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Cinéma - L'inoubliable "Balle perdue" |
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Cinéma - L'inoubliable "Balle perdue" de Georges Hachem
Après avoir remporté le Muhr du meilleur film arabe au Festival international du film de Dubaï, "Balle perdue" passe sur nos grands écrans. Mettant en vedette Nadine Labaki, le premier long métrage de Georges Hachem est un bijou exquis.
En ce dimanche d'été 1976, le prêtre d'une banlieue nord de Beyrouth vient d'annoncer les fiançailles de Jean Freiha et Noha Elias. Mais cette dernière n'est pas convaincue; c'est sa famille qui est soulagée de la voir saisir sa dernière chance avant de passer à la trappe et coiffer le bonnet de vieille fille que porte déjà si tristement sa sœur ainée Leila. En ce dimanche d'été 1976, à quinze jours des noces, Noha change d'avis: elle ne veut plus se marier. Le spectateur suit les pérégrinations de cette seule journée dans la vie de Noha et celle de sa famille.
Le film vous hante
L'une des beautés de "Balle perdue" réside dans les multiples couches qu'il faut effeuiller, progressivement, pour parvenir à l'essence même du film. Tout d'abord, la femme, la condition féminine dans un pays régi par un système patriarcal. Noha qui dans les années 70 - certes plusieurs décennies nous séparent de cette ère, mais à regarder de plus prés, notre société n'a pas trop évolué - se défend contre la volonté familiale qui va à contre-courant de sa volonté propre. C'est un premier niveau de lecture, un premier pont dressé entre le personnage principal et l'audience, même si le réalisateur dans sa note d'intention se défend de l'idée d'un "film en plus sur la condition féminine". Et voilà une première perception à dépasser. Ensuite, la guerre libanaise. Elle est là, en toile de fond, mais pas vraiment. Elle est reliée au récit, mais ne le conditionne pas. Pourtant, elle est indispensable. Elle fait de "Balle perdue" un film qui "n'est pas interchangeable".
L'omniscience d'une caméra
"Balle perdue" se situe au-delà de toutes ces donnés rationnelles. Il s'attache à l'enchainement d'événements, de détails, de ces petits riens de la vie qui conduisent au chamboulement irréversible d'un destin. Une marche inéluctable vers un hasard, vers des hasards qui dérapent, une tragédie qui culmine dans le hasard d'une balle perdue. Le spectateur l'avait perçu des le départ, à son insu. C'est que tout au long du film, le spectateur n'arrive pas a se débarrasser de l'impression d'un poids qui alourdit cette longue journée d'été. Une seule journée qui voile tellement de menaces, qui cache tellement de conflits, qui révèle tellement de catastrophes.
Une marche inéluctable vers un hasard, vers des hasards qui dérapent, une tragédie qui culmine dans le hasard d'une balle perdue.
Ces hasards, ces événements, la caméra les suit, la caméra les crée. "Balle perdue" se distingue par son langage cinématographique. Le déroulement de cette journée est merveilleusement rendu à l'écran par une camera qui saisit le positionnement adéquat, qui prend son temps, qui n'a pas peur de se poser, qui ne redoute pas les silences, les plans rapprochés, les plans très rapprochés, les plans d'ensemble, les plongées et les contre-plongées. Un langage cinématographique qui ose tous les possibles pour exacerber l'émotion. L'ensemble est tellement bien imbriqué que le spectateur passe par toute une kyrielle de sentiments, de sensations, de perceptions et d'émerveillement, renforcés par un éclairage judicieux, magique, une restitution impeccable de l'époque et le rendu flou de l'image. D'ailleurs, le chef operateur de "Balle perdue", Muriel Aboulrouss, a remporté le Bayard d'or de la meilleure photographie.
Une solide équipe libanaise
Tout est mis en place pour que resplendissent les acteurs. Nadine Labaki est au meilleur de sa forme. Fragile et forte en même temps, elle affronte les obstacles qui se tiennent sur son chemin, tellement humaine, tellement subtile dans son interprétation que le spectateur est touché jusque dans sa chair. Takla Chamoun, elle, se distingue dans son interprétation de Leila, un rôle auquel elle confère une portée ambiguë. Il en est de même de Badih Bou Chacra, qui incarne Assaf, le frère tyrannique et profondément humain de Noha. Le casting regroupe également Hind Taher, Rodrigue Sleiman, Patricia Nammour, Nazih Youssef, Pauline Haddad, Nasri Sayegh et Joelle Hanna.
"Balle perdue" est un film authentique, à l'image du pays, sa société, ses espoirs et ses révoltes cassées, brimées. Ce film porte bien haut les stigmates de l'être humain dans ce qu'il a de plus éphémère. Le premier long de Georges Hachem pourrait bien ouvrir une nouvelle page dans le cinéma local. Inoubliable!
(Agenda culturel du 23 février au 8 mars 2011)
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