La
montagne Libanaise par Fulvio Roiter, 1980, Conseil
N. de Tourisme au Liban
La montagne Libanaise s’entend des deux chaînes
parallèles qui sillonnent le pays sur toute
sa longueur : le Mont-Liban et l’Anti-Liban,
mais tout aussi bien des villes de la bande côtière
avec lesquelles le Mont-Liban se confond, telles que
Jbeil, Batroun, Choueifait, Jounieh et bien d’autres.
A cette particularité naturelle correspond
d’ailleurs un mouvement de flux et reflux de
la population de haute et de moyenne montagne qui,
pour un grand nombre, aux approches de l’hiver,
redescend vers des villages de moindre altitude, à
proximité du littoral.
La montagne libanaise est d’une extraordinaire
beauté, particulièrement le Mont-Liban
qui, d’un côté regarde la mer,
et de l’autre, au-delà de la plaine de
la Beqaa qui l’en sépare, les hauteurs
enveloppées de mystère de l’Anti-Liban.
Gorges étroites, vallées verdoyantes,
crêtes coiffées de pins, rivières,
torrents, cascades émerveillent le regard,
empruntant au fil des heures des éclairages
changeants.
Cette montagne est pour ainsi dire l’œuvre
du paysan libanais et ce fut une tâche de longue
haleine. Solide, endurant et d’apparence farouche
avec ses larges moustaches mais en réalité
accueillant et affable, le montagnard a sculpté
le roc en terrasses étagées où
il a transporté la terre pour étendre
son espace cultivable. On trouve même souvent
au sommet de falaises d’accès difficile
un ou deux oliviers étrangement isolés.
Les premières cultures dans la montagne libanaise
étaient justement l’olivier, la vigne
et, partout où une moindre déclivité
du terrain le permettait, le blé. Si le montagnard
a toujours un faible pour l’olivier, c’est
qu’il en tire de multiples avantages: en plus
du fruit, il en extrait de l’huile pour sa cuisine
ainsi que pour son éclairage, en y faisant
flotter une mèche qui brûle longtemps
économiquement. Et il fabrique aussi à
partir de cette huile son savon. Si depuis une trentaine
d’années le pommier est devenu roi, c’est
qu’avant lui le mûrier a longtemps régné
au Liban. En effet la sériciculture proliférait
partout et chaque village avait sa filature de soie,
mais après l’invasion de la soie artificielle
le montagnard a repris la culture des arbres fruitiers
et en dehors de la pomme qui est ici un régal,
poiriers, cerisiers, amandiers et pêchers font
également l’objet de ses soins, sans
compter la vigne dont au Liban on tire la boisson
nationale, l’arak, et de si bons vins. Egalement
à l’honneur l’élevage des
chèvres qui donnent un lait et un fromage des
plus appréciés ainsi que celui, plus
rare, du mouton, essentiel à la cuisine de
tous les Libanais.
L’âne est un animal non moins familier
au montagnard, car il sert a gravir les chemins escarpés
et à transporter les récoltes. Malgré
les progrès de la machine, il est toujours
utilisé par les paysans de la montagne, qui
semblent avoir pour lui une tendresse mêlée
de reconnaissance. C’est un élément
appréciable de leur capital.
Au moment de la moisson ou de la cueillette des olives,
les gens de la montagne s’entraident. Le village
entier y participe. Et il en est de même lorsqu’il
s’agit de bâtir une maison. Parents, amis
et voisins prennent sur leur temps, qui leur est mesuré
– car les tâches sont nombreuses –
pour offrir leurs concours bénévole.
Offrir ici est d’ailleurs chez tous un geste
spontané.
La demeure du montagnard, même la plus modeste,
est nette. Une seule couleur partout: le blanc qui
atteste cette propreté, cette netteté.
Divans, fauteuils et tables sont recouverts de dentelle
blanche que les femmes ont brodée et que rien
jamais n’a terni. L’habit du paysan, avec
son pantalon bouffant, est fonctionnel, ce qui n’enlève
rien a son pittoresque. Une coiffure de laine le protège
du soleil et du froid.
Les maisons libanaises en montagne sont fort jolies
avec leur toiture rouge. Aussi les villages perchés
sur les hauteurs ou accrochés sur le versant
en pente légère, ou encore posés
dans la vallée, se présentent-ils à
la vue comme un flamboyant bouquet. Seuls, clochers
ou minarets rompent l’uniformité de couleur.
Mais il n’y a pas que des villages. Il existe
aussi des villes – toutes reliées par
un excellent réseau de routes – dont
certaines, stations d’estivage recherchées,
ont pris de l’importance, quintuplant ou davantage
de juin à septembre leur population et, de
ce fait, connaissant un commerce actif. Elles ont
gagné parfois en prospérité ce
qu’elles ont perdu en beauté et en charme,
surtout avec la multiplication des constructions en
béton. Il est heureux que quelques-unes aient
été préservées, comme
les villages, de ce modernisme dévastateur.
Ce n’est pas le cas cependant d’une ville
comme Jounieh qui a les pieds dans la mer et qui se
prolonge sur les premières hauteurs. Elle connaît
un extraordinaire essor à la suite de la décentralisation
intervenue avec les événements de ces
dernières années, et qui a favorisé
plusieurs autres villes comme Tripoli, Saida et Zahlé.
Mais s’agissant de montagne libanaise, véritable
château d’eau, comment ne pas parler des
sources qui, en mille endroits, jaillissent en cascades.
Puits d’eaux vives, ondes qui descendent du
Liban, dit le Cantique des Cantiques. Elles sont généralement
environnées d’arbres, noyers, saules
pleureurs, châtaigniers et autres. A l’ombre
de ces arbres se sont installés des cafés
et des restaurants typiques où aiment à
s’attarder les consommateurs dont les voix se
mêlent au murmure de l’eau. Il n’est
d’ailleurs pas de village de montagne qui n’ait
sa source, et ce n’est naturellement pas un
hasard. Les eaux de source au Liban sont très
recherchées pour leur pureté et leur
légèreté, et quand il s’agit
d’eaux minérales, pour leurs vertus thérapeutiques.
On évoque souvent la source d’Afqa, parce
qu’elle est inséparable de la légende
d’Adonis. Elle sort d’une immense grotte
située dans le flanc d’un rocher à
pic de près de 200 m de haut. Mais il y a d’autres
grottes merveilleuses, notamment celle de Jeita et
de la Qadisha, la vallée sainte des Maronites.
Jeita semble avoir été conçue
par quelque génial sculpteur, créateur
de formes minérales fantastiques, extravagantes,
à l’infinie diversité, dont la
beauté jaillit de l’irrationnel. La solennelle
et silencieuse grandeur de la grotte de la Qadisha
vous saisit d’emblée, de même que
le spectacle de la vallée de la Qadisha (Wadi
Qannoubine), que domine une falaise gigantesque percée
de mille trous, cavernes dans lesquelles s’étaient
retirés tant d’ermites. C’est à
partir de là que des monastères ont
essaimé dans toute la montagne et qu’autour
d’eux se sont constitués des villages.
Ainsi les moines avaient-ils propagé l’enseignement
et ce sont eux qui en 1640 avaient crée la
première presse en Orient et en 1734 imprimé
le premier livre en caractères arabes.
Dans la montagne, les Druzes aussi ont leurs lieux
de recueillement et de méditation, réservés
toutefois aux seuls initiés. Toutes les grandes
communautés sont ici représentées.
Elles sont compartimentées ou entremêlées
dans des villages mixtes ou parfois leurs maisons
ont des murs communs. Souvent, de village à
village ou dans un gros bourg, la voix du muezzin
se mêle à la cloche d’une église
que répercute, toutes deux, l’écho
dans la vallée. Ce n’est pas en vain,
tant est grande la ferveur religieuse des habitants
de la montagne.