénaton, « La Méditerranée
des Phéniciens », Eric Gubel p 111 [7] Paolo Xella, Religion et panthéon,
La Méditerranée des Phéniciens,
P50