Présidente
- Fondatrice du Festival International de Baalbek:
Aimée Kettaneh
Baalbek demeura à jamais le sanctuaire de l'art
et de la culture
Retournons
au Liban tant convoité. Tyr et son hippodrome…
Tyr qui fut l'un des grands objectifs d'Alexandre
le Grand, Sidon… émule de Carthage… Echmoun…
Byblos avec son joli port, son petit amphithéâtre
qui fit rêver Maurice Béjart. Les sources
d'Adonis où se baignèrent Pierre Bertin
et Jean-Louis Barrault. Le Liban qui, envers et contre
tous, survivra… Et voici Baalbek, majestueuse Heliopolis
dominant la Bekaa, cerné de montagnes roses
aux cimes éternellement blanches." Feuilleter
les Balades d'Aimée Kettaneh dont est tiré
cet extrait, c'est s'offrir un voyage qui commence
en France et se poursuit aux E.U., Mexique, au Pérou,
à Singapour, en Malaisie, au Japon, en Dalmatie,
en Sicile, au Sikkim, toit du monde, pour finir à
Baalbek. C'est découvrir des contrées
inconnues loin des sentiers battus, partager leurs
coutumes à travers la sensibilité et
l'humour de celle qui présida puis dirigea
pendant treize ans "la plus prodigieuse confrontation
culturelle, le Festival international de Baalbek".
Madame
Kettaneh, vous avez parcouru tous les pays du monde,
mais c'est Baalbek qui n'a cessé de vous fasciner.
Enfant, je m'y étais souvent promenée
avec mes parents. Plus tard, en suivant les cours
d'archéologie de l'Emir Maurice Chéhab
à l'institut des Lettres orientales, je fus
captivée par l'histoire de ces temples où
les romains venaient adorer leurs divinités
héliopolitainnes. Je ne pensais pas alors qu'un
jour je viendrai y célébrai Terpsichore
(muse de la Danse), Euterpe (muse de la Musique) et
Thalie (muse de la Comédie).
L'itinéraire
d'Aimée Kettaneh, des études de droit
et une carrière d'avocate fut de courte durée.
"En fait, dit-elle, ce que j'aimais vraiment,
c'était le théâtre. Ainsi, lorsque
le Président Chamoun, puis les Jeunesses Musicales
du Liban m'ont confié la lourde tache de Présidente
Fondatrice du Festival International de Baalbek, j'en
fus honorée et d'autant plus heureuse, que
je pouvais enfin évoluer dans ce monde des
arts, pour lequel j'avais une profonde prédilection."
Certes,
le projet était grandiose. On vous confiait
en quelque sorte un trésor national. Cela n'a
pas dû être facile au début.
Que d'embûches! Il a fallu aménager les
scènes, les estrades, les décors, les
loges pour les artistes, assurer les travaux d'éclairage,
de sonorisation et d'acoustique dans des conditions
souvent précaires, dès lors qu'il n'y
avait même pas d'électricité!
Mais quelle joie en revanche à la vue de ces
premières lumières caresser les colonnes
de granit rose. Quelle émotion lorsque, pour
la première fois, dans le temple de Bacchus,
sous un ciel constellé d'étoilés,
l'Orchestre Symphonique de Hambourg interpréta
un merveilleux concert de Mozart.
Très
vite, la renommée du Festival dépasse
nos frontières. Le succès est
tel qu'il faut se montrer à la hauteur. Nous
avions recours à des techniques plus ingénieuses,
des éclairages sophistiqués, des lampe
à arc pour suivre les évolutions du
couple merveilleux Fonteyn-Noueev, des photographes,
des journalistes pour diffuser tous les grands événements
artistiques à travers le monde, car il y en
aura beaucoup au cours de toutes ces années.
Cette renommée m'a permis d'être conviée
aux autres festivals que celui de Prague, de Moscou,
de Roumanie où j'ai pu entendre Rostropovitch
qui viendra par la suite à Baalbek. Aux Pyramides,
où j'assistai à un spectacle son et
lumière présidé par le rais Gamal
Abdel Nasser, j'étais fière de constater
qu'avec nos faibles moyens, nous avions précédé
les Egyptiens.
Quelle
a été la première réaction
du public libanais? Le public, cosmopolite,
découvrait avec joie les fêtes antique,
le cadre de Baalbek s'y prêtant. Aux vers d'Edmond
Rostand, d'autres préféraient le rythmes
de jazz d'Oscar Peterson ou la voix d'Ella Fitzgerald.
La
presse internationale se fait l'écho de ce
succès. Un journaliste de France-Soir
écrivait en ce temps-là: "On donne
à voir la pièce Don Juan à Baalbek
avant le Palais Garmier!" Paris-Match publie
entre autres articles flatteurs la photographie de
Herbert Von Karajan descendant de l'hélicoptère
sur l'esplanade du Temple de Jupiter, celle-là
même qui aurait servi, aux dires du Professeur
Agrest de l'Université de Moscou, d'aire de
débarquement à des extra-terrestre!
Vous
avez eu le privilège et le bonheur de côtoyer
les grand artistes de ce siècle: Jean Cocteau,
Rudolf Noureev, Margot Fonteyn, etc… Quels souvenirs
en gardez-vous?
Cocteau:
Il m'intimide lors de notre premier contact. Il habitait
alors un deux-pièces prés des jardins
du Palais Royal. Le visage aigu, le regard vif, beaucoup
d'humour, c'était un véritable ,"touche-à-tout",
il dessinait des vitraux à l'époque.
Mon nom et l'heure du rendez-vous figuraient sur un
tableau noir entre celui des maitres-verriers qu'il
recevait. Geneviève Page l'interprétera
dans Renaud et Aramide sur une musique de Francis
Poulenc. Elle a séjourné quelque jours
chez moi avec ses enfants. C'est une femme belle,
passionnée, possédant un timbre de voix
unique. Inoubliable aussi le couple Noureev-Margot
Fonteyn dans Roméo et Juliette. Noureev, je
l'ai connu chez Fonteyn alors qu'il venait de choisir
la liberté. A l'époque, la danseuse
étoile avait manifesté sa volonté
de se retirer du monde du spectacle. C'est à
Noureev qu'elle devait son retour sur la scène.
Jean-Louis Barrault interpréta notre grand
poète Georges Schéhadé dont le
nom sera plus tard à l'affiche du théâtre
français entre racine et Molière, et
Wilhelm Kempff qui habitait chez nous en juillet 1956
était reparti pour Rome après son merveilleux
concert de Mozart… oubliant tous ses bagages. Maurice
Béjart qui fit danser les Bacchanales et pour
lequel les princes de Liège avaient fait exprès
le déplacement. A l'époque, la future
reine Paola, ravissante, attendait un enfant. Au cours
d'une randonnée dans un village du Liban Nord,
une paysanne avait prédit à la future
reine la naissance d'un garçon. Puis je passe
à Elsa Maxwell, la fameuse commère américaine
que je ne qualifierais pas de personne agréable
par excellence. Von Karajan, un homme d'une grande
simplicité qui appréciait la solitude.
Il fréquentait souvent la piscine d'Aley lors
de ses séjours au Liban. Quelle ne fut notre
panique de voir un jour débarquer Michel Angeli
la main en écharpe, ce qui ne l'a guère
empêché d'interpréter magistralement
le concerto N5 l'Empereur de Beethoven. Et bien d'autres…
Outre les magiciens du piano, les génies du
stradivarius comme Arthur Grumiaux, ou de la flûte,
comme Pierre Rampal, lequel soit dit en passant réussit
à charmer les serpents, citons les œuvres lyriques
des spectacles grandioses qui nous ont valu plus d'une
fois les hommages de la presse internationales, les
orchestres symphoniques de New York, Pittsburg, Berlin
et d'ailleurs, les drames shakespeariens déclamés
par les interprètes du Théâtre
Élisabéthain…
A
tout cela s'ajoutait la tradition libanaise?
Le folklore libanais est crée en 1957 sous
l'impulsion de Madame Zelpha
Chamoun. Les spectacles qui illustraient nos villages
libanais mettaient en scène une brochette de
danseurs et chanteurs entourant l'incomparable Feyrouz.
Les voix de Sabah et Oum Koulssoum aux tonalités
intenses résonneront également entre
les arcades des temples de Bacchus et de Jupiter.
Un
dernier souvenir, Madame Kettaneh? Oui. Celui
de ce chauffeur de taxi qui, le temps d'un spectacle
était devenu un fervent admirateur de Bizet!
Aujourd'hui
Aimée Kettaneh est une femme comblée.
Autant qu'elle puisse l'être si l'on songe à
ce destin extraordinaire qu'elle a connu. "Aimée"
des artistes du monde, éprise de beauté,
elle est heureuse de constater qu'aujourd'hui la relève
est assurée et que Baalbek demeurera à
jamais le sanctuaire des arts et de la Culture, seul
domaine non conflictuel qui permet encore aux Libanais
de se rassembler.
Propos
recueillis par Leila Badr Nahas
Festival
Internationale de BAALBEK
Dix-neuf
ans à exalter une civilisation, un art, une
culture. 19 semble un chiffre insignifiant… Mais lorsqu'on
évoque cette époque de grâce où
le Liban s'éclatait vers le monde, ces années
prennent du coup une signification intense, incontournable.
Les silhouettes de l'art se projetaient dans toute
leur démesure sur des pierre qui réapprenaient
à respirer l'émotion de l'Histoire.
Le temple de Baalbek revivait alors son universalité.
Les
festivals de Baalbeck ont marque la réalisation
d'un songe tout en lyrisme fait de théâtre,
de musique et de danse
Merveille
architecturale… Son hier se soumettait à la
grandeur d'une géométrie culturelle
internationale d'aujourd'hui. Dix-neuf. Ce chiffre
marque de 1955 à 1974 la réalisation
d'un songe lyrique, fait de théâtre,
de musique et de danse. Trop court? D'eternels moments.
Si l'art se propose comme référence
de civilisation, les peuples y afférents, ne
se révèlent pas moins civilisés
que les artistes eux-mêmes. La conscience collective
est fière de confirmer la valeur artistique
des réalisations libanaises au festival international
de Baalbek.
Le
Destin d'Héliopolis
Défiant
le temps et l'espace, les six colonnes du temple de
Jupiter s'élancent vers le ciel, minarets invitant
les hommes à la paix et à la prière,
bénissant le lever du soleil et la moisson
de la plaine. Ce temple n'a pas d'âge. On dit
même qu'il fut construit par les djinns. Erigé
par des hommes ou les djinns, qu'importe!, la production
artistique et culturelle qui s'est déroulée
en ces ruines ne rend que plus manifeste la beauté
de l'œuvre et son immortalité. Dans l'antique
Phénicie, Baalbek était déjà
un lieu de culte... Les Grecs y laissent leur empreinte
suite à la conquête d'Alexandre le Grand
en 331. Ils la baptisent Héliopolis, la ville
du soleil… C'est à l'époque de l'empire
romain que Baalbek resplendit de tout son marbre.
Pour accroitre leur prestige et gagner la bienveillance
de la population locale, les Romains édifient,
à cette croisée des chemins d'orient
et d'Occident, les plus majestueux temples romains.
César effectue une visite de la ville en 47
avant Jésus-Christ. Baalbek, colonie romaine,
s'appelle alors Colonia Julia, du nom de la fille
de l'empereur… Auguste confie les travaux aux vétérans
de ses légions. Deux-cent-cinquante ans durant,
neuf empereurs n'auront cesse de construire les temple;
les travaux dans ces sanctuaires s'intensifient d'une
manière spectaculaire sous le règne
de septime Sévère, qui avait probablement
pris comme épouse une Syrienne de Homs, et
de son fils Caracalla, qui, en 211 avant Jésus-Christ,
accorde le droit de cité à tous les
hommes libres de l'empire. Un siècle plus tard,
l'empereur Constantin, converti au christianisme,
interdit le culte païen et met fin aux travaux
de construction à Baalbek.
A
l'image des colonnes du temple de Baalbek, l'écho
de prestigieuses troupes internationales s'élançait
vers le ciel
En
379, l'empereur Byzantin Théodore le Grand
convertit la plupart des temples en église,
le temple de Venus sera voué à Sainte
Barbe. Il fait abattre les statues, on en dénombrait
alors mille deux cent… En 532, Justinien fait transporter
les colonnes de granit rose à Sainte Sophie…
Le tremblement de terre, surtout celui de 555, se
chargent de détruire le reste. Au septième
siècle, les Arabes entreprennent de transformer
le temple vénéré en forteresse…
Réhabilitation
d'un Culte
Un
diplomate anglais, en visite à Baalbek, au
début du siècle, tient ses propos: "Si
Baalbek se trouvait en grande Bretagne, nous nous
passerions de percevoir impôts et taxe."
Ainsi est née l'idée d'un festival.
Il vit timidement le jour en 1922 lorsqu'une pièce
de théâtre occidentale fut jouée
à l'intérieur du temple; une autre encore,
en 1944, vingt ans plus tard. La véritable
mise en œuvre se situe en 1955. La troupe française
de Marcha joue en cette même année quatre
pièces de théâtre et obtient un
vif succès. Suivra la création d'un
comité libanais constitue de soixante-sept
membres et présidé par Mme Aimée
Kettaneh. Y adhérent May Arida, Alexandra Issa
el-Khoury, Cheikh Boutros el-Khoury, Sonia Abou Adal,
Salwa el-Said, Loris Boustany, Najla Hamdan, Nina
Georgian, Chafika Diab, Salma Ghandour, Hashem el-Husseini,
Fouad Bizri, Michel Touma, Guy Abela, Jean Skaff,
Emile Chéhab, Ralph Khoury, Jean Fattal… Ce
comité fournit de gigantesques efforts avec
la volonté de rendre le Liban un haut lieu
d'art et de culture, le festival de Baalbek devient
un passage artistique international obligé,
un statut redevable au niveau artistique des troupes,
à une parfaite organisation auxquels vient
s'ajouter la beauté des sites qui exerçaient
leur fascination sur les dilettantes de passage: Beyrouth,
la Montagne et la plaine de la Bekaa, jadis surnommée
le "grenier de Rome", délimitée
par deux villes-vigies: Zahlé et Baalbek. La
Première dame, Zelpha Chamoun, mécène
des Arts, encourage la campagne publicitaire effectuée
par la revue Ach-Chabaka. Elle suggère de redonner
aux arts libanais leurs lettres de noblesse au festival
qui, en 1955 et 1956, ne privilégie que les
manifestations artistiques occidentales. Le Folklore
Libanais naît en 1957, dans le cadre du festival.
Il œuvre à la sauvegarde du patrimoine culturel
et artistique du Liban. Malgré des moyens financiers
limités, le comité fait appel à
des spécialistes dans le domaine artistique
et les charge de la création du festival. Au
Folklore libanais se joint l'art arabe: Oum Koulsoum
subjugue les foules, une troupe égyptienne
rend hommage par des Mouachahat, à la poésie
andalouse. S'y succèdent les ballets de Maurice
Béjart, du Bolchoï, le maestro Von Karajan.
La presse étrangère commente ces voutes
s'échappant des ruines pour charmer les esthètes;
vision qui n'est pas sans rappeler l'auteur Maurice
Barres; n'était-il pas convaincu que "si
les six colonnes de Baalbek venaient à tomber,
le monde perdrait quelque chose de sa splendeur"?
Jeanine
Samaha
- Fouilles à Baalbeck: >> Voir
la Vue << (2001-04-01)
- Fouilles à Baalbeck: >> Voir
la Vue << (2001-04-01) - Fouilles à Baalbeck: >> Voir
la Vue << (2005-04-01) - Fouilles à Baalbeck: >> Voir
la Vue << (2013-01-15)
- Fouilles à Baalbeck: >> Voir
la Vue << (2013-01-15) - Fouilles à Baalbeck: >> Voir
la Vue << (2013-02-15)