Il est dans le quartier de Tabaris une rue, somme
toute, assez modeste mais qui porte le beau nom du
pays ; rue du Liban. Naturellement pour un tel nom,
nous nous attendrions à une large avenue triomphante
à l’activité fébrile. Nous
pourrions souhaiter un immense rond point tendant
vers la perfection. Cependant après un temps
de surprise, personnellement, je remarque que cette
modeste et tranquille rue représente bien un
certain Liban. Surtout dans sa deuxième partie
car bien souvent nous oublions qu’elle part
pleine d’énergie en se tortillant pour
monter rudement depuis la rue Gouraud et arriver à
la place Tabaris. Les deux sections n’ont aucune
ressemblance ; elles vont dans le même sens
certes, plein sud, mais la circulation automobile
se fait en sens contraire. Elles ne respirent pas
le même air ; dans son départ nous sentons
la vie vigoureuse qui veut monter ; moitié
en volonté d’efforts, moitié en
adaptation du sol, dix pas vers la gauche, dix pas
vers la droite. Des portes vous sollicitent constamment.
Les fenêtres des immeubles la serrant de près
vous regardent de haut.
Aujourd’hui je veux vous parler de l’autre
rue du Liban, celle qui parle le mieux à mes
souvenirs.
Assurément je la sens plus discrète
et paisible, comme un certain Liban s’écartant
un peu du tumulte de la vie active. Cependant combien
cette société garde de profondeur dans
la valeur du temps que la vie nous accorde. Afin d’en
pendre toute la mesure il ne faut pas être pressé
et ne pas se laisser noyer dans les prospectives de
nos projets.
Nous irons dans le sens obligatoire de la circulation
automobile de cette partie déjà haute
de la rue du Liban, en montant de l’avenue Fouad
Chéhab se confondant avec la place Tabaris,
véritable tourbillon de circulation, jusqu’à
la rue Abdel-Wahab El Englizi. Dès les premiers
pas, subitement tout change, nous laissons les rumeurs
du quotidien frénétique pour atteindre
une atmosphère paisible. La trajectoire n’est
pas compliquée puisqu’elle est toute
droite dans sa simplicité sereine. Nous sentons
le geste tranquille de la main de l’urbaniste
suivant le bord de la large règle afin de tracer
cette belle horizontale. Sur un visage jeune, intelligent,
il porte de fines moustaches effilées avec
des lorgnons sur un regard acéré. Cette
rue n’est pas trop large puisqu’elle n’accepte
que deux voitures de front ; une file immobile contre
le trottoir de gauche et l’espace de circulation.
D’ailleurs faut-il parler d’automobiles
?
L’atmosphère générale de
cette rue n’appelle pas la circulation malgré
la rectitude de son tracée. Véritablement
elle est faite pour être montée ou descendue
au rythme du pas méditatif du passant aux souliers
bien cirés. Il est presque seul. Sans trop
d’effort, il suit ses projets tout en marchant.
Les trottoirs modestes mais continus lui servent de
discrète ligne de conduite. En vérité
ils ne sont là que pour vous offrir une sauvegarde
quand de temps en temps passe un véhicule…hippomobile
vous avertissant par le son des sabots sur le pavé.
Je ne sais pas pourquoi malgré le vrombissement
des véhicules automobiles mon oreille attend
toujours un autre bruit que je n’ai jamais entendu.
Quoiqu’il en soit il existe une heure depuis
la fraîcheur matinale du jour jusqu’à
la douceur de la nuit où vous pourrez aller
sans être gêné en aucune façon
dans vos réflexions.
Ainsi tout d’abord dans la pente la plus forte
du départ, reste de ses origines, vous verrez
venir sur votre droite en angle droit la rue de l’Université
Saint Joseph. Le nom seul vous appelle au sérieux
de l’étude. Elle repartira sur votre
gauche en prenant un angle différent et un
autre nom, celui des Saints Cœurs. Vous pourrez
y découvrir un angle d’une rénovation
réussie dans la citée moderne. Quelques
pas plus loin sur votre gauche la rue Gergi Zeidan
de l’ancienne Résidence des Jésuites
viendra s’arrêter sur votre trajet pour
vous saluer discrètement.
A l’angle, une belle maison laissée à
l’abandon vous regardera passer dans un silence
méditatif de ses fenêtres béantes
aux contours sculptés. Jonchée de feuilles
mortes une ancienne et belle entrée aux escaliers
changeant de rythme toutes les cinq marches en prenant
appuie sur des balustrades, ne reçoit plus
grand monde depuis longtemps. Elle se ferme par un
portail rouillé nous offrant les charmes de
la nostalgie au travers de ses grilles tandis que
les vantaux du bas appellent encore discrètement
le propriétaire de ses initiales à demi
effacées ; M sur l’un des battant, H
deviné sur l’autre.
Encore quelques pas plus larges, car vous êtes
maintenant arrivé au sommet du plateau, le
premier vrai croisement vous mettra en contact avec
la rue Huvelin sur votre droite qui sur l’autre
côté avait pour nom Ghandour. Là,
vous êtes au cœur de l’activité
bien paisible de notre rue. Deux ou trois chauffeurs
de taxis égrenant leur patience d’ambre
vous dévisagent en silence. Non, vous n’avez
besoin de personne. D’ailleurs d’avoir
la nécessité immédiate de partir
à toute vitesse aurait quelque chose d’incongrue.
Un café attend les étudiants et les
étudiantes qui viendront ou sortiront de cours.
Ensuite sur la droite, l’église Orthodoxe
de Notre Dame de l’Annonciation environnée
de palmes vous observera de son abside par-dessus
son mur de clôture au travers de sa grille.
Vous êtes passé devant divers magasins
cependant ils ont l’air d’être là,
juste pour enchanter votre promenade. La preuve certaines
vitrines sont la concrétisation d’un
rêve d’une jeune vendeuse; fleuriste,
musique, colifichets, cadeaux, coiffure. Une autre
église vous attend sur l’autre côte
; Saint Antoine le Grand. Elle marque son temps par
son style ; ronde et de pierre de taille. Vous vous
souvenez des années soixante ? Pas très
loin l’annonce de luxe « Au gant rouge
» vous intrigue. Enfin vous arriverez le plus
sereinement possible sur la rue de Wadi El Englizi
qui vous votre trajectoire. Vous devrez choisir. Soit
poursuivre sur la droite vers la place Sodeco quelques
pas plus loin, soit sur la gauche vers la place Sassine.
A moins que vous n’ayez un rendez-vous afin
de déjeuner au célèbre restaurant
d’Al Dente dont l’entrée est dans
l’axe de la rue du Liban. Si vous êtes
vraiment perdu de rêves vous pourrez réserver
à l’hôtel « Albergo »
qui vous reçoit par ce restaurant.
Toutefois vous pourrez très bien arrêter
vos pas sur le bord du trottoir dans votre course
de la vie, afin de mieux réfléchir à
l’importance d’une rencontre, aux conséquences
d’une décision, aux risques d’un
échec, aux espérances d’un succès.
La rue du Liban vous offre un lieu de délibération
tranquille. Vous ne dérangez personne et même
vous pouvez sentir comme un accueil silencieux. Chaque
porche d’entrée dans leur décoration
vous raconte les résultats des décisions
de vos prédécesseurs. Ce portail-ci
avec les lignes droites d’Art déco vous
ramène au temps de la fin du Mandat tandis
que le voisin avec ses ferrures plus courbes vous
suggère un reste d’Art nouveau. Vous
remonterez dans le temps, d’une décennie.
Oui, ici, aussi il y eût des hommes pressés,
comme vous, et avant vous. Quelques uns arrivèrent
à afficher et à arrêter sur cette
belle rue leurs succès accomplis, avec leurs
goûts. Des ramures de jardins débordants
d’une vie généreuse bousculent
parfois les clôtures marquant une prospérité
d’autrefois, plus grande. Vous découvrez
au travers des branches un balcon à la balustrade
vide. Il vous dit quelle demoiselle s’y accouda
en attente d’espoirs de jadis et naguère.
Rarement mais parfois quand même, quelques notes
de piano vous surprennent. En une courte mélodie
le frisson de la vie persiste doucement dans le cœur
des humains, comme la sève dans les branches
des arbres. Nous allions l’oublier.
Justement un cyprès, que vous n’aviez
pas remarqué auparavant, devant vos yeux s’élève
de toute sa vigueur vers l’azur des cieux. Tout
là haut volent quelques oiseaux. Ainsi au tracé
rectiligne de la rue par l’architecte répond
la verticale de la flèche végétale
dans toute la somptuosité, l’abondance
de sa vie. Chaque ramure se serre et monte plus haut
l’une que l’autre dans un crescendo naturel
sans bruit sinon quelques piaillements de moineaux
querelleurs ou amoureux. Vous attardant au sommet,
la cime sur fond céruléen vous offre
l’image immobile de l’intemporel. Même
le plus léger frisson de l’air du jour
ne trouble en aucune manière la profondeur
du spectacle silencieux. Ce personnage végétal
est bien souvent d’ailleurs totalement immobile.
Où êtes-vous ? Aujourd’hui ou hier,
ou peut-être encore, déjà demain.
Le chant de l’heure devient intemporel, vos
aïeux virent la même symphonie ; un cyprès
dans le ciel d’une rue montante. D’autres
adolescents passeront avec vos mêmes inquiétudes
rajeunies devant le même panorama. Vous pourriez
être Phéniciens, Grecs, Latins ou Français
des Echelles sans changer un atome de Démocrite.
La flèche de Zénon d’Elée
se fige dans le paradoxe de vos sensations faisant
vibrer des sentiments indépendants du temps.
Entre deux battements de cœur, deux souffles
de votre respiration peut-être avez-vous une
sensation tangentielle de l’éternité
factuelle.
Après quelques très courts instants
dans cette vérité de vie au Liban, votre
esprit un moment surpris reprend ses droits. Milles
idées brièvement contenues vers l’extérieur
reviennent avec plus de force presque malgré
vous, troubler votre vue. Ensuite votre montre ou
un bruit particulier vous ramène sur le théâtre
du monde. Il faut aller de l’avant. On vous
attend ici ou là. Vous espérez ceci
de celui-là ou cela ce celui-ci. Oui, vraiment
cette rue mérite son nom de « Rue du
Liban » par ce qu’elle vous apporte de
constant et de permanent, de léger et de profond,
de futile et de sérieux. N’est ce pas
dans cette rue où nous pouvons mieux ressentir
la vanité du monde mais aussi son humilité
la plus sincère. ?
Maintenant les nouveaux architectes élèvent
les verticales d’immeubles babyloniens dont
votre cou ne peut suivre les sommets. Les matériaux
se manifestent dans toute leurs splendeurs ; marbres
ocres, aciers brillants, verres aux tons aquatiques
dans les premiers étages prenant des reflets
de ciel pour la suite de l’ascension. Côtoyant
les autres âges, un nouveau monde naît.
L'arrêté
du 17/1/1924 N.2385 modifié par la loi N.75
du 3/4/1999 (Articles 2,5,15,49 et 85) stipule:
L'auteur d'une oeuvre littéraire ou artistique
détient du seul fait de sa création
un droit de propriété absolue sur cette
oeuvre, sans obligation de procédures formelles.
L'auteur de l'oeuvre bénéficiera lui-même
de l'exploitation de son oeuvre, il possède
le droit exclusif de la publier, et de la reproduire
sous quelques formes que ce soit. Qu'il s'agisse ou
non d'oeuvres tombées dans le domaine public,
seront punis d'un emprisonnement d'un mois à
trois ans et d'une amende de cinq millions à
cinquante millions de livres libanaises ou à
l'une des deux peines seulement, ceux qui: 1-auront
apposé ou fait apposé fraudulement un
nom usurpé sur une oeuvre littéraire
ou artistique; 2-auront, pour tromper l'acheteur,
frauduleusement imité la signature ou le signe
adopté par un auteur; 3-auront contrefait une
oeuvre littéraire ou artistique; 4-auront sciement
vendu, recelé, mis en vente ou en circulation
l'oeuvre contrefaite ou signée d'un faux nom.
La peine sera aggravée en cas de récidive.
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