Comme beaucoup
de rues de Beyrouth, ce nom a été donné
par la renommée populaire tandis que l’administration
officielle conserve le nom ancien; rue Riad El-Sohl.
Toutefois si nous regardons attentivement en se promenant
dans le quartier nous découvrons une «
Rue des banques », parallèle, derrière
les bâtiments du côté du Grand
Sérail. A vrai dire c’est une belle ruelle
piétonnière servant en quelque sorte
de coulisse à la « vraie » rue
qui s’affiche. Quand on parle du Liban, le mot banque
ne vient-il pas naturellement sur les lèvres
? Depuis ….les Phéniciens….avant l’écriture,…je
crois,…. les activités bancaires s’initièrent
à partir du troc. Depuis, en ces lieux, cette
profession ne cessa jamais de s’exercer. Il est significatif
que sous les cieux si particuliers de l’Ile de France,
c’est un « Pont aux Changes » qui porte
les traditions financières de Paris. Cependant
ne médisons pas trop des capacités bancaires
de la France. Nous apprenons avec une heureuse surprise
qu’en 1955, six banques françaises ou franco-libanaises
faisaient plus de la moitié du mouvement bancaire
parmi les 36 banques de la place ; 18 étrangères
et 18 libanaises. Aujourd’hui il y en a 67 avec 10
étrangères dont 4 françaises
; BNPI (BNP Paribas), Banque Libano-française,
SGBL (Société Générale)
et Fransabank (Calyon)[1]
Notre
rue s’étend sur 400 m environ ; de la place
Bâb Edriss, où aboutit la rue Weygand,
près du port, jusqu’à la place Riad
El-Solh en longeant le bas de la colline du Grand
Sérail. Nous disions dans un article précédent
que Beyrouth était une tête de femme
de profil ; alors nous sommes sur le bord de la joue,
le sérail en étant l’oreille. Si nous
poursuivons le trajet de la rue, nous allons vers
la route de Saïda en passant par la rue de Basta
qui se transforme ensuite en rue d’Ouzaï. Quand
on interroge la plus ancienne mémoire nous
découvrons que cette rue s’appelait Fakhreddine,
puis avec 1943, le nom de Riad El-Solh s’imposa en
tant que père de l’Indépendance. Il
faisait écho à Béchara el Khoury
quelques rues plus loin. Non seulement il marqua la
rue mais aussi l’ancienne place Assour ; « Sur
les murailles ».
La
rue telle que nous la voyons a été réalisée
à partir de 1952. Ce fut le seul ensemble urbain
cohérent du centre ville édifié
après le Mandat pendant l’âge d’or du
Liban. Il est à noter que c’est l’initiative
privée qui fut le moteur de cette transformation
positive, en poussant l’Etat, dédommageant
les ayants droits, puis édifiant les nouveaux
bâtiments fonctionnels de cette nouvelle rue.
Dans ce cas nous voyons bien que la société
libanaise fait partie de celles qui vivent en organicité
naturelle partant du bas. Ce caractère particulier
se souligne avec la prédominance des familles
sur les entreprises et des entreprises sur les organes
de gouvernement. Dans l’optique inverse, certains
voient d’autres sociétés s’édifier
à partir de l’Etat. En partant du haut, l’ordre
descend vers la base. Maintenant, en Europe, c’est
l’Etat qui prend soin de vos vieux parents en fournissant
des aides en « chèques de service »
par un personnel dûment certifié par
l’Etat. Le Liban s’organise sans idées préconçues,
mais suivant la nature propre de chaque élément
de base, avec un principe de subsidiarité instinctif.
Dans le domaine bancaire cet aspect se confirme par
le fait que le critère de banque agréée
par le gouvernement était mal défini
; il s’agissait alors de banques agréées
pour la fourniture de cautions dans les marchés
publics. La définition de Banque ne sera précisée
que plus tard, dans le Code de la Monnaie et du Crédit
à partir du 1er août 1963. Faute de législation
sur les opérations de banque, les établissements
étrangers suivaient, si elles le voulaient
bien, les règles de gestion des banques de
leur pays d’origine. Cette anarchie organique apporta
ordre et prospérité, dans la plus grande
liberté. Pendant ce temps à Paris, la
V ième République Française voulait
créer un pôle financier en édictant
une législation méticuleuse.
Dans
le domaine architectural de la rue, Samir Kassir,
dans « Histoire de Beyrouth » donne des
précisions telles, qu’il n’y a rien à
rajouter
«
Déclinant un langage néoclassique tempéré,
avec des emprunts plutôt réussis aux
façades new-yorkaises, sans la même élévation,(On
ajouta tout de même les avantageux étages
Murr[2]) la rue des Banques se montrait,
par son architecture, à la hauteur de la fonction
économique internationale que remplissaient
déjà ses occupants. L’alignement de
la rue sera parachevé, en 1955, par les lignes
du siège de la Pan American, et dont la volumétrie
et le traitement du socle épousaient aussi
bien la pente perpendiculaire du Grand Sérail
que la déclivité de la rue »[3]
Si
vous le voulez bien nous allons la remonter ensemble
en partant de la rue Weygand. Ouvrant la belle perspective,
nous avons à droite les vitrines de l’agence
Bang & Olufren ; entreprise d’origine danoise
dans le domaine de l’audition et la vision de tous
les appareils modernes. Avant de venir au Liban cette
entreprise s’était fait connaître dans
le Golfe. Ensuite un libanais en a pris la licence
et s’établit à Jamhour. Maintenant,
il a pignon sur une des plus belles rues de Beyrouth.
Sur la gauche, de l’autre côté, au travers
de belles vitrines les stylos Mont Blanc se proposent
à signer les meilleurs contrats possibles.
Un pas de plus et Palobongia, H. Fratelli, Weill,
et Gérard Darel sont prêts à vous
vêtir pour votre futur rendez-vous financier.
Sur le trottoir, l’angle d’une mosquée ayant
conservée son orientation vous fait marquer
le pas. En levant les yeux, et en vous tournant vers
la droite, vous avez une belle vue. Sur fond d’azur
le sommet de tuile du clocher de l’église Saint
Louis des Capucins se détache entre de clairs
immeubles modernes. Sur l’autre trottoir Caven, Aiguer
Barbar, et Salvadore Ferragano étendent votre
possibilité de choix que vous voulez donner
dans votre habillement. Au premier étage l’éclat
vermeil du drapeau turc donne une pointe de couleur
parfaite. C’est le service économique de la
République Turque. A ce premier croisement
c’est l’ancienne rue Henry de Jouvenel, premier Haut
Commissaire civil succédant au Général
Maurice Sarrail, qui vous offre sa vue. Maintenant
elle s’appelle la rue Hamid Karamé, un autre
père de l’Indépendance, venant de Tripoli
soutenir son collègue Riad El-Solh de Beyrouth.
Cependant cette rue transversale conserve toute sa
droiture ; de la place Bâb Edriss, en passant
par la place de l’Etoile et son horloge, jusqu’à
la coupole bleue ornée de minarets de la nouvelle
Mosquée El Amine. Comme harmonie urbanistique,
c’est un succès.
Justement,
sur notre gauche, la mosquée de pierre ocre
offre un relais charmant, orné de verdure,
surmonté d’un minaret coiffé de cuivre.
Une inscription de la Direction Générale
des Biens Islamiques donne les explications nécessaires
en arabe et en anglais ; « La mosquée
Emir Munzir (Al Natufarce) Munzir Ibn Suleiman, b.
Alam al Din, b. Muhammad al Tannakhi, 1029 de l’Hégire
– 1620 après Jésus-Christ, sous le Sultanat
Ottoman de Mourad IV » Un peu plus bas, une
autre information, uniquement en arabe, s’inscrit
dans le marbre pour fêter la rénovation
grâce à Hajj Ahmad Misbah El-Bizri en
décembre 2002. Est-ce lui qui a fait recouvrir
d’un fin plastic translucide la cour intérieure
? Celle-ci, en hauteur, depuis le trottoir on doit
monter sept marches pour accéder au sol recouvert
de somptueux tapis. Elle est entourée d’arcades
soutenues de colonnes de granit noir venues d’Assouan
dans l’antiquité ; l’ensemble donnant une impression
d’intérieur extérieur réussit.
Si
vous remontiez la rue, Hamid Karamé vers Bâb
Edriss, sur la droite, après quelques mètres
vous trouveriez l’ancien siège de la British
Bank of the Middle East dans l’immeuble des Capucins
à côté de l’immeuble Sursock 1930
très bien restauré. En face, dans la
même rue, la Chase Manhattan Bank dans l’immeuble
Abboud avec une façade de style à colonnades,
lui faisait écho, aujourd’hui au rez-de-chaussée
nous avons les bureaux de la M.E.A. Plus tard cette
banque choisit de s’installer dans le nouvel immeuble
de la Banque de Syrie et du Liban.
Cependant,
ne nous attardons pas, continuons notre itinéraire
vers la Place Riad El-Solh en traversant la rue Hamid
Karamé. Sur notre gauche faisant angle, à
l’immeuble au rez-de-chaussée, attend un magasin
pouvant faire oublier Orosdi-Back qui lui-même
avait succédé à la commanda tour
de la police Ottomane. Avant la guerre civile, Orosdi-Back
nous offrait un magasin de luxe pour un intérieur
de goût. Toujours au rez-de-chaussée,
nous avions la BIAN (Banque Industrielle d’Afrique
du Nord) dirigé par Monsieur Catoni, qui sera
plus tard la Banque Libano-Française de Monsieur
Farid Raphaël, ses bureaux allaient même
jusqu’au premier étage. Au deuxième
étage la Banque Belgo Libanaise vous attendait
discrètement. Au troisième étage
c’était la Compagnie Algérienne d’assurance.
Aujourd’hui la SGBL[4] de Monsieur
Sehnaoui occupe l’ensemble de l’immeuble de pierre
ocre formant un îlot indépendant, avec
une belle entrée de fer forgé.
Sur
la droite la Banque Intra faisait symétrie
jusqu’à l’escalier montant vers l’Eglise des
Capucins de Saint Louis. Cette banque avait repris
la station d’essence de la Socony Vacuum. Il est terrible
de constater que le seul souvenir de cette banque
dans l’opinion public soit sa défaillance du
16 octobre 1966 à midi après l’épuisement
de ses liquidités de trésorerie. Pourtant
après un rachat, il y eut une nouvelle société
créée en octobre 1969, avec une participation
des Etats-Unis, du Qatar, du Koweit et du Liban. Des
spécialistes plus pointus soulignent même
qu’Intra Investment Compagny créa une banque
commerciale : la Banque Al Machrek en association
avec la Banque Morgan Overseas Capital Corporation.
Qui réalise cette vie d’après les épreuves
? La Banque Intra sera toujours dans la mémoire
du peuple, cet arrêt des paiements en plein
midi. Aujourd’hui l’immeuble de belle apparence attend
un titre s’affichant sur cette rue de renom.
Un
autre immeuble mitoyen annonce « Arab African
International blg »
Ensuite,
après la coupure d’un passage nous conduisant
vers la rue des banques des coulisses, le trottoir
longeait le Parking puis le bâtiment de la Banque
de Syrie et du Liban jusqu’aux prochains vastes escaliers
agrémentés de verdures. Là aussi,
un seul bâtiment occupait l’îlot en toute
indépendance. Les grands escaliers nous élèvent,
après avoir traversé la rue quasi piétonnière
des banques, à travers la rue des Capucins
vers le Grand Sérail au sommet de la colline
; le drapeau Libanais flotte au vent du large. C’est
une très belle ouverture en contre plongée.
Le nouvel immeuble de la BSL a mis cinq ans pour être
édifié ; 1950 à 1955. Il a abrité
provisoirement la nouvelle Banque du Liban, ayant
uniquement pour fonction le rôle de banque centrale,
en attendant la fin de la construction de son immeuble
propre à la rue Michel Chiha. Cette construction,
elle, s’est effectuée en un an par Faez Bey.
Juridiquement, l’immeuble de la rue Riad El-Solh se
situait entre la nouvelle Banque du Liban et la Société
Nouvelle de la Banque de Syrie et du Liban S.A.L.
crée le 2 avril 1963.
Laissons
parler Monsieur Roland Pringuey ;
«
Dès que fut achevée la séparation
des deux banques, je reprenais mon bâton de
pèlerin en été 1965 pour aller
plaider la cause de l’immeuble à Paris. J’en
avais longuement parlé à Beyrouth avec
nos administrateurs libanais Henry Bey Pharaon, Amine
Bey Beythum et Faez Bey el Ahdab. Nous pensions tous
que cet immeuble devait revenir dans le giron de la
famille. Avec Faez bey, j’avais établi plusieurs
projets d’aménagement pour rendre l’investissement
supportable. J’en faisais part, dès mon arrivée
à Paris, aux administrateurs de la Banque,
ainsi qu’aux membres des comités de la Banque
Ottomane. Après étude du projet, M.Dupéron
pour le comité de Paris et Lord Latimer pour
le comité de Londres donnèrent leur
accord, accompagnant celui-ci d’un financement exceptionnel,
remboursable dans un délai de dix-huit mois.
Il
fallait donc faire vite. Faez Bey heureusement était
à mes côtés. La SNBSL créa
la Société Immobilière Al-Solh
S.A.L. – SIAS – dont je fus nommé président,
Faez Bey et Maître Michel Mitri étant
administrateurs. Dès l’immeuble acquis de la
BSL, les travaux commencèrent par la création
dans l’espace libre de l’ancien hall, d’une grande
dalle formant le nouveau deuxième étage
de l’immeuble.
Puis
se fut l’installation d’ascenseurs centraux et d’un
escalier desservant tous les étages, le réaménagement
complet du rez-de-chaussée, du premier et du
troisième étage. L’immeuble avait été
conçu par la BSL comme un bâtiment de
prestige, de style haussmannien, comme un véritable
monument, devenait un centre bancaire dont les unités
d’exploitation pouvaient être louées
ou vendues en copropriétés. Ce fut le
cas pour les moitiés est du rez-de-chaussée
et du premier étage qui furent vendues à
la Chase Manhattan Bank pour liquider une partie du
prêt assuré par les maisons mères.
Ces lots de copropriété furent rachetés
plus tard par la Société Nouvelle Immobilière
S.A.L., autre filiale immobilière de la SNBSL.»[5]
En
face, en allant de l’autre côté de la
rue, la Bank Misr Liban S.A.L. establised 1929, une
belle année de crise pour fonder une banque,
est originaire d’Egypte comme son nom l’indique en
langue arabe, prenait sa pose sur tout un îlot
; entre l’espace à l’arrière du Parlement
et une large rue assez courte. Elle sert de parvis
aux degrés du porche nous conduisant au Ministère
des Télécommunications de la République
Libanaise. Sur l’autre extrémité de
cet l’immeuble ministériel, lui aussi prenant
tout l’îlot, Liban Post nous accueille un peu
moins solennellement. Toujours sur le même trottoir
de gauche, en ayant franchi la rue Ahmed Jisr allant
vers la place de l’Etoile, nous avions la vaste caserne
de pompiers de Beyrouth jusqu’à la Place Riad
el Solh. Cet immeuble se transformera en siège
de l’Arab Bank, dans le style plus dur de verre et
de marbre bordeaux des années soixante, grâce
aux architectes, Georges Rayes et Théo Kanaan,
tous deux d’origine palestinienne et formés
à Londres.
Sur
le trottoir de droite après les larges escaliers
verdoyants servant d’entrée à l’ascension
vers le Grand Sérail, nous rencontrons la Banque
Libanaise pour le Commerce de Messieurs Abou Jaoudé,
dans leur immeuble de pierre miel. Il est mitoyen
de celui, de verre et d’acier noir, de la Banque de
l’Industrie et du Travail. La présidence de
cet établissement, en 1971, passa de Madame
Nadia Khoury à la famille de Monsieur Emile
Boustani. Toujours mitoyen, toujours dans le même
style dur aux couleurs sombres, au fenêtres
carrées, se succède une autre banque
; la Beirut–Riad Banks de Monsieur Pierre Eddé.
Franchissons un passage qui s’appelle rue Moustafa
El-Akkad. Nous atteignons le bâtiment d’angle
de la place Riad el Solh. Nous retrouvons les couleurs
lumineuses de la pierre libanaise. Cet immeuble s’illustrait
par les bureaux de la compagnie aérienne Panam
avec au sixième étage ceux de la Banks
of America. Que de rêves pour l’imagination
dans les années soixante ! L’avion, faisait
autant rêver de luxe, que voyager. Il n’avait
pas acquis cette banalité actuelle des déplacements
de masses. Aujourd’hui, sous le porche, sentant un
peu trop l’attente, avec la poussière de la
circulation, REPCO nous annonce sur une plaque de
cuivre que cet immeuble lui appartient. Si vous le
contournez en allant à droite, vous serez surpris
par la tranquillité du lieu. A la rencontre
des rues des Capucins et des banques un joli jardin
se présente sur le flanc de la colline du Grand
Sérail. Vous pouvez, alors, descendre vers
Bab Edriss dans une des plus belle promenade de Beyrouth.
Un peu plus bas vous méditez sur deux ou trois
parcelles de vestiges romains au ras du sol avant
de retrouver le monde contemporain avec toutes ses
agréables vanités.
Sur
la place Riad el Solh, à la circulations automobiles
incessante, nous attend impassible la statue éponyme.
Le contraste est violent ; vous étiez à
l’ombre, le soleil vous écrase, vous appréciez
le calme l’agitation vous accueille. Des rampes de
bétons, des passages souterrains chantent le
régal de la conduite de l’automobiliste pressé.
Cependant, Riad El-Solh de bronze, quoique légèrement
déplacé par rapport à son ancienne
place, nous rappelle les jours anciens. Même
dans les indications quotidiennes la place continue
à garder son nom, avec un ton de familiarité
respectueuse et gaie. Une occupation sauvage de protestation
de dix huit mois n’y a rien fait ; la vie reprend
son cours.
[1]
Le Point sur le Liban – Gérard Figuié
- [2] Du nom du Ministre ayant toléré
pour une fois, seulement, une dérogation à
la législation du code de l’urbanisme. [3] Histoire de Beyrouth – Samir
Kassir - Fayard [4] Société Générale
des Banques du Liban [5] Quarante ans de vie au Liban
– Roland Pringuey- 1996 FMA / Beyrouth