Aanjar
est évocatrice de temps fastueux. Des vestiges
d’une ville Omayade au Liban? par
Fulvio Roiter, 1980, Conseil N. de Tourisme au Liban
On ne s’en serait pas douté voilà
30 ans. Pourtant des témoignages, des monuments
de toutes les époques, de toutes les civilisations
sont représentés dans ce pays. C’était
le maillon manquant, alors que les califes Omayades
gouvernaient aux VIIe et VIIIe siècles un
immense empire allant de la frontière chinoise
au sud de la France. De ce règne ne subsistait
au Liban qu’une petite mosquée a Baalbek.
Tout
commença en 1949 dans la Beqaa à côté
du village de Aanjar habité par une active
population arménienne qui s’adonne à
l’agriculture et à l’artisanat. On y entreprit
des fouilles sur une petite bande de terre aride,
parsemée de buissons, et qui avait attiré
l’attention des archéologues. Splendide et
extraordinaire découverte qui allait soulever
bien des énigmes, non point quant à
l’appartenance Omayade du site, mais sur la réelle
affectation du vaste domaine mis au jour et dont
l’ordonnance n’avait pas d’équivalent ailleurs.
Qu’on
imagine plutôt: une importante installation
urbaine clôturée par une enceinte de
forme presque carrée, constituée de
quatre murailles crénelées, protégées
tout le long par des tours circulaires et des mâchicoulis.
Percées en leur milieu par quatre portails
monumentaux, ces murs d’enceinte témoignent
de la période de guerres et de conquêtes
qui caractérisa l’histoire agitée
des Omayades.
Suivant
une vieille tradition romaine, deux artères
principales, au croisement desquelles s’élevait
un tétrapyle, reliaient face à face
chacun de ces portails. Une rigole parcourait en
son milieu chaque artère et se prolongeait
au-delà de l’enceinte pour se jeter dans
un cours d’eau tout proche. Des deux côtés
de ces avenues, des colonnades déroulaient
la chaîne de leurs arcs cintrés, abritant
un grand nombre de magasins.
Les
colonnes des arcades sont disparates par leurs formes
et leurs dimensions. On y discerne des influences
romaines et byzantines, soit que les bâtisseurs
aient utilisé des éléments
de ruines qui se trouvaient dans la région,
soit qu’ils aient employé des artisans byzantins
auxquels on recourait souvent à cette époque.
Les principes fondamentaux de l’art arabe sont toutefois
prédominants.
Les
deux artères principales délimitent
quatre blocs où se trouvent des mosquées,
des bains, des dépôts de vivres, deux
palais et d’autres demeures. La première
découverte exhumée des sables fut
un palais ceinturant une cour carrée de 40
m, entourée d’arcades, qui le divise en deux
parties identiques, dont l’une a été
partiellement reconstruite. Ce palais est situé
sur le flanc sud de l’artère qui coupe la
ville d’est en ouest. Juste au nord du premier palais,
une mosquée en ruine fut bâtie sur
l’emplacement d’une plus grande.
Bien
plus tard, sur le flanc nord de la même artère,
fut découvert un second palais d’une architecture
semblable mais possédant des ornements plus
fins, plus élaborés, qui paraissent
avoir été empruntés à
la tradition gréco-romaine: aigles, hiboux,
lys, grappes de raisin, coquillages, femmes nues.
Le lien de ce style avec d’autres formes d’art devient
plus évident encore avec les bains Omayades
situés à une vingtaine de mètres
du second palais. Ceux-ci comprennent, en effet,
les trois séparations classiques des thermes
romains: une section pour les vestiaires, une autre
pour l’eau tiède, et une troisième
pour l’eau chaude. Des restes de mosaïque et
des éléments d’un système de
chauffage central ont été également
découverts.
Les
murs d’enceinte ont été reconstruits,
deux d’une longueur de 385 m du sud au nord et deux
autres de 350 m d’est en ouest. Les quartiers d’habitation
font face, de l’autre côté de l’avenue,
au premier palais. Six cents magasins ont été
découverts jusqu’ici.
C’est
dans la partie orientale de Aanjar, dont la fondation
est attribuée au Calife Walid Ier, qu’ont
été mis au jour ces étonnants
vestiges. Les excavations se poursuivent et permettront
peut-être de se faire une idée plus
précise de ce site. L’essentiel est d’avoir
retrouvé la trace au Liban de ces Omayades
qui avaient réussi a s’établir jusqu’aux
confins de l’Inde et qui conquirent l’Espagne. C’est
d’ailleurs sous ce même Walid Ier que fut
construite la Grande Mosquée de Damas.
Pourquoi
cette petite ville dans la Beqaa avec ses magasins,
ses habitations (serviteurs ou soldats ?), ses deux
palais, ses murailles défensives? Etait-ce
un centre commercial sur la route des caravanes
ou une cité-refuge où les princes
Omayades, en butte à des mouvements de révolte
ailleurs, se retranchaient en recréant le
cadre de leur vie ancestrale faite de chasses, de
divertissements poétiques et de banquets
? Toutes questions qui restent posées et
dont les réponses, en l’état actuel
des choses, dépendent de la seule imagination
des archéologues et des historiens.
Il
n’empêche qu’aujourd’hui, la rencontre de
Aanjar l’Omayade, sur une route de la Beqaa, avec
à l’arrière-plan un paysage de montagnes,
a quelque chose d’insolite. L’imagination du visiteur
vagabonde en présence de ces vestiges qui
évoquent la splendeur des Mille et Une Nuits.