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L'histoire du Liban à travers son Protocole - Haimari |
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L'histoire du Liban à travers son Protocole - 1926-1995
De père en fils, les Haimari accompagnent la nation
Marcelle Nadim - Revue Prestige numéro de Novembre 1995
Cent-trente-quatre distinctions horrifiques sur le sillage de deux chefs du protocole qui ont escorté, l'un après l'autre, l'histoire du Liban depuis le Mandat Français. Bien plus qu'un entretien avec son Excellence Maroun Haimari, ceci, est une rétrospective à travers le regard de deux hommes, mais encore et surtout un hommage d'un fils à son père au vingt-cinquième anniversaire de son décès. "J'évite le plus souvent les entrevues mais l'occasion présente me pousse à parler de ce grand homme qu'a été Georges Haimari durant un demi-siècle. C'est un hommage qu'il fallait lui rendre loin de toute cérémonie officielle ou populaire. J'espère ainsi pouvoir jeter davantage de lumière sur la vie de cet homme qui a suivi l'histoire du Liban de 1926 à 1970." Avec S.E. Maroun Haimari pour guide, nous avons appris une nouvelle leçon d'histoire, par le regard de ces témoins qui la côtoient, qui l'assistent, omniprésents mais toujours dans l'ombre.
Le Protocole, une science ou un art?
Dans les affaires politiques et administratives, les petites nuances sont d'importance… Ainsi, le directeur général de la Présidence de la République est titulaire d'un poste supérieur aux cinq directeurs généraux "à" la présidence. A l'époque du président Chéhab et de Georges Haimari qui cumule les titres, cette nuance se perd encore. Prérogatives administratives, politiques et… Protocole. Un grand mot pour une tâche qui tient du grand art. Le chef du Protocole orchestre les réceptions officielles de la Présidence, les déplacements du chef de l'Etat à l'intérieur et à l'extérieur du pays, les cérémonies de remise des lettres de créance. Il organise les rendez-vous diplomatiques du Président, coordonne la liaison entre le Palais et les ambassades. Dans l'esprit diplomatique et le respect de l'étiquette, des règles de préséance, des us et coutumes des nations présentes. Pour cette profession qui laisse beaucoup d'espace à l'improvisation, technique et connaissance ne suffisent pas. Il faut aussi de l'intuition, du savoir-faire, de l'imagination, en somme, les qualités de l'artiste.
Place des Canons. Entre la pharmacie Gemayel et celle des Haimari originaires de Deir-el-Qamar, une journée calme s'annonce malgré les échos de la Grande Guerre qui déchire l'Europe et qui laisse au Liban d'innombrables familles en proie à des difficultés financières. C'est justement cela qui assombrit le regard de cet étudiant en deuxième année de pharmacie, apprenti chez son oncle Massoud. Devra-t-il accepter la proposition d'un fonctionnaire au ministère de l'Intérieur, et travailler comme interprète au bureau du gouverneur français Cayla? Avec son salaire, il assisterait sa famille. C'est ainsi que Georges Haimari tourne le dos à une carrière de pharmacien pour s'en forger une, à son insu: la plus proche du chef de l'Etat. Il consacre tout son temps à son travail, escalade les échelons et se retrouve promu directeur du Cabinet du gouverneur. Il poursuivra sa mission en restant aux côtés des présidents Charles Debbas, Petro Trad, Ayoub Tabet, Alfred Naccache, Habib Bacha Saad, Emile Eddé puis au-delà du mandat, après l'Indépendance, avec les présidents Béchara el-Khoury, Camille Chamoun, Fouad Chéhab et Charles Helou. Il décède, le 28 juin 70, durant l'exercice de ses fonctions. Il avait 71 ans. L'ambassadeur Georges Haimari aura ainsi accompagné pendant quarante-quatre ans la vie diplomatique du Liban. Il aura été tour à tour directeur général de la Présidence de la République, Chef du Protocole, avec le titre d'ambassadeur du Liban, directeur général du ministère de l'Intérieur, délégué permanent auprès de l'agence des Nations Unies UNRWA, administrateur de la Ville de Beyrouth par intérim, à la fois président du Conseil Supérieur des Douanes et directeur général de la Présidence par intérim (il ne pouvait occuper simultanément les deux postes). Sollicité par tous les présidents, cité en exemple par ses compatriotes, décrit à juste titre par son fils comme "ce soldat inconnu qui a toujours travaillé dans l'ombre et m'a appris à ne jamais faire de différence entre les confessions."
J'étais l'élève le plus assidu et le plus appliqué à l'école de Georges Haimari
Le garde-fou de la Présidence, son guide, celui que le Président consulte à la dérobée pour la démarche à prendre. Le chef du Protocole, comme le lit d'un fleuve dompte les eaux pour qu'elles poursuivent tranquillement leur chemin. Le stress le guette à chaque virage mais il reste de glace. Un petit incident peut bouleverser le précis et fragile ordre de l'événement. Effacé, efficace, le chef du protocole intervient. Il improvise discrètement pour résoudre en une fraction de minute ce qui serait pour nous un vrai casse-tête chinois. "J'ai vécu avec mon père une période très longue. J'ai vu, entendu et son expérience aura été ma meilleure école."
Modestie dévoué dans l'ombre
C'était en 1945. Béchara el-Khoury, président depuis deux ans, subissait les pressions de son épouse et son frère "le sultan" Selim pour écarter Haimari, considéré loyal à Emile Eddé. Il fut donc muté directeur général du ministère de l'Education, dont l'autorité relevait du Premier ministre, et remplacé à la Présidence par Moussa Moubarak et Abdel Kader Chéhab. "Cette année-là, nous nous sommes rendus à Nazareth pour assister au mariage de ma cousine. A la frontière, les douaniers ont minutieusement fouillé auto et bagages. Par contre, sur le chemin du retour, les Douaniers nous saluèrent très bas et ne procédèrent pas à la fouille. Mon père avait été à nouveau nommé à la Présidence. Quand ils lui apprirent la nouvelle et le félicitèrent, il leur ordonna quand même de fouiller l'auto et demanda à notre chauffeur d'ouvrir les valises et le coffre… Georges Haimari n'a jamais profité de son rang, ni de ses prérogatives… Il restait égal à lui-même, contrôlant ses émotions, même le jour où, en tant qu'ambassadeur du Tchad, je lui présentai à la Présidence mes lettres de créance. Dans le passé, il s'opposait farouchement à ce que j'embrasse une carrière diplomatique ou dans le Protocole, ayant goûté lui-même à ses difficultés, mais à ce moment, il put à grand-peine retenir des larmes de joie et de fierté
Le Président Helou surnommait M. Georges Haimari "ma belle-mère"
Le président Fouad Chéhab ne veut pas séparer de Haimari. Quand ce dernier doit à 64 ans prendre sa retraite, comme tout fonctionnaire de l'Etat, il le maintient par contrat chef du Protocole. "Le président exigeait même que ce soit mon père qui lui remette le courrier, mission quotidienne qui échoit d'ordinaire au directeur de la Présidence, poste occupé à l'époque par Elias Sarkis. Idem lors du mandat du président Charles Hélou qui le surnommait familièrement ma belle-mère!"
Improvisation et efficacité jusqu'au bout
Un ambassadeur quelque peu distrait avait oublié ses lettres de créances. Solutions vite trouvée: une enveloppe vide fera l'affaire pour cérémonie symbolique. La gaffe est essuyée. L'incident qui se produit avec le père se répétera avec le fils des années plus tard. L'efficacité dont il se fit un devoir coûta la vie à Georges Haimari: l'avion du colonel Qaddafi doit atterrir d'une minute à l'autre à l'Aéroport de Beyrouth. La réception du chef d'Etat libyen, connu pour son excentricité, est dûment organisée par les deux chantres du protocole, Georges Haimari et Ezzat Khourchid. Le colonel ordonnera d'arrêter l'avion devant le salon d'honneur, aberration qui fit courir les chefs du Protocole affolés derrière l'appareil, et multipliera ses exigences. C'était plus que ne pouvait supporter le cœur éprouvé de Haimari qui s'éteindra peu après l'incident.
Présence d'esprit et d'étiquette
"Georges Haimari accompagnait le président Camille Chamoun lors de son voyage officiel en Argentine. Lorsque l'avion atterrit à Buenos Aires, la Première dame Sitt Zelpha s'apprêta à descendre les escaliers en premier mais le chef du Protocole la retint du bras et invita le président Chamoun à sortir d'abord tel que l'exige l'étiquette." Y a-t-il de meilleur témoignage de cette rigueur dans la bienséance que ce mot du chah d'Iran, en visite au Liban, qui, le jour de son départ, exprima au président de la République son admiration pour l'organisation de la réception: "Je tiens à vous féliciter pour le protocole mis en place et j'adresse mes félicitations en particulier au chef du Protocole."
Discrétion et loyauté
C'était un homme discret et taciturne. Quand il avait de la peine, il la gardait pour lui sans en faire étalage. "Il m'impressionnait énormément. On dirait qu'il voyait passer des jours tares sombres sur l'histoire du Liban. Et je me souviens qu'il me dit une fois: 'Je vois venir un nuage gris au-dessus du Liban, j'espère qu'il passera sans laisser de traces…' Sa devise a toujours été de servir le Liban. Je parle de la grandeur d'un homme qui n'a laissé après son décès que des amis sans distinction de religion. Georges Haimari était riche de ses amitiés. La veille de son décès, il demanda à ma mère de lui apporter une enveloppe cachetée renfermant ses mémoires de 44 ans et la pria de la brûler devant lui. Elle protesta mais il répondit: 'Personne ne m'a insulté de mon vivant, je ne veux pas qu'on le fasse après ma mort.' Même aujourd'hui, les gens citent son honnêteté."
Une attitude, Un Idéal
"L'avis de mon père a toujours été pour moi un idéal, je n'ai pas tenté de l'égaler mais de l'imiter. Chaque fois que je rencontrais une difficulté dans ma profession, j'essayais de deviner ce que Georges Haimari aurait fait s'il s'était trouvé dans une situation similaire. Et ceci m'a énormément aidé."
Diplomate par la grande porte
Tel père, tel fils, c'est la diplomatie qui se propose elle-même à S.E. Maroun Haimari. Ayant hébergé et pris soin des fils du président tchadien, celui-ci lui confère le titre de consul honoraire du Tchad. Bientôt Maroun Haimari se retrouve ambassadeur du Tchad, puis conseiller du président tchadien à l'heure où l'Afrique tente de jeter les ponts vers le monde arabe. Chargé de mission en Libye, représentant le président Tombal baye auprès du roi Idriss, il contribue à résoudre les problèmes de frontière entre la Libye et le Tchad… mais devra attendre vingt jours avant d'être reçu par le premier ministre. Au cours d'une deuxième mission, il rencontre, en Algérie, le président Boumédienne puis fera partie de toutes des délégations tchadiennes dans les pays arabes. En mission en Arabie Saoudite, il sait convaincre le roi Fayçal de venir en visite officielle au Tchad. Et c'est l'ouverture de l'Afrique sur le monde arabe. Dans la plupart de ses périples, il demandera conseil à son père. Le destin veut qu'ils se rencontrent "officiellement" lorsque Maroun Haimari est nommé Ambassadeur du Tchad au Liban. C'est alors que sa nationalité libanaise est gelée par décret présidentiel car il ne pouvait être diplomate au Liban et conserver sa nationalité libanaise. Plus tard, il devient ambassadeur du Tchad au Caire. On ne dénombre pas alors moins de 22 diplomates fixes à cette ambassade importante. Mais Maroun Haimari va bientôt affronter l'une des plus dures épreuves de sa carrière…
"Reconnaissez notre régime" "Je refuse"
Vers le 13 avril 1975, (ironie du sort? La date coïncide avec le début de la guerre du Liban), un coup d'Etat au Tchad renverse le pouvoir. Le président Tombalbaye est décapité par les révolutionnaires. Dans les jardins de l'ambassade du Tchad au Caire, une foule de manifestants crient à l'émeute. L'ambassadeur Maroun Haimari se faufile à l'intérieur des bureaux. En quelques minutes son auto est transformée en un amas de ferraille. L'heure est grave. Les révolutionnaires, pour la plupart des étudiants que Haimari avait aidés dans le passé, tendent, sans succès, de forcer les portes de l'ambassade. Les lignes téléphoniques sont coupées à l'exception d'une seule. Haimari appelle le ministre de l'Intérieur qui lui intime de ne pas bouger avent qu'il ne dépêche du renfort et de n'ouvrir que s'il entend trois coups successifs à la porte. Aussitôt fait. Les négociations débutent. Les révolutionnaires exigent que Haimari leur livre l'ambassade et reconnaisse le nouveau régime. Seul membre blanc du parti progressiste tchadien, considéré comme le bras droit du président, sa situation n'est guère enviable mais il refuse catégoriquement ces revendications, envoie un message codé au Tchad présentant sa démission aux autorités. A deux heures du matin, sous forte escorte, il quitte l'Egypte non sans avoir reçu les propositions d'asile politique de nombreux pays arabes. Au Liban, enfin, c'est le long processus pour récupérer sa nationalité libanaise avec le soutien du président Frangieh.
Le fils succède au père
Après une tournée internationales qui le mènera dans les coulisses du monde diplomatique, Maroun Haimari sera tour à tour observateur, conseiller et envoyé suivant la conjoncture libanaise chaotique. Fera appel à lui in extremis Amin Gemayel qui avait, en l'espace d'un an et demi, nommé cinq chefs du protocole. Ensuite, s'écoulera une courte période de transition suite à laquelle Maroun Haimari perpétuera haut la main le mythe du père.
Réadapter le protocole
"J'ai vécu des intrigues dans divers Palais. A l'Elysée, au Quai d'Orsay… mais l'organigramme est différent au Liban. Un décret y régit le protocole depuis 1944 mais les choses changent en cinquante ans… je prépare actuellement un projet de réorganisation du protocole suivant des règles d'étiquette réactualisées inspirées de l'ouvrage du diplomate Jean de Serres et de 'l'école de Georges Haimari", un être très humain qui sera toujours assimilé à son poste-vigie de l'histoire.
Marcelle Nadim - Revue Prestige Novembre 1995
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