L'Emir Fakhreddine le Grand (1572-1635) par Joseph Sokhn

Dès le XIIème siècle, les Emirs Maan s'installèrent dans le Chouf et en particulier à Baakline.

On sait qu'ils étaient Druzes mais les biographes discutent le point de savoir si leurs ancêtres étaient Kurdes ou Arabes. La plupart se rangent à la première hypothèse leur attribuant la même origine que d'autres grandes familles druzes. Les Arslan, les Joumblatt, les Takieddine. Quant à l'Emir Fakhreddine le Grand, il demeure pour tous les Libanais l'incarnation d'un ardent patriotisme. A la mort de son père l'Emir Korkmaz, en 1585, sa mère, Sitt Nassab, pour le soustraire à la fureur des Ottomans, le fit élever au Kesrouan dans la famille des Khazen. Il avait 12 ans.

Un peu plus tard, vers l'âge de 18ans, le jeune Emir prit possession de son fief du Chouf puis il commença par étendre son domaine. Il occupa la Galilée et poussa ses conquêtes jusqu'à Safad et Ajloun, s'assurant le contrôle des routes de Jérusalem et de la Palestine.

Toutefois ce grand Emir ne se contenta pas d'agrandir son territoire et de frapper ses ennemis, il chercha également à gagner la sympathie et l'estime de l'Occident. C'est pourquoi il entretient des relations économiques et politiques avec les Florentins qui, à leur tour, désiraient ardemment avoir un allié fort au Proche-Orient et notamment en Terre Sainte dans un but politico-économique. Or le Sultan Ottoman, le grand Maître de l'Orient Arabe à l'époque, découvrit indirectement par l'intermédiaire de ses espions des accords secrets signés par l'Emir Fakhreddine et le Grand Duc de Toscane. C'est pourquoi la Sublime Porte décida de contrecarrer tous les plans de Fakhreddine et même de l'éloigner définitivement de la scène politique.

Le grand Emir, pour éviter la ruine complète du Liban, résolut d'abandonner le pouvoir. Il chargea son fils ainé Ali, aidé de son frère Younes, de gouverner le pays et s'embarqua vers la Toscane en Italie, en 1613, sur un navire français. Il fut royalement accueilli par le Grand Duc qui lui offrit pour résidence un palais luxueux.

Durant son séjour de cinq ans, en Italie, l'Emir Fakhreddine le Grand visita les grands penseurs et architectes.

Alors qu'il était absent du Liban, Sitt Nassab, sa mère farouchement attachée à son pays, lutta courageusement contre la Sublime Porte; elle fut même jetée en prison à Damas à cause de son libanisme intransigeant. Quant à son père, Korkmaz, il mourut empoisonné par les Ottomans.

Signalons, en outre, que les Maan sont les premiers chefs libanais qui eurent une influence marquante sur les relations entre les Druzes et les Maronites et qui, par la suite, établirent l'entente parfaite entre les différentes communautés religieuses du Liban au XVIIème siècle.

Mgr. Douaihy, archevêque et historien maronite, Adel Ismail, actuel chef du département politique au ministère des Affaires Etrangères, notent avec une extrême satisfaction que pendant l'Emirat des Maan et en particulier celui de Fakhreddine II, la situation des chrétiens s'améliora considérablement, L'arme de Fakhreddine Le Grand était formée en grande partie de chrétiens.

Une curiosité jamais satisfaite, la recherche de l'idée dans son absolu, une probité morale exceptionnelle ont fait de Fakhreddine ll l'un des plus remarquables personnages de son temps. Peu connu des Puissances Occidentales à l'époque, Fakhreddine le Grand se signala par ses idées avances dans les domaines philosophique, religieux et social. Plusieurs écrivains, penseurs et philosophes tels que Burckhart, Churchill, Guys, Renan et Lammens, font montre à son égard, dans leurs récits sur l'Orient, d'une vive admiration.

En dépit de la violence du conflit opposant la Sublime Porte à l'Emir Fakhreddine, la dignité libanaise fut toujours respectée et le dialogue maintenu.

A plusieurs reprises Fakhreddine se vit obligé d'intervenir pour obliger les Pachas ottomans à modifier leur attitude. Le Sultan lui-même, avait des espions disséminés partout, au Chouf et dans tout le pays qui adressaient régulièrement, des rapports ultra secrets sur les activités politiques, sociales et militaires de Fakhreddine.

Le Grand Emir Maan, lui, attachait la plus haute importance à cette nuée d'espions, témoignage indiscutable des desseins que la ''Porte'' nourrissait à son égard.

Obéissant à son amour pour le Liban et pour l'indépendance, Fakhreddine le Grand, crut découvrir le chemin du salut en la personne du grand Duc de Florence qui, en 1613, l'accueillit, dans son palais, à bras ouverts.

Hélas, le rêve du Grand Duc et des Médecis concernant l'éventualité d'une campagne pour occuper Chypre et libérer la Terre Sainte, ne put se réaliser. Aussi l'Emir Fakhreddine, vers la fin de son règne et durant la période difficile qu'il traversa n'obtint aucune aide militaire du Seigneur de Florence.

L'ambition de l'Emir Fakhreddine, d'occuper de nouveaux territoires, devait causer sa perte. Il fut exécuté le 13 avril 1635 à Istanboul.

Noble figure libanaise, ardent patriote, l'Emir Fakhreddine le Grand fut en même temps un habile chef militaire, un bâtisseur, un administrateur, un diplomate et un grand homme politique.