Les
hommes habitèrent des grottes naturelles longtemps
avant d'avoir songé à se bâtir
des abris. Nous avons demandé au Dr. D.A.E.
Garrod d'évoquer pour nous ces premières
« Habitations Libanaises ».
Les
premières habitations au Liban
«
Bien avant qu'une maison, sous sa forme la plus élémentaire
n'ait été construite, les caves naturelles,
nombreuses au Liban, servaient d'habitation aux hommes
du paléolithique.
Ils
y ont laissé des amas de charbon et d'os d'animaux
calcinés, ce qui montre qu'ils utilisaient
le feu pour préparer le gibier de leurs chasses.
Les
traces de ces primitifs ne se trouvent pas uniquement
à l'entrée des grottes, mais un peu
partout à l'intérieur, sans apparence
d'ordre ou de distribution. Des blocs, pierres tombées
du toit, auraient servi de sièges, mobilier
élémentaire; mais il ne reste aucune
trace de division intérieure des caves en quartiers
d'habitation, de travail ou autres.
N'importe
quelle cave servait à l'homme primitif; les
traces d'habitation sont cependant plus nombreuses
dans celles qui s'ouvraient vers l'ouest ou le sud.
La
plus ancienne habitée au Liban est la grande
cave, connue sous le nom de Mugharet-el-Bezez, prés
d'Adloun, submergée il y a environ 100.000
ans, lorsque le niveau de la mer dépassait
de 15 mètres le niveau actuel. Dès le
retrait des eaux, quelques 20.000 ans plus tard, les
hommes préhistoriques y pénétrèrent
et laissèrent des outils de pierre sur le sable
qui couvre le sol de la cave.
Puis,
au cours des âges, de 50.000 à 12.000
av. J.-C., des hommes de types physiques progressivement
évolués continuèrent à
habiter les grottes du pays; mais aucune trace de
construction ou d'organisation de leurs espaces intérieurs
n'apparaît malgré la netteté des
foyers et l'abondance des outils de pierre.
Une
ou plusieurs de ces époques d'occupation humaine
ont été décelées dans
les caves du Nahr-el-Kelb, détruites lors de
la construction du tunnel, dans les grottes érodées
du Nahr Ibrahim et dans l'abri rocheux de Kasr Akil,
prés d'Antelias.
Ce
dernier abri a été occupé pendant
une période plus longue que les autres grottes
paléolithiques du pays.
Les
fouilles des sables de Ras Beyrouth ont révélé
que les hommes du paléolithique n'ont pas habite
que les caves. Mais aucun vestige de hutte, d'abri
bâti, n'a été mis à jour.
Les
premières pierres empilées de murs ou
de fondations de maisons ont été découvertes
en Palestine, associées à la culture
natoufienne qui remonte au mésolithique (env.
9.800 ans av. J. C.). Bien que des outils de la période
natoufienne soient dispersés dans les sables
de Ras Beyrouth aucune habitation n'y a encore été
découverte.
Nous
devons attendre le néolithique pour voir apparaître
les constructions libanaises les plus élémentaires.
(D.A.E. GARROD)
Cependant,
pour des raisons de sécurité, ou encore
de culte, certains habitants du pays, plus récemment,
auront recours aux grottes; c'est le cas du Couvent
de St-Maron aux sources de l'Oronte, des couvents
d'ermites de la Kadicha ainsi que la forteresse de
Tiron-Chekif à Niha et des caves de Fourzol.
Maurice
Dunand, dans sa Chronologie des plus anciennes installations
de Byblos (Revue Biblique, octobre 1950) décrit
la première architecture de Byblos:
1-
« L'installation initiale est caractérisée
par de nombreuses aires enduites de chaux, qui représentent
des sols d'habitation de plan rectangulaire. Elles
sont constituées par un radier de cailloux
de la dimension du poing ou de deux poings, recouvert
d'une forte épaisseur de marne pénétrant
bien les interstices. Cette marne est revêtue
d'une mince couche de chaux carbonatée, soigneusement
lissée, sans doute au moyen d'un gros galet.
Tout autour de ces sols s'élève un petit
muret d'une ou deux assises de simples pierres de
ramassage. » (Cette installation initiale néolithique
de durée indéterminée, semble
remonter vers 5000 av. J.-C.)
2-
A cette installation initiale se superposent immédiatement
les tombes en jarre de la nécropole énéolithique…
Les
logis des vivants qui ont peuplé cette nécropole
sont représentés par des cabanes circulaires,
au sol de terre battue ou revêtu de cailloux.
Les murs consistent en deux, au maximum trois, assises
de pierres brutes, sans aucun apprêt, ne dépassant
guère deux dcm dans leur plus grande dimension.
Le diamètre de ces aires est de 3 à
4 mètres, rarement plus. A côté
de ces constructions de plan circulaire, il en est
d'aussi nombreuses de plan rectangulaire ou trapézoïdal,
parfois divisées par un mur de refend. Les
angles ont l'arête interne aigue, mais sont
arrondis extérieurement. Exceptionnellement,
ils sont à arête aiguë au-dedans
comme à l'extérieur. Hormis quelques
cavités destinées à recevoir
des vases ou des provisions, aucune trace d'aménagement
structural, aucune base de poteau n'a jamais été
rencontrée dans ces habitations. (Cette période
néolithique va de 3500 à 3250 av. J.-C.)
3-
«Succédant aux maisons rondes
et à celles aux angles arrondis de l'installation
précédente, on voit s'instaurer une
organisation nouvelle de l'habitation. Les logis sont
rectangulaires et conservent souvent une division
au tiers de leur longueur. Ils sont encore isolés,
mais aussi parfois groupés, sans être
accolés. Les sols sont fréquemment enduits
d'une couche de terre battue. La base axiale fait
son apparition. La couverture était donc supportée
par un, parfois deux fûts médians. Les
murs ne s'élevaient guère au-dessus
de la hauteur d'appui…»
«Les
pierres utilisées dans les constructions ne
sont plus le tout venant des simples pierres de ramassage.
La pierre sableuse est seule employée. Elle
se présente en plaques d'une quinzaine de centimètres
en moyenne. Ce gabarit oblige souvent à les
poser obliquement, dans un sens opposé d'une
assise à l'autre. Pour cette raison, nous appelons
ce modèle d'assemblage « l'appareil en
épi».
«Ces
pierres ont été tirées de la
dune consolidée sous-jacente. De par sa formation,
cette roche se clive, les plaques trop minces se cassent,
d’où élimination de toutes celles
qui n'ont pas une épaisseur suffisante. Aucune
trace de taille ou de reprise n'est discernable sur
ces blocs, ils n'ont apparemment aucun apprêt
avec un instrument quelconque.»
«On
les a apparemment extraits par percussion provoquant
l'éclatement de la roche. Nous sommes là
au début de l'industrie de l'extraction. Mais
l'outil de carrier avait déjà vu le
jour, car on reconnaît son usage sur les bases
axiales qui sont en calcaire et parfois remarquablement
dressées…»
«Organisation
du logis, tracés urbains sont des nouveautés
qui surgissent dès le début de la nouvelle
occupation… » (Cette installation intermédiaire
s'étend de 3200 à 3100 av. J.-C.)
4-
Cette architecture avec appareil en épi évolue
vite et une transformation profonde, quoique sans
rupture ni destruction, aboutit à une première
installation urbaine. Le plan des salles rappelle
par ses proportions et sa disposition en largeur celui
des logis précédents, mais il devient
plus régulier. Innovation capitale, désormais
les salles se groupent en disposition angulaire pour
former une cour, qui est parfois fermée. La
couverture se transforme, car aux bases axiales se
substituent ou s'ajoutent des bases au pied des longs
côtés. Mais il n'y a jamais de base dans
les angles. »
«D'une
forme semi-cylindrique ou semi-ellipsoïdale,
la maison est donc devenue à peu prés
prismatique. »
Sauf
pour les bases de poteaux, l'ouvrier s'en prend presque
uniquement à la pierre sableuse qui est facile
à travailler. Il la dresse avec beaucoup de
rectitude et sait en apprécier l'équerre.
Aussi les moellons de mieux en mieux équarris
entrent-ils en nombre toujours croissant dans les
murs.»
«De
là un appareil régulier, un acheminement
à la construction par assises régulières
et au chainage d'angle.»
«Les
murs prennent une épaisseur remarquablement
constante de 0,75m. constituée de deux parements
de pierres avec remplissage interne. Ces agencements
pariétaux ont engendré la juxtaposition
des cellules individuelles en des habitations à
plusieurs pièces. La juxtaposition se fait
par les petits côtés ou par un petit
côté jouxté à l'extrémité
d'un grand, comme dans un rang de dominos.»
«La
charpente a dû progresser à la mesure
de l'art de bâtir. Ces poutrages et assemblages
ne sont devenus possibles qu'avec un outillage approprié.
On est déjà loin de la première
apparition du cuivre dans cinq des 851 tombes de la
nécropole de l'énéolithique B.
L'outil qui marque ce stade dans l'évolution
de l'architecture, c'est la hache plate à taillant
épanoui, avec talon étroit et perce.
Parfaitement adaptée au travail du bois et
de la pierre, cette « hache » était
bien à la mesure des besoins de l'artisan car
elle n'évoluera plus pendant prés d'un
millénaire.»
«
Le réseau urbain est fort clair, les ruelles
se dessinent nettement. Au cœur de la cité
la source est en plein usage… Les premières
canalisations sont établies pour l'évacuation
des eaux de pluie. (Cette première installation
urbaine s'est développée de 3100 à
2800 av. J.-C.) MAURICE DUNAND
De
ces habitations, ne nous restent que des relevés
et quelques traces au sol qu'il est permis, avec prudence,
d'interpréter.
A
cela s'ajoute l'Histoire qui, lorsqu'elle
s'exprime au travers de légendes, de tradition,
de textes, si l'on s'efforce d'y découvrir
le fond de vérité, peut aider à
retrouver les caractéristiques essentielles
de ces formes primitives qui sont à la base
de la Tradition naissante des habitations libanaises:
«Si
jaloux que fussent les Grecs de leur autochtonie partout,
cependant, on les voit rattacher la fondation de leurs
villes à l'arrivée d'étrangers
qui, doués d'une force et d'une sagesse surnaturelles,
auraient plié à des usages nouveaux
les habitudes des populations. Bref, toutes les légendes
dépassent les bornes étroites de la
péninsule européenne, elles convergent
toutes vers l'autre rivage, d’où seraient
venus dieux et héros… C'est là
le souvenir d'une civilisation importée de
l'Orient par voie de colonisation…» (E.
CURTIUS, Histoire Grecque, traduction Bouché-Leclercq,
Paris 1880)
Les
villes phéniciennes, non seulement existaient
au début de l'époque historique, mais
étaient renommées dans le monde méditerranéen.
La Bible, parlant de Tyr, disait: « Ton territoire
est au cœur des mers; ceux qui t'ont bâtie
t'ont rendue parfaite en beauté » (Ezéchiel
27-4). La tradition faisait alors remonter la fondation
des cités à certains dieux; Tyr se rattache
à Melkart, fondée, d'après Hérodote,
en 2750 av. J. C. Philon écrivait que le dieu
El aurait fondé Gébal, la future Byblos.
La
Bible nous apprend encore que Salomon demanda à
Hyram de Tyr des maçons pour construire son
temple: « Hyram, roi de Tyr, répondit
dans une lettre qu'il envoya à Salomon…
Je t'envoie un homme habile, Huramadi, fils d'une
femme d'entre les filles de Dom et d'un père
tyrien. Il est habile pour les ouvrages en or, en
argent, en airain et en fer, en pierre et en bois…
» (Des Chroniques, histoire de Salomon, 2-11-13-14)
Les
Phéniciens sculptaient le bois; la légende
égyptienne d'Osiris et la tradition d'Adonis
selon laquelle Myrha fut transformée en un
arbre (ou eut sa statue taillée dans un tronc
d'arbre) semblent toutes deux le confirmer.
L'archéologie
découvre des indices précis mais fragmentaires,
suggère certaines techniques de travail; l'histoire
nous parle de la beauté des cités et
de l'habileté des artisans.
Effectivement,
les habitations rectangulaires de la fin du 4e millénaire,
pour primitives qu'elles soient encore, posent déjà
les problèmes de base de l'Architecture que
sont la stabilité des murs et la construction
de la toiture.
Le
manque de stabilité et de cohésion des
murs provoquait leur fissuration, voire leur rupture.
Ce phénomène est du à la poussée
(arch effect) latérale qui s'exerce dans le
mur, vers les angles. Ces angles, ces coins, afin
d'absorber ces poussées, doivent être
solidement fondés. Les anciens étaient
conscients de cela et enfouissaient les coins de fondation
à un niveau inferieur. Ces coins étaient
faits d'une grande pierre informe et dure, trop dure
pour être taillée.
«
La pierre refusée par les maçons était
employée comme pierre de coin ». (Matthieu
21-40, Marc 12-10, Luc 20-17)
Puis
les pierres d'angle furent plus soigneusement taillées
et appareillées en alternant petites et longues
faces. Les fondations étaient plus larges que
les murs; et lorsqu'un mur était élevé,
son épaisseur diminuait graduellement; cette
réduction affectait la face intérieure
par étage, répartissant mieux la charge
à l'intérieur du mur. Des contreforts
assuraient la stabilité des longs murs; à
Byblos il y en avait aux remparts et à certaines
constructions importantes. Cet effet de contrefort
était sans doute recherché lorsque les
chambres en enfilade des maisons longues se décalaient
l'une par rapport à l'autre.
Pour
éviter les fissures, sensiblement verticales,
provoquées par l'affaissement des fondations
et afin d'assurer une meilleure cohésion du
mur, les constructeurs phéniciens introduisirent
des poutres de bois entre certains lits de pierre.
Ce chainage se développa par la suite; on le
trouve dans le temple de Salomon, à Petra pendant
la période romaine, à Beit-Eddine au
XIXe siècle ainsi que dans des maisons de Baalbek
et d'ailleurs.
Quant
aux toitures il semble qu'elles s'assimilèrent
réellement à la construction au début
du 3e millénaire, du moins à Byblos.
Elles étaient supportées par des poteaux
de bois; une rangée de ces poteaux permettait
de couvrir un grand espace. Chaque poteau reposait
sur une pierre qui répartissait ses charges
en les protégeant de l'humidité.
La
légende d'Osiris raconte qu'un de ces piliers,
après avoir été reconnu, fut
enlevé et remplacé facilement; ce qui
suggère que la poutre devait être soutenue
en plusieurs points.
En
ce début de troisième millénaire,
les constructions comportaient 7 poteaux:
« La Sagesse a bâti sa maison Elle a taillé
ses 7 colonnes ». (Bible, Proverbe 9-1)
Six
de ces poteaux étaient repartis tout autour,
opposés les uns aux autres, jamais dans les
angles. Le 7e n'était pas exactement au centre
de la pièce; il supportait la poutre au tiers
de sa portée. Cette position empirique était
imposée par la forme de la poutre, tronc d'arbre
dont la section diminuait. Le calcul confirme ce détail
qui satisfait la logique, et l'œil sensible à
l'équilibre des choses; le moment fléchissant
maximum, et par conséquent le point de rupture
probable, se trouve sensiblement au tiers de la distance
à partir de la section la plus faible, à
partir du sommet du tronc.
Maintenant encore, le paysan libanais soutient la
poutre longitudinale de sa maison pendant le tassement
de sa terrasse en terre battue; il place alors un
poteau provisoire au tiers de la portée. Il
sait que là peut se produire la rupture due
aux vibrations du travail. C'est une sagesse qu'il
a héritée, sans le savoir, de la tradition
antique, et que les mathématiques confirment.
Chapitre
deuxième: Matériaux
et Outillage
Les
Matériaux de construction
Le
long de la côte phénicienne le matériau
de construction était la pierre de sable, à
l'exception, cependant, des constructions primitives
des hautes époques. C'est le cas des murs de
fortification de Byblos où la pierre calcaire
à précédé la pierre de
sable. C'était normal; le calcaire se travaille
facilement; il suffit d'un coup de masse pour produire,
par clivage, une face plane et régulière
alors que la pierre de sable doit être taillée
sur toute sa surface. Puis la pierre de sable devint
le matériau dominant tout au long de la côte,
durant les périodes perse, hellénistique,
romaine, byzantine, arabe et croisée. Il est
probable que cette continuité se trouva renforcée,
dans ces trois dernières périodes, par
le pillage et le réemploi des matériaux
des monuments hellénistiques et romains, véritables
carrières de pierres déjà taillées.
Byblos est riche de ces fragments mêlés
où des restes antiques se retrouvent jusque
dans les murs des maisons actuelles.
A
la frontière nord du pays, où le sol
est sombre de pierres noires, on utilisait le basalte,
d'origine volcanique, dur à tailler. Maintenant
encore villages et maisons de paysans ont la couleur
du sol, émanations, cristallisations, boursouflures
géométriques du paysage; le pays est
dur, ingrat et son architecture austère, d'une
beauté hostile, amère, difficile à
pénétrer.
A
Saida et Tyr, les premières constructions étaient
en calcaire tendre pour ne plus être employé,
plus tard, que dans les fondations. A Beyrouth également,
les premières maisons phéniciennes étaient
en calcaire rapidement remplacé par la pierre
de sable.
Dans
les régions pauvres en carrières, c'est
le cas de la Bekaa, une architecture de briques séchées
au soleil, de pisé et d'enduit de terre se
développe.
Le
marbre apparaît vers le VIe et Ve s. av. J.
C. Il est alors importé de Grèce. Durant
la période romaine, le granit vient d'Egypte
en grande quantité; il est généralement
taille au Liban. Mais ce sont là matériaux
étrangers; ils apparaissent lorsque le pays
fait partie d'une puissante entité politique,
lorsqu'il s'ouvre aux influences des pays voisins;
ils apparaissent dans les monuments publics ou religieux,
ou dans les demeures patriciennes.
L’outillage
Au
début, un coup correctement appliqué
provoquait le clivage de la pierre calcaire; une simple
masse dure suffisait à cette taille primitive.
Cette technique est visible sur les remparts phéniciens
de Byblos. Dès le troisième millénaire,
une pointe métallique est employée pour
aplanir les bases des piliers de bois et les pierres
d'angle des murs. Cet instrument était probablement
un pic.
Assez
rapidement les outils et techniques se différencièrent,
donnant naissance à différentes écoles
de tailleurs de pierre.
L'outil
et l'école laissèrent leurs traces caractéristiques
sur les pierres, qui permirent de les déceler
et de les définir. L'étude de ces traces,
leur répartition et leur interprétation
fait l'objet d'une vaste étude dont voici les
points essentiels.
On
peut grouper les tailleurs de pierres en quelques
grandes écoles:
1-
L'école arméno-anatolo-étrusque
qui employait un outil assez semblable à une
hache: le manche de cet instrument est dans le plan
du tranchant: c'est le « taillant droit ».
L'artisan travaille le parement de la pierre latéralement
et l'attaque par un coin; ses traces suivent une direction
diagonale. Cet instrument est encore actuellement
employé en Europe.
2-
L'école grecque dont le plus ancien outil était
un « taillant droit », remplacé
plus tard par un ciseau et un marteau. Au 6e siècle
av. J.-C. des dents apparaissent au ciseau. Les traces
laissées de l'instrument sont courbes; leur
centre est sensiblement situé au coude du tailleur;
parfois un sillon apparaît sur la tranche de
la pierre, le long du bord longitudinal.
3-
L'école libano-syrienne qui utilisait un instrument
dont la surface coupante est perpendiculaire au manche:
au 6e siècle av. J. C. des dents apparaissent
au tranchant, en même temps qu'au ciseau de
l'école grecque. Ces dents donnent une meilleure
prise sur les pierres dures. Cet outil, l'actuelle
« chahouta », attaque la pierre de face
et y laisse des traces parallèles aux arêtes.
L'école
libano-syrienne peut se diviser en deux groupes:
-
le groupe du Nord, répandu dans le Nord de
la Syrie actuelle, dans la région d'Alep, qui
travaillait, à la chahouta, toute la surface
de la pierre.
-Le
groupe du Sud, dans le Liban actuel et le Nord de
la Palestine, qui taillait au ciseau sans dent les
bords de la pierre, avant de l'aplanir à la
chahouta.
Pendant
la période romaine, de grands édifices
furent construits en Syrie et au Liban. Chacun est
bâti par l'un ou l'autre de ces groupes. Aucun
vestige n'a été trouvé jusqu'à
présent, qui montre une collaboration dans
un même travail. Chaque école de taille
de pierre bâtissait les habitations sur le plan
qui lui était propre:
La
grecque et l'arméno-anatolo-étrusque
construisaient des demeures autour d'un atrium, d'une
cour centrale.
La
branche orientale de cette dernière construisait
sur un type de plan que nous appelons, dans la suite
de notre étude, le « plan avec liwan
».
La
libano-syrienne a développé le type
d'habitation à hall central.
Les écoles ont aussi des spécialités:
L'école
arméno-anatolo-étrusque, réputée
par ses arches, réalise la plupart des aqueducs;
elle construit également des voûtes coniques,
alors que l'école grecque les diminue par paliers.
L'A.A.E.
est la seule école qui marque ses pierres;
chaque tailleur y laisse sa «signature»
et est probablement payé au prorata des pierres
qu'il travaille.
La
manière d'assembler les pierres diffère
d'une école à l'autre:
La
libano-syrienne taille ses joints jusqu'à une
profondeur de 10 à 15 cm; ces joints sont bien
taillés, d'une profondeur constante. Les lits
de pierre sont parfaitement horizontaux.
Les
pierres sont taillées avec précision
et ne réclament pas d'ajustage à l'assemblage.
L'école
A.A.E., par contre, taille ses joints sur 1 ou 2 cm
de profondeur et de façon assez rudimentaire.
Les lits de pierre ne sont pas rigoureusement de niveau
et chaque pierre se retravaille et s'ajuste à
l'assemblage.
Baalbeck
est une réalisation de l'école libanaise,
sauf pour le mur qui soutient les six colonnes du
temple de Jupiter, ainsi que sa continuation. Ce mur
est d'ailleurs antérieur à la construction
des temples.
Le
temple de Maqam-el-Rab, dans le Liban Nord, est de
facture arméno-anatolo-étrusque.
Le
pont romain de Maameltein est de facture grecque.
Durant
la période romaine, on voyait donc travailler
toutes ces différentes écoles.
Les
premières constructions arabes furent exécutées
par les A.A.E.; c'est le cas d'Anjar, bâti au
8e s. ap. J. C. Plus tard, le groupe du Nord de l'école
libano-syrienne travaille parallèlement à
la précédente. Mais la prédominance
de l'A.A.E. se manifeste en influençant fortement
la construction et les formes de l'architecture arabe.
Cela apparaît à Baalbeck dans les bâtiments
de la période arabe.
Avec
la chute de l'empire romain et du milieu du 8e siècle
jusqu'au début du 10e en Europe, les traces
des outils n'apparaissent plus dans les constructions;
c'est pourquoi les murs sont généralement
recouverts de mortier ou de mosaïques. Dans l'empire
arabe, par contre, l'école A.A.E. domine; au
Liban, durant cette période, on ne trouve pas
trace de l'école libanaise.
Avec
les croisés, la branche anatolienne de l'école
A.A.E. est réintroduite en Liban-Syrie; c'est
cependant le groupe nord de l'école libano-syrienne
qui domine alors dans la construction du pays.
L'école
A.A.E. marque de son empreinte les constructions romaines
d'Europe et de la côte syro-libanaise de l'époque
croisée.
Le taillant droit, peut-être sous l'influence
libano-syrienne, est muni de dents et appelé
« laie ». C'est l'outil de l'architecture
gothique. Les dimensions des dents, visibles aux traces
laissées sur les pierres, permettent de différencier
les constructions du début, du milieu ou de
la fin du gothique. Au Liban, une reprise de la technique
libano-syrienne se manifeste vers l'époque
croisée (11e siècle) qui continue jusqu'aujourd'hui;
la chahouta, cependant, finit par être remplacée
par une boucharde de tradition française. >
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