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LA TÉLÉVISION AU LIBAN: PROGRÈS OU DÉCADENCE? |
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27 mai 2017 | 18:50
Frédéric Zakhia (Beyrouth)
Source: jeune-independant.net
Depuis le retrait de l’armée syrienne du Liban en 2005, les chaînes de télévision n’ont cessé d’évoluer. La délectation de ce nouveau vent de liberté a rendu la limite de la liberté d’expression floue et élastique.
Malgré un avancement technologique indéniable, la télévision libanaise souffre d’un manque de clarté quant aux règles de déontologie journalistique et d’un manque d’objectivité dans le traitement de l’information. Cette analyse se penche sur ce problème.
Il paraît évident de vouloir louer le progrès technologique au milieu de la deuxième décennie du 21e siècle. Ce progrès a fait ses preuves dans tous les domaines, notamment dans celui des médias : diffusion d’événements en direct, des interviews en duplex, des scoops incontestables et des programmes télévisés modernes, qui osent dorénavant évoquer les sujets les plus tabous de la société libanaise.
Mais l’avancement technologique ne suffit pas pour bâtir une société, et les questions qui se posent sont les suivantes : qu’en est-il de l’avancement de la pensée ? Qu’en est-il du respect de la déontologie médiatique ? Tout simplement, qu’en est-il du respect de l’autre ? Le langage utilisé est-il toujours convenable ?
Les programmes télévisés actuels sont l’expression de la mentalité des Libanais de la société de l’après-guerre civile. Loin de vouloir épier exhaustivement les programmes de chaque chaîne, nous nous contentons de décrire quelques failles et points forts du corps médiatique libanais.
Une explosion d’émissions satiriques
Ces dernières années, le petit écran a vu l’explosion d’une pléthore d’émissions et de comédies satiriques, traitant des sujets socio-politiques, à commencer par Hayda Haki de Adel Karam, plagiée à l’origine sur une émission égyptienne de Bassem Youssef, Al-Barnamag (elle-même plagiée sur une émission américaine The Daily show de Jon Stewart), ou Lahon wa bass de Hicham Haddad, BBCHI de Salam Zouaytary, etc, plagiées toutes sur l’émission de Adel Karam.
Adel Karam, un humoriste chevronné, sait se démarquer de ses pairs même dans une émission plagiée
Mais ces émissions restent centrées sur la personnalité du présentateur, sa doctrine (droite ou gauche), et de son niveau d’élocution.
D’autre part, Dimocratié de Charbel Khalil, une autre émission satirique, est un plagiat des Guignols, l’émission satirique française.
Toutes ces productions libanaises, non innovantes puisque empruntées à des émissions occidentales, laissent à désirer quant au respect du langage, et montrent, quoique délassantes dans une certaine mesure, une décadence morale, notamment à cause de leur contenu superficiel marqué par beaucoup d’allusions sexuelles.
Hicham Haddad monte d’un cran en passant de Lol, l’émission « vulgaire » (OTV) vers Lahon w bass (LBC), l’émission plagiée
Le summum de cette décadence s’exprime dans des émissions basées uniquement sur des blagues sexuelles, telle que Lol, l’émission « vulgaire » diffusée pendant longtemps sur l’OTV.
Le comédien Sami Khayat, qui a connu la période des « années folles » artistiques, s’étonnait lors d’une récente interview qu’on ne pouvait plus faire de l’humour au Liban, sans faire allusion à des idées sexuelles.
Ces émissions satiriques sont parfois pitoyables parce qu’elles propagent de mauvaises valeurs, en banalisant l’infidélité dans le couple par exemple. N’oublions pas que les nouvelles générations de Libanais, nées dans le boom de l’internet, tirent beaucoup de leurs valeurs à partir des médias comme twitter, facebook et de la Télévision.
Des manquements aux règles de la déontologie
La recherche à tout prix de scoops (puis de publicités) et le souci d’atteindre un bon « rating » rend certaines émissions moins professionnelles. Hawa el Herriyé de Joe Maalouf– anciennement Hki Jaless – a maintes fois manqué aux règles de la déontologie journalistique.
Dans cette émission, Maalouf qui est informaticien de base, cite des personnes par leur nom, et les accuse ouvertement de faits criminels, sans qu’il y ait aucun verdict prononcé par la justice libanaise.
Puis au cours de l’émission, on continue de les appeler à répétition « des escrocs ». Rappelons-le, même une personne condamnée par la justice pourrait poursuivre la chaîne pour diffamation contre elle, que dire alors des personnes tenues innocentes par la justice jusqu’à preuve du contraire ? L’émission de Joe Maalouf joue sur le sensationnalisme et l’anticléricalisme au détriment de l’information essentielle et frôle parfois la désinformation.
L’animateur controversé et anticlérical Joe Maalouf, licencié de la MTV, s’est lancé sur la LBC avec Hki Jaless émission où l’information essentielle se noie dans le potin et le sensationnalisme
Des présentateurs et présentatrices s’acharnent par ailleurs dans de telles diffusions à défendre des internautes qui utilisent les médias sociaux pour attaquer l’État ou des personnalités politiques par des mots grossiers, sous prétextes que c’est la liberté d’expression. Citons l’exemple du soutien inconditionné de Dima Sadek, journaliste de la LBC, à Bassel Al-Amine, qui a insulté le Cèdre, emblème du Liban et qui devait y répondre en justice. Le crime de lèse-majesté a l’air d’être complètement ignoré, tant par le personnel des chaînes télévisées que par leurs téléspectateurs.
Dima Sadek, journaliste de la LBC soutient « la liberté d’expression » même s’il s’agit d’un crime de lèse-majesté
Le journal télévisé
Reconnaissons-le: les informations diffusées au Liban révèlent le plus souvent de ce qu’on appelle « la presse d’opinion », malgré la prétention de certaines chaînes d’être objectives et impartiales. Le « pire », ce sont les introductions aux journaux télévisés, qui prennent systématiquement l’État pour cible, en le dénigrant quotidiennement, et en attaquant ses instituts.
D’autre part, les conflits ouverts entre la MTV et Al-Jadid, ou bien entre la LBC et le parti des Forces libanaises, ou encore entre ces chaînes et certains politiciens (Al-Jadid contre Nabih Berry, la MTV contre Boutros Harb, etc.) ou les tracas entre certains journalistes et politiciens (par exemple celui de Joyce Akiki, journaliste de la MTV avec le général Michel Aoun, qui l’a interdite de se pointer dans sa résidence, ce qui a déclenché la fureur de la chaîne contre le général), font que les chaînes s’attaquent entre elles et avec des politiciens, ce qui rend l’information plus chaotique, et la mission du journaliste-témoin se perd dans un conflit d’intérêt.
Dans une interview récente, la star libanaise Assi Al-Hallani s’est indigné des attaques réciproques et permanentes entre chaînes libanaises, qui au lieu « d’apprendre l’amour », apprennent la haine.
Si quelques chaînes ont offert des versions multilingues du journal télévisé (Télé Liban, l’OTV, Future TV), la Future TV reste celle qui en offre le plus (en arabe, français, anglais et arménien). Quant au contenu, il serait bon de prôner la présentation des nouvelles en deux éditions séparées : l’une nationale et l’autre internationale.
En fait, la LBC a longtemps présenté les nouvelles internationales au début du journal, et la « monotonie » de certaines nouvelles (par exemple, on parle tous les jours du conflit israélo-palestinien ou de la crise syrienne) vient encombrer les nouvelles locales plus vitales pour le téléspectateur libanais. La LBC a vite rectifié le tir et a remis au début du journal les nouvelles nationales, suivie de celles internationales.
Des emplois multiconfessionnels
Télé Liban (la chaîne 9) et la LBC (la chaîne C33) étaient les seules à oser lancer des chaînes additionnelles entièrement francophones, entreprise qui n’a malheureusement pas duré, faute de personnel et de financement. Il est apparemment presque fini le temps où les chaînes recrutaient des personnes exclusivement sur une base confessionnelle.
La LBC, fondée par Bachir Gemayel, est la plus ancienne chaîne privée au Liban. Pendant longtemps, elle a été le maître de l’espace médiatique libanais et elle représentait une tribune de droite, chrétienne.
Mais dans l’immédiat de l’après-guerre civile, les chaînes libanaises aspiraient à montrer une volonté ferme du vivre-ensemble multiconfessionnel, et à s’ouvrir au monde arabe, en recrutant un éventail de personnes de toutes confessions.
La gauche libanaise a aussi fait sa grande entrée dans les chaînes anciennement de droite, notamment dans la LBC, à travers « l’infiltration » de journalistes de gauche, férues de la cause palestinienne. Leur entrée a été facilitée par « une purge » qu’a exercée l’administration en renvoyant beaucoup de sympathisants de la droite libanaise, à cause d’un conflit entre le directeur de la chaîne, Pierre al-Daher et le parti des Forces libanaises.
Ces journalistes de gauche, longtemps sans voix au chapitre, y trouvent l’occasion pour exprimer leurs idées personnelles et font retomber encore une fois, leur chaîne dans la catégorie « presse d’opinion ». Seule Al-Manar, la chaîne endoctrinée du Hezbollah, n’a pas encore franchi le pas vers des emplois multiconfessionnels et reste de ce fait un organe de propagande politico-militaire de l’islamisme chiite.
Quant à Télé Liban, la chaîne officielle de l’État, elle est la plus ancienne au Liban et dans le monde arabe.
Ses émissions, quoique parfois des rediffusions d’anciennes productions, restent des plus décentes en matière de respect du langage (pas d’humour vulgaire) et des règles de déontologie médiatiques (pas de diffamation, pas de conflits ouverts prononcés avec d’autres chaînes, etc). Elle diffuse l’unique émission intellectuelle au Liban : Al Tahaddi Al-Kabir, où des élèves de diverses écoles font compétition en répondant à des questions de culture générale thématique.
Fait à déplorer, les chaînes libanaises diffusent rarement des documentaires et s’attèlent à satisfaire le goût des masses. On note par exemple l’absence de tout documentaire sur la LBC.
Enfin, on assiste à une marche vers l’occidentalisation de la télévision libanaise.
Cette tendance qui commence avec la fin de la guerre civile (1990) et qui s’accélère de nos jours est aussi le reflet de la mentalité du Libanais et de son ouverture à la mondialisation. Les chaînes libanaises restent pour la plupart la propriété de « grandes familles » et de magnats industriels, ou de partis politiques aux doctrines rigides et immuables, ce qui les range dans le journalisme d’opinion.
Finalement, ce qu’on s’attend de la télévision au Liban, c’est de mieux ouvrir leurs yeux aux règles de la déontologie, de moins dénigrer l’État, voire de le construire et protéger son image, de diffuser les bonnes valeurs de la société, les bonnes conduites de bienséance, les pratiques environnementales (tri des déchets par exemple), le respect de l’autre et de sa liberté, et le respect de l’ordre public.
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