Une
explication sur le mystère des trilithons de
Baalbeck par Michel Rouvière
Quiconque a voulu réfléchir en se promenant
sur le site des temples de Baalbek ne peut s’empêcher
d’une impression d’incrédulité malgré
l’évidence de la masse minérale qu’il
a sous les yeux. Si par hasard il a en plus la chance
d’évoluer sur ce lieu à l’heure de midi
sous le soleil de juillet, son corps et son esprit
risquent d’être écrasés entre
l’astre d’or dans l’azur brûlant et la blondeur
des pierres surchauffées. Finalement bien souvent
le visiteur aura vu ce qu’il faut avoir vu et il repartira
à moitié assommé. Accompagné
d’aimables personnes, il peut se satisfaire des demis
réponses pour répondre à ses
interrogations primaires. Il est normal que tous les
mystères du monde ne soient pas encore élucidés.
Toute véritable révélation demande
du temps, de la disponibilité d’esprit et un
effort. Cependant un peu plus loin dans son voyage,
le regard songeur à travers la vitre d’un véhicule
roulant sur les longues routes de la Bekaa, sa réflexion
peut transformer son expérience éprouvante
en pèlerin. De ces pierres nous pouvons méditer
sur les rapports des Dieux et des hommes. La permanence
et l’arrêt des motivations de communautés
humaines. La construction de l’ensemble s’étendit
sur 600ans. L’expression ; « La Foi soulève
des montagnes » trouve une de ses plus belles
illustrations dans les temples de Baalbek. D’autres
s’arrêteront aux performances techniques qui
demeurent stupéfiantes même à
notre époque pourtant se faisant gloire de
sa technique. Certains enfin goûtant le merveilleux
feront intervenir des puissances occultes ou extra-terrestres
aux pouvoirs surnaturels.
Recommençons notre voyage en esprit. Dans nos
premières découvertes nous n’arrivons
pas toujours à réaliser où nous
sommes, ainsi nous comprenons la nécessité
dans tous les rites religieux d’une répétition
de gestes et de paroles. Nous étions partis
dans la fraîcheur du matin des côtes méditerranéennes.
Venant du fond de l’horizon les vagues incessantes
se brisent inlassablement sur les roches du rivage.
A cette vision d’une éternité mouvante
fait écho les monts immobiles nous offrant
sur leurs croupes les rubans de bitume supportant
notre voyage. Nous montons, nous ne cessons pas de
monter au travers divers tournants, en longeant des
vallées profondes dans leur encaissement. Nous
atteignons un replat, où la végétation
se fait plus rare et le vent commence à s’exprimer
dans une fraîcheur nouvelle qui nous revivifie.
C’est dans cette zone d’altitude que nous rencontrons
les derniers lambeaux des antiques forêts de
cèdres. Continuons d’avancer. La pente reprend.
Elle se fait même plus raide, comme la dernière
corniche d’un rempart. La route grimpe en serrant
ses virages. Les derniers mètres du Mont Liban
sont d’un dépouillement si sévère
que l’on se prend à méditer sans se
rendre compte. Pris entre le ciel et la pierre nous
arrivons sur le chemin de crête. Un froid vent
violent nous fouette le visage. Nous découvrons
la plaine de la Bekaa à nos pieds.
Après une nature tourmentée nous sommes
surpris d’admirer l’étendue de cette haute
plaine cultivée. (1150 m) Elle est protégée
de l’ouest par la montagne que nous venons de monter
mais aussi de l’est par les monts de l’Anti-Liban
qui ferment notre horizon. Vers le nord part le fleuve
de l’Oronte. Vers le sud l’eau descend vers la mer
de Tibériade. De l’autre côté
de l’horizon la Barr Ada désaltère l’oasis
de Damas. En nous rappelant les cascades ruisselantes
qui accompagnèrent notre ascension, nous réalisons
que notre regard saisit le château d’eau du
Moyen-Orient, tandis que la plaine de la Bekaa se
présente comme vaste un autel. Il demeure secret
par son amplitude. Notre descente vers le plateau
se fait plus rapide. Nous quittons le froid pour le
chaud. Nous laissons les pierres pour la fertile terre
rouge s’étendant à perte de vue sur
des routes toutes droites. Sommes-nous dans le même
pays ? Certes, mais pas dans les mêmes symboles.
Si nous marchions à pied, nous commencerions
à nous lasser de la monotonie de la route.
La soif se mélangerait à la poussière
que soulèveraient nous souliers. Le soleil,
régnant en maître sur nos têtes,
marquerait sa puissance en frappant notre crâne
au travers du chapeau nécessaire mais pas suffisant.
Midi arrive. Les ombres se font rares. Elles disparaissent.
Nous sommes saoul de lumière. Nous devons faire
un effort de plus en plus grand pour parvenir à
notre but.
Sur ce vaste plateau de terre rouge consacré
au blé, nous sentons déjà l’emprise
du Soleil. Au-dessus des éléments extrêmes
comme le vents ou le froid nous voyons son cours régulier
donner la mesure de toutes choses. Au milieu de ce
vaste autel, le contre point d’une éminence
rocheuse adjointe d’une source Ras el Aïn peut
paraître incongru ou bien providentiel. C’en
est le tabernacle géographique. Vraiment cela
ne pouvait qu’être ici que s’effectuerait le
lien entre la puissance divine et les hommes. Baal
nous dit qu’avant les monuments que nous voyons, il
y avait en ces lieux un culte immémorial. Ce
haut rocher naturel immense jeté sur cette
plaine n’ayant que l’argile pour tapis, au côté
d’une source pas loin du départ du fleuve de
l’Oronte attirait les regards interrogateurs des hommes.
Mais aussi la foudre du ciel quand le temps était
à l’orage. Sur ce roc les hommes édifièrent
un temple.
Puis à l’époque hellénistique
on construisit les ruines que nous voyons. La seule
date que nous avons trouvée sur le tambour
d’une colonne marque l’époque de Néron
en ère séleucide. Ce fait illustre parfaitement
l’affirmation de Paul Veyne, pour qui l’empire romain
est la continuation de la chanson d’Alexandre le Grand
par la ville du Latium. D’ailleurs malgré les
séleucides ; diadoques et épigones prolongés
de tous les césars il manquera toujours une
partie des assises au temple de Jupiter. Dans la grande
cour, quelques niches attendent encore les dernières
statues des 365 jours un quart de la course solaire.
A leurs pieds deux bassins de pierre espèrent
toujours la finition des bordures sculptées.
Ainsi malgré les ruines du temps nous voyons
les plans des espérances inachevées
des promoteurs. Le H, Héliopolis, formé
par les tunnels (120 m de L x 6 m) se dessinent parfaitement
à nos yeux avec un peu d’attention en prenant
de la hauteur spirituelle. Par la grâce de cette
incomplétude nous voyons aussi le roc originel,
la vraie pierre de touche, servant de socle au temple
de Jupiter.
A l’ouest apparaît l’énigme des trilithons.
Ces trois monolithes surmontent une plinthe en formant
une assise phénoménale (19,10 m x 4,34
m) (19,30m x 3,65) (19,59m x 3,65). Notez bien que
nous ne pouvons pas savoir leur profondeur. Ils sont
en base, certes immenses, mais cachés. Si nous
arrondissons et prenons la densité de 2,5 T
le m3 nous avons un poids moyen de 800 T. Au nord,
à l’ouest et sud nous retrouvons le même
genre de constructions de 9 pierres mais leur longueur
divisée par deux. (10m x 4m). Là, la
profondeur à un endroit a pu être estimée
à 3m. Les lits de pierres les surmontant frappent
par la différence de dimensions ; ils restent
énormes mais n’atteignent pas le choc des trilithons.
Un peu plus loin au sud-ouest de la ville au pied
de la colline de Cheik Abdallah une autre masse cubique
de calcaire dur, grenu, semble attendre le temps des
Géants, des Titans, des Dieux pour rejoindre
la chanson lithique de Baalbek. C’est la plus grande
pierre taillée du monde. (21,50 m x 4,20 m
x 4,80 m) Soit une masse de 433 m3 avec une densité
de 2,5 T le m3 nous avons 1 082,5 T. Après
avoir admiré nous voulons comprendre. Est-ce
trop prétentieux ? Faut-il s’embarquer vers
des rêves fabuleux ? La sécheresse de
notre époque technicienne préfère
bien souvent se terminer par un prosaïque ; «
pour le moment nous ne savons pas ». Sans rien
enlever à la puissance spirituelle de ce monument,
je veux vous proposer une explication toute personnelle.
Elle associe le rationnel et le merveilleux.
L’épopée d’Alexandre le Grand a pris
une dimension religieuse cosmopolite par l’intermédiaire
des héros. Une nouvelle ère s’ouvrait.
On ne parlait plus des Dieux tribaux ou de la cité
grecque mais de Dieux universels. De nouvelles villes
se fondèrent dans ce nouvel état d’esprit.
Il y eût de multiples Alexandrie, et autres
fondations de princes. La mémoire de notre
temps en retient au moins trois ; Pergame, Antioche,
et surtout Alexandrie ad Egypte, comme le disait les
Romains. En Egypte Alexandre avait été
reçu vraiment comme un libérateur. La
ville qu’il fonda se devait être le 42ième
nôme de l’Egypte pharaonique. Il y avait eut
Memphis, Héliopolis, Thèbes, Tanis,
etc., etc. Eh bien il y aurait aussi Alexandrie, avec
son Dieu se révélant particulièrement
à cet endroit mais de dimension universelle
; Sérapis. Cette ville ne devait pas faire
moins que les autres en matière de monuments
granitiques. On se souvient du Phare de 135 m de hauteur.
Mais il y en eût bien d’autres ; la digue heptastade
(167m x 7 =.1 169m). L’archéologie sous-marine
avec Jean-Yves Lempereur et Frank Goddio ramena à
la surface des statues de Ptolémée et
son épouse (chacune de 13m, 20 T) ainsi que
la chambranle de la monumentale porte d’entrée
du phare. (70 T). De plus en cette époque il
y eût un foisonnement de recherche. Les sciences
avancèrent à grands pas. Il fallut attendre
XVII siècle de notre ère pour dépasser
le niveau mathématique d’Euclide et d’Archimède.
Aspect particulier les sciences n’eurent pas une utilité
économique pratique. Bien souvent elles servirent
à mystifier le curieux, voire l’assistance
profane des temple. Il suffit de se souvenir des fameuses
portes du temple s’ouvrant quand le prêtre allume
le feu de l’autel du parvis. C’était une découverte
de Ctésibios. Nous pouvons y ajouter un goût
marqué pour le secret. Ainsi l’Egypte, sera
avec le temps, la source de la gnose, de l’alchimie
et même de la magie.
Alors il est facile d’imaginer que les Séleucide
concurrents des Ptolémées ne seraient
pas en reste. Ils honoreraient les Dieux locaux aussi
bien qu’eux, sinon mieux qu’en Egypte. Le Jupiter
Héliopolitain Baal Haddad au visage d’adolescent
unifie toutes les vertus divines possibles. Le monothéisme,
déjà latent parmi les conceptions philosophiques
stoïciennes ou néoplatoniciennes se concrétise
dans les sanctuaires des temples. Ce Dieu particulier
deviendra aussi cosmique et universel que Sérapis
du bord du Nil. Il fallut déplacer des pierres.
Cependant il était nécessaire d’éblouir
le rival. Afin de stupéfier le pèlerin
ou le visiteur royal, les rois séleucides firent
sculpter sur le roc lui-même, les dimensions
des trilithons. Des assisses naturelles, nous découvrons
les fameux trilithons. De plus ils devaient
servir de mur pour le réseau de souterrains
puis qu’autour du péristyle du temple de Jupiter
on estime qu’il devrait y avoir une terrasse de 7m
de large. Nous savons qu’entre l’Alexandrie des Ptolémée
et l’Antioche des Séleucide les relations furent
toujours fluctuantes entre la guerre et le mariage
mais toujours rivales. Au cours d’une minorité
les travaux s’arrêtèrent. Des décennies
plus tard les nouveaux architectes reprennent les
travaux. Ils furent trompés. Ils voulurent
égaler leurs aînés. Mais après
plusieurs tentatives, ils se rendirent compte de l’impossibilité
de déplacer de telle masse de pierre. A moins
que l’énorme monolithe fatigué, devait
se débiter par morceau, du tiers ou du quart
suivant les capacités de mobilisation des haleurs.
Car dans ce domaine nous avons des limites.
Les obélisques, monolithes granitiques, vont
de 150 T à 450 T pour celle de Saint Jean de
Latran culminant à 32 m. Nous rappellerons
que celle de la place de la Concorde à Paris
atteint 23m de hauteur pour 230 T. Nous voyons que
nous sommes loin de la masse de 800 T des trilithons,
sans parler des 1 082 T la pierre du sud.
De plus dans le transport des monolithes de granit
il y a une limite indépassable, comme l’explique
l’architecte Jean Kerisel. Premièrement nous
avons l’impossibilité de faire usage d’animaux
de traits car il faut fournir un effort coordonné,
en cadence, au rythme d’un hymne. Cette synchronisation
n’est pas évidente. Ce que ne peuvent faire
ni bœufs, ni chevaux. Le maximum d’une équipe
d’ouvriers pouvant entendre cette musique a aussi
ses limites. Il suffit d’imaginer la difficulté
d’harmoniser une chorale de plus en plus nombreuse.
Cette dimension est d’environ 700 hommes. En mettant
au maximum 7 files de front et en comptant 1 à
2 m entre chaque ouvrier. Nous arrivons à des
files de 100 hommes pouvant coordonner un effort sur
200 m de corde.
Cette explication à base des limites techniques
de la traction peut paraître bien prosaïquement
lourde. Le fait de ramener le trilithons à
un mur naturel dessiné peut nous procurer un
sourire amusé. Cependant quand je descends
vers ces bases chtoniennes du sanctuaire mes réflexions
ne souffrent pas de cette découverte. Dans
ces souterrains à construire mais encore à
ciel ouvert, environné d’une verdure anarchique
dans son foisonnement car la source n’est pas loin,
je me sens au pont de départ. J’écoute
la chanson mêlée des Dieux et des hommes.
Après une démarche labyrinthique je
retrouverai l’esplanade solaire dans toute sa force.
Au débouché d’une partie du tunnel entièrement
construit je retrouverai, comme tout le monde, la
fameuse corniche nord-est du fronton d’entrée.
Les jeunes filles en fleurs aiment à s’y faire
prendre en photo dans une rêverie amoureuse.
Par sa masse ce dès de pierre jeté par
hasard à cet endroit semble comme un élément
naturel. Ce sont les riches décors, avec l’éternel
lion gargouille, qui me certifie que cette masse de
pierre était perchée dans l’azur éblouissant
pendant des mois et des mois dans l’attente soudaine
des cataractes d’eau de pluie environnées d’éclair
et de tonnerre. A Baalbek le naturel et l’art humain
se confondent, dans ce sens depuis le trilithon jusqu’aux
conceptions religieuses. La géographie et le
choix du lieu, les matériaux et leurs emplacements,
les décors et le discours se confondent. Même
dans ce mélange d’inachevé et de ruines
nous retrouvons le duo de l’instant dialoguant avec
l’éternel.
Michel Rouvière
Heureux celui qui a des ailes pour planer sur les
siècles écoulés, pour se poser
sans vertige sur ces monuments merveilleux des hommes
pour sonder de là les abîmes de la pensée,
de la destinée humaine ; pour mesurer de l’œil
la route de l’esprit humain, marchant pas à
pas dans ce demi-jour des philosophies, des religions,
des législations successives ; pour prendre
hauteur, comme le navigateur sur des mers sans rivages
visibles, et pour deviner à quel point des
temps il vit lui-même, et quelle manifestation
de vérité et de divinité Dieu
appelle la génération dont il fait partie.
Alphonse de Lamartine
Nul espoir que je réussisse mieux que mes prédécesseurs
à rendre sensible par des mots, ce chaos de
splendeurs écroulées, cette immense
mer jonchée de porphyre et de marbre, tout
un océan de colonnes et de chapiteaux , d’architraves,
de volute. Une prodigalité sans idées,
le lendemain de l’envolement d’un Dieu. Mais que ce
désastre atteste de grandeur ! Ah ! Un temple,
cela ! Ces proportions imposantes, vastes, solides
et graves, qui pourraient recueillir des peuples,
et au-dessus de tout, six colonnes hauts placées
qui portent avec magnificence l’arche du Jupiter Soleil,
cela est logique conforme à la pensée
humane, apte à recevoir et à mettre
en émoi les âmes. C’est une des plus
grandes pierres du monde qui se détache là,
éblouissante de lumière, sur les monts
du Liban. Tout à côté, l’oasis
plein d’arbres avec une jeunesse inouïe, balance
ses noyers et presse les hautes terribles murailles.
Maurice Barrès
« Colonnes de Baalbek, grilles de feu solaires,
Barrières à claire-voie en travers du
destin,
Rempart incandescent, écluses de lumière,
Piédestal du matin. Colonnes de Baalbek, cargaison
de constance,
Pavillon de rayon, voilier gréé d’azur,
Vaisseau chargé de jours, lourd navire en partance,
Vers les siècles futurs. »
(La montagne inspirée.)
Charles Corm
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