Un pays qui enjolive l'Orient - Esquisse du Liban
- Années 1950 (Extraits)
Lucien Offenberg de la Société de Géographie
de Paris, Envoyé spécial au Liban.
Pourquoi le Liban, petite Nation, enjolive-t-il l'Orient
si grand, démesurément grand même?
Cette République est-elle d'abord si petite?
Ses onze mille kilomètres carrés pourraient
englober plus de quatre fois le Grand-duché
de Luxembourg, mais elle n'occuperait à vrai
dire que le tiers de la Suisse. Tout est donc relatif.
Comparée à ses grands voisins orientaux,
Syrie, Egypte, Turquie, Irak, le Liban n'est guère
plus étendu qu'une de leurs provinces! Mais
ce qu'il perd en superficie, le Liban le gagne en
qualité à l'intérieur de ses
frontières, par l'absence de vastes déserts
et la présence de montagnes. Enfin, qui plus
est, grâce à sa position géographique
qui lui donne la mer pour alliée, grâce
à l'habileté et au dynamisme de sa population
qui essaime ses fils aux quatre coins du monde, le
Liban affirme brillamment une personnalité
nationale au balcon de la Méditerranée.
Qu'adviendrait-il
dans le monde si les grandes nations seules se voyaient
toujours prises en considération dans le concert
humain? Et si l'intérêt d'un pays ne
s'évaluait qu'en fonction de son entité
géographique? Maintes petites nations ont joué
et continuent de jouer un rôle prépondérant,
au sein de la communauté des peuples. Ce qui
est vrai pour la Suisse en Europe, l'est aussi pour
le Liban dans son cadre oriental. La République
libanaise, Etat souverain, pays arabe, terre chrétienne
autant que musulmane, ouvre ses portes au voyageur
d’où qu'il vienne.
N'accepterions-nous pas l'invitation offerte de la
part des descendants des antiques Phéniciens,
qui portent aujourd'hui dans le monde le passeport
libanais?
Les
Seigneurs de la Bekaa
Avant
de parler des Libanais, connaissons du moins leur
pays. Toutes les manifestations de la géographie
humaine du Liban se déroulent en fonction du
relief. Il importe donc de s'y attarder un tout petit
peu et de lui consacrer quelques lignes. Relief à
la fois simple dans son orientation axiale nord-sud,
courant parallèlement au rivage de la Méditerranée,
mais accidenté dans sa forme, il apparaît
comme le plus compliqué des pays du Moyen-Orient,
tant par sa structure géologique que par la
variété de ses aspects et du réseau
hydrographique qui en dérive.
Le
Liban est couvert, au delà de la Galilée
libanaise qui prolonge la Galilée palestinienne,
par un imposant massif montagneux, très élevé
qui s'allonge dans une direction sud-nord en se resserrant
au nord vers le littoral: c'est le Mont Liban. C'est
bien lui que découvre le touriste dès
son arrivée au large de Beyrouth. Il est couvert
de neige l'hiver, strié de blanc durant les
premiers mois de l'été. Rien d'étonnant,
même s'il se situe au soleil du Moyen-Orient,
puisque ses sommets se rapprochent souvent des deux
mille mètres et dépassent les trois
mille dans le Liban septentrional qui culmine par
des hauts plateaux (le Sannine, le Djebel Barouk,
le Hermon, le Makmel) plutôt que par des pics
en dents de scie. Une seconde chaine de montagnes,
l'Anti-Liban, court parallèlement à
la première; plus à l'est, elle est
séparée du Mont Liban par une large
dépression formée de terres arables
et dans laquelle les Libanais ont placé leur
grenier: c'est la plaine de la Bekaa. Géologiquement,
elle représente un fossé qui prolonge
vers le nord la dépression du Jourdain. Dans
l'ensemble, la plaine de la Bekaa se fraie un passage
de la Palestine vers la Syrie septentrionale. Elle
atteint une largeur de 15 km, s'étire sur plus
de 50, ce qui se traduit par une étendue cultivable
appréciable. Aussi les riches propriétaires
terriens libanais ne peuvent-ils être surnommés
que les "Seigneurs de la Bekaa"! Nous venons
de citer le Mont Liban, la plaine de la Bekaa, la
chaine de l'Anti-Liban; voila toute la géographie
du Liban. Remarquons que la ligne de crête de
cette dernière chaine dessine non seulement
la frontière entre le Liban et la Syrie, mais
délimite deux zones naturelles bien distinctes:
en deca se meurt le verdoyant Liban, au delà
commence l'aride Syrie.
La
Montagne Libanaise
Grâce
à son relief, le Liban a été
doté par la nature de gorges encaissées,
de vallons, de failles, de cirques montagneux, d'escarpements,
ensemble orographique que les Libanais appellent "la
Suisse de l'Orient". Il serait néanmoins
plus approprié, géographiquement parlant,
de le comparer aux Apennins maritimes d'Italie, à
la Riviera italienne, flanquée de sa montagne
elle aussi, d'autant plus que la végétation
exubérante qui y croit accentue cette similitude.
Autre fait capital: le problème de l'eau n'apparaît
pas au Liban d'une manière aussi lancinante,
aussi impérative, qu'en Syrie ou qu'en Jordanie.
L'eau, quoique responsable des ravinements du relief,
est cependant un élément constructif
essentiel du paysage libanais, en autorisant l'éclosion
et la persistance de la vie.
Indépendamment
du Litani, l'unique fleuve national qui arrose la
Bekaa, de nombreux "Nahr" ou rivières
permanentes (le plus connu est le Nahr el Kalb, la
rivière du Chien) et "Wadi", cours
d'eau secondaires intermittents au débit plus
faible, veinent et enchantent la montagne libanaise.
Cette présence de l'eau sauvegarde le visage
méditerranéen du Levant; et les Libanais,
hommes avisés, ont non seulement utilisé
au profit de leur agriculture cette masse liquide,
mais, dans un esprit très touristique, ils
ont exploité la fraicheur de ces "wadi",
la gaîté de ces sites, en y multipliant
maintes guinguettes où la dégustation
s'accompagne du murmure des cascades. Parmi tant,
j'ai conservé la vision reposante du "Wadi"
de Zahlé, non seulement le plus typique, mais
le plus joliment aménagé. Cafés
et restaurants orientaux s'échelonnent au bord
de l'eau; Libanais et Syriens, Egyptiens et Occidentaux,
ainsi que les nouvelles classes dirigeantes du Kuweit
et du Quatar, s'y coudoient, unis par le même
désir d'échapper sous ces frais bocages,
aux ardeurs du soleil d'été oriental.
Ces "wadi" ainsi aménagés
s'insèrent agréablement dans le chapelet
de stations estivales, parsemées sur la montagne
libanaise. Le Liban n'est ni un désert, ni
une fraction du désert. Il est le pays qui
enjolive l'Orient.
La
montagne permet enfin de découvrir le littoral
dans toute son ampleur. Si l'on me demandait à
brûle-pourpoint où mieux admirer le paysage
maritime libanais, je répondrais sans hésitation:
"Montez à Notre-Dame de Harissa!".
Une
excursion à Harissa par les lacets d'une route
asphaltée grimpant sous les pins odoriférants,
représente un double pèlerinage: à
celle appelée par la piété populaire,
Notre-Dame du Liban, et à la nature magnanime
de beauté qui offre le spectacle d'une baie
au galbe parfait. Le paysage est celui d'une vision
à vol d'oiseau: de l'esplanade sur laquelle
s'élève la statue de la Vierge, se dessine,
à plus de mille mètres, l'agglomération
beyrouthine, l'ample baie de Jounieh, le promontoire
de Jbeil (Byblos). L'horizon de la mer recule si loin
qu'il se perd dans le ciel.
Partout à l'intérieur, la montagne vaut
une triple attention par un triple intérêt
géologique, historique et touristique. Ces
stratifications exceptionnelles témoignent
des grands bouleversements antérieurs à
l'homme, et pour le profane même, elles ne resteront
pas inaperçues. Cheminer en voiture par les
étroites routes qui épousent tous les
contours, consent à l'œil de s'étonner
par la vision de milliers d'étroits gradins
cultivés, descendant des cimes vers la mer.
Ce sont les terrasses de Ghosta, gagnées à
force de labeur et de ténacité, mètre
par mètre, sur la montagne enfin asservie.
Elles n'ont nulle part leurs pareilles; ou plutôt,
à Madère aussi, le paysan a réalisé
sur des terres volcaniques, le même miracle.
Chaque petit champ de terre, travaillé à
la bèche - la charrue ne pourrait y remplir
sa tâche, - donne à ce rude paysan sa
subsistance en blé, en orge, en raisins, et
lui confère un titre à l'admiration.
Enfin,
la montagne revêt aux yeux des Libanais, un
caractère sacré et national. C'est sur
ses hauteurs et dans ses vallées que l'âme
de la nation libanaise s'est forgée; c'est
dans la montagne que, fuyant l'asservissement étranger,
le Libanais a lutté pour obtenir son indépendance.
A quelque confession qu'il appartienne, le Libanais
regarde vers la blancheur du Sannine et médite
devant les Cèdres qui méritent, dans
ce pays, la majuscule. La montagne libanaise réserve
à tous ceux qui la parcourent, des visions
grandioses et sauvages; mais, loin de rester muette,
elle offre le geste de salut amical d'un chevrier,
les rumeurs de gaîté des villages ou
dans de petits cafés rustiques, le "mezzé"
et le café turc sont de rigueur. Nul doute,
au terme de ces randonnées en montagne, des
amis sauront trouver la manière de faire préparer
un "taboulé" et de mettre les braises
pour un "méchoui" succulent. Car
les Libanais allient volontiers le plaisir de la montagne
avec les délices d'une bonne table. Pourrait-on
leur en demander davantage?
Beyrouth:
tumulte, gaîté, fantaisie
Je
regrette de n'avoir point connu Beyrouth il y a cinquante
ans; mais un vieil oncle, diplomate, oriental lui-même,
m'assure avoir goûté dans l'atmosphère
provinciale de l'ancien chef-lieu du "vilayet"
ottoman du Liban, des années délicieuses
et calmes. Les rues étaient bien poussiéreuses
ou boueuses au rythme des saisons, les vieux souks
désordonnés, le port assoupi et dépourvu
de l'équipement ad hoc, mais Beyrouth - quoique
déjà cité du négoce, -
était la riante petite cité-jardin orientale
qui permettait des promenades pédestres dans
les campagnes d'Ashrafieh ou de Ras Beyrouth.
Inutile
de le dire: je n'ai pu retrouver lors de mon séjour
ces clichés des anciennes lithographies beyrouthines!
Une grue de 50 tonnes a déchargé ma
voiture sur le quai et 60 secondes plus tard, elle
était happée par le flot d'une circulation
congestionnée à l'excès. Il est
vrai que de nos jours, les embouteillages du trafic
sont considérés comme l'indice certain
d'un pays en progrès. Ce souffle de vie moderne
ne m'a pas laissé le temps de rêver sur
la ville d'ivoire aux reflets de perle, les montagnes
d'émeraude et d'améthyste, et tous les
trésors d'Aladin dont parle un Camille Mauclair.
Beyrouth
est une ville où la flânerie reprend
malgré tout ses droits, si l'on veut la connaître.
La cité n'a pas été bâtie
par un Surintendant aux Beaux-arts; aucun Haussmann
ne s'est appliqué à en étudier
le développement, assurément exceptionnel,
pour y effectuer des coupes selon les critères
de l'urbanisme du XXe siècle, ce qui aurait
donné des solutions aux problèmes de
la circulation et l'aurait dotée d'un tracé
rationnel. Beyrouth est une capitale "sui generis".
Le grand s'accoste au petit sans l'écraser
pour autant. La boutique prospère à
l'ombre d'un "quatorze étages". L'agglomération
s'étend bien vers l'extérieur, mais
le trafic conflue vers l'intérieur de la cité
– de la place des Canons à Bab Idriss,-
et ses rues inchangées subissent l'étouffement.
Dépourvu de grands boulevards, d'artères
de ceinture, le centre de la ville reste désordonné,
confus, et très probablement, il le restera
encore longtemps. Par contre, le visage de Beyrouth
s'éclaircit dans la luminosité radieuse
des collines environnantes qui acceptent volontiers
l'assaut des architectes.
Adieu
donc, campagnes romantiques d'Ashrafieh et de Ras
Beyrouth, si chères à ce vieil oncle;
elles font place à des immeubles de rapport,
à des bureaux, à des hôtels.
De
belles avenues asphaltées accueillent maintenant
prés de 500.000 habitants. Ici, la truelle
des maçons leur donne un foyer moderne et leur
conserve l'oxygène.
Tout
le long de la mer, une route en corniche découvre
le littoral accidenté de la ville, qui s'étire
ainsi sur de nombreux kilomètres. Il ne se
passe point de saison que le Président de la
République ne doive inaugurer de nouveaux tronçons.
Beyrouth, Par les agréments de cette corniche,
promet d'être la plus belle cité de la
Méditerranée orientale.
Il
semble toutefois que les Beyrouthins, plus préoccupés
de l'intérêt de leur négoce que
du souci de l'esthétique, n'aient songé
qu'a des bâtiments utilitaires, la ville étant
dépourvue d'élan architectural.
On
n'y retrouve point l'élégance des minarets
turcs ou des mosquées égyptiennes. L'art
islamique n'y brille point et de tout l'Orient arabe,
Beyrouth en est le plus sevré. L'architecture
occidentale elle-même ne s'y implanta qu'à
l'époque des croisades et n'a guère
laissé que l'église de Saint-Jean-des-Croisés,
devenue une mosquée dépourvue d'intérêt.
Seul, le bâtiment moderne, rationnel, lui confère,
quoique sans art, un aspect de capitale.
Le
vieux Beyrouth
A
côté de cette fière allure de
métropole moderne, Beyrouth cache encore, mais
de plus en plus rarement, dans l'ombre de ses ruelles,
enfouies sous la verdure, des villas libanaises si
typiques que l'on souhaite de ne point les voir disparaître
sous la pioche des démolisseurs. Vieux toits
de tuiles rouges, triples fenêtres élancées
dans un style gothique orientalisé, abritent
des demeures qui n'ont rien des maisons arabes; voilà
qui mérite encore un croquis avant de s'estomper
sous la poussée du modernisme.
Que
dire du centre de la ville?
C'est
une succession de magasins, c'est le royaume de la
boutique à petites vitrines, échoppés
si communicatives où souvent la conversation
s'engage sur le seuil entre acheteurs et vendeurs.
Le négoce est resté une affaire individuelle,
qui se traite avec élégance. D'autres
sont un compromis entre le "souk" oriental
et la devanture européenne. Avec leur néon
et leurs brocarts, avec leurs objets de luxe, elles
ont souvent le cachet de la petite boutique-bonbonnière.
Beyrouth a toujours été le centre commercial
le plus actif de l'Orient; et dans toutes les villes
où j'ai séjourné, du Caire à
Damas, les exclamations restent unanimes: "Cela
vient de Beyrouth!", jusqu'aux fleurs qui enjolivent
les jardins perdus dans le désert de l'arrière-pays
d'Orient. Dépourvue de bâtiments représentatifs
– à l'exception peut-être du vieux
Sérail, siège des ministères,
- Beyrouth affiche modestement la présence
de son premier citoyen.
La
présidence de la République s'abrite
dans un petit hôtel de maître, ocre, entouré
de fleurs; et seuls, la sentinelle et le corps de
garde permettent d'y reconnaître la demeure
du Président Chamoun, le troisième de
la jeune lignée républicaine.
Une
élégance byzantine enjolive la façade,
un perron donne accès au salon ou sont convoqués
les représentants du pays et les personnalités
de la politique.
Accompagné
du Haut Commissaire au Tourisme, je pus y rencontrer
le Président.
Le
Climat crée le Phénomène de l'Estivage
Les
Libanais se croisent davantage en montant ou en descendant
de la montagne au volant de leur voiture que dans
les bars de leur capitale, où chacun vit en
fonction de la montagne omniprésente.
Au
lieu des expressions météorologiques
si chères aux Anglais, - "lovely day to-day,
beautiful morning" - les Libanais s'apostrophent
par un "Alors, Khalil, tu montes à la
montagne!" ou "Salim, descends-tu à
Beyrouth?". On monte à la montagne l'hiver
pour chausser les skis sur le Sannine ou aux Cèdres,
on y remonte plus que jamais l'été pour
l'"estivage". Le ski à une heure
de route du bain, voilà bien qui invite les
Beyrouthins à monter l'hiver à la montagne;
mais la chaleur humide de Beyrouth durant l'été
les incite impérieusement à un exode
en règle, préparé, contrôlé
et facilité par les autorités mobilisées
a cet effet.
C'est
l'"Opération estivage"! L'alternance
des saisons dans les deux régions climatiques
du Liban, climat méditerranéen pluvieux
l'hiver au littoral, climat continental sec et frais
en montagne durant l'été, crée
un exode de Beyrouth de juin à septembre.
Les
Beyrouthins quittent leurs maisons, non sans recouvrir
leurs meubles des housses traditionnelles, font leurs
adieux aux amis lors d'un dernier cocktail "avant
de partir à la montagne"; et puis, chaque
famille s'accroche à un coin de roche et de
verdure ombragé pour ouvrir sa fenêtre
huit cent mètres plus haut sur une vie nouvelle…
éphémère et intense qui se baptise
aussitôt et se poursuit par de nouveaux cocktails!
L'estivage est donc une affaire, l'occasion de spéculations
immobilières, d'une excellente saison hôtelière,
d'une mondanité débordante. Le malheureux
quidam qui erre encore dans les rues de Beyrouth par
les après-midi chaudes est aussi dépaysé
qu'un Gascon à Paris; au terme de sa mélancolie,
il se décidera lui aussi a sauter dans un taxi
pour monter à la nuit tombante à la
montagne!
La
fraîcheur, la brise, l'animation nocturne, les
frou-frou féminins qui succèdent aux
exhibitionnismes diurnes des piscines, ne sont pas
des plaisirs restés en vase clos; ils ont une
grande répercussion parmi tous les Orientaux.
Aussi, Syriens, Egyptiens, Irakiens, Saoudiens, émirs
et cheiks de Kuweit et de Bahreïn, fuyant leurs
intérieurs "air-conditionnés",
qui malgré tout les plongent dans des étuves,
accourent au Liban, comme vers une terre promise,
goûtant eux aussi, eux surtout, de sa vie estivale
légère et féerique.
On
le voit, le climat du Liban est devenu une source
de revenus incomparable; hommes avisés, les
Libanais ont su créer un courant touristique
vers leur pays aussi important en Orient que la vague
européenne vers la Côte d'Azur. L'estivage
est une opération rentable, un facteur de l'essor
libanais.
Les
Plages: Soleil et Bikini
L'œil
et l'imagination des touristes se plaisent à
identifier le long du littoral libanais des paysages
maritimes que les Italiens comparent à la côte
sorrentine, que les Français identifient à
la Côte d'Azur et que les Espagnols rapprocheraient
surement de leur Costa Brava.
La
réalité, sans vouloir les décevoir,
est diverse: c'est un littoral typiquement méditerranéen
certes, néanmoins fortement marqué par
un cachet libanais. Il s'agit d'un littoral qui s'étire
de frontière à frontière, d'Israël
à la Syrie, sur plus de 200 kilomètres
et qui présente tous les agréments des
côtes: plages de sable fin, écueils de
vastes proportions comme la Grotte aux Pigeons de
Beyrouth, falaises, salines étincelantes. Il
est adossé à une montagne, dont nous
avons vu les caractéristiques et le rôle,
dessine d'amples baies, - je pense à la baie
de Jounieh, - est parsemé de villages à
la physionomie orientale et baigne une capitale trépidante.
Partout, des eaux bleues reflètent des pinèdes,
des tamaris, des palmiers et même des bananiers.
C'est
assez dire que le littoral se parcourt avec le sourire;
et comme une excellente route le borde, le suit, dans
tout son développement, il se parcourt non
seulement avec le sourire, mais dans un fauteuil!
Toute
une population, toute une jeunesse sportive et enthousiaste
se déversent sur ces plages. C'est un assaut
de couleurs, le jaune, le bleu, le rouge, le vert
des bikinis collés sur des anatomies féminines
bronzées, qui a fait dire de Beyrouth qu'elle
était la Cannes de l'Orient.
La
comparaison est justifiée. Dans cet envahissement,
libanais et étrangers se pressent coude à
coude, les Orientaux fuyant leur Arabie brûlante.
Ces derniers ne sont pas les moins étranges,
car il m'est arrivé de saisir le contraste
entre des filles parées de succincts vêtements
d'un chic parisien, assises à côté
de leurs mères entièrement couvertes
des voiles noirs en usage au Kuweit.
Dans
cette promiscuité, la jeune Orientale se modernise,
s'émancipe à l'enseigne de ses sœurs
libanaises.
Cette
course à la mer, autre exode, qui se vérifie
de la Syrie au Golfe Persique, se poursuit de juin
à septembre, se meurt en octobre. Elle correspond
donc à la migration de l'estivage. On imagine
difficilement tous ces étrangers renforçant
le soir les marées humaines qui déambulent
dans les avenues d'Aley ou de Bhamdoun, entre un Casino,
une piscine, un night club.
Ce mouvement humain ne se produit pas sans quelques
heurts et quelques spéculations; mais toujours,
les autorités du tourisme tiennent la situation
en main.
La
saison estivale se développant d'année
en année, des établissements balnéaires
plus modernes, des piscines, des chalets, des restaurants
de luxe en plein air s'ouvrent et viennent faire la
relève des installations inadéquates
provisoires, ou l'hygiène n'est parfois qu'un
mot.
Mais,
avec ou sans hygiène, avec ou sans luxe, la
jeunesse s'amuse et passe pour être une des
plus allantes de l'Orient.
La Route est Reine
Le
pays n'est pas étendu, et nul désert
ne le recouvre; ce double avantage a permis la création
et le développement d'un réseau routier
international et intérieur, que j'ai parcouru
dans son intégralité.
Parlons-en.
La
route internationale nord-sud qui, par le littoral,
reliait le Liban soit à la Turquie par la Syrie
au nord, soit à l'Egypte par la Palestine,
n'est plus ouverte au trafic que dans un sens depuis
l'affaire d'Israël. Elle était doublée
d'une voie ferrée qui a subi le même
sort. La route littorale aboutit donc au sud de Sour
à un cul-de-sac.
Par
contre la route internationale Beyrouth-Damas accroît
sans cesse son trafic. Elle traverse le Liban de part
en part: du littoral, elle gravit la chaine du Mont
Liban, franchit le col de Baidar (1.600 mètres),
descend dans la dépression de la Bekaa, coupe
la seconde chaine de l'Anti-Liban et débouche
en Syrie, pour atteindre au centième kilomètre
Damas.
Trois
heures de voiture suffisent à joindre les deux
capitales, grâce à cette route asphaltée
et plaisante puisqu'elle traverse toutes les stations
de villégiature telles que Aley, Bhamdoun,
Sofar, Chtoura. Cette artère de grande communication
est bien la route axiale du pays. Une route internationale
se détache aussi de Tripoli vers Alep, en Syrie,
mais elle n'assume point l'importance de celle-là;
elle joue le rôle d'une dérivation secondaire.
De
multiples routes méritent parfois, grâce
à la qualité de leur construction et
à la beauté du paysage qu'elles traversent,
le qualificatif de route d'intérêt touristique:
qu'il me suffise de citer, à titre d'exemple,
la belle route montant à Bikfaya. D'autres,
plus étroites, encore asphaltées, serpentent
dans la montagne et atteignent des belvédères
élevés: je citerai la route de Harissa,
que les lecteurs connaissent maintenant. Enfin, la
haute montagne est sillonnée de routes recouvertes
de jets de graviers. Il en est ainsi de celles qui
s'enfoncent dans la gorge de la Kadischa ou atteignent
Djezzine ou encore le château de Beit-ed-Dine.
On
peut considérer qu'un réseau de prés
de 5.000 kilomètres répond aux exigences
du tourisme national et international, à une
exception cependant. Qu'il me soit permis de noter
que la route se détachant de la vallée
de la Kadischa vers les Cèdres millénaires,
site numéro I du Liban, est précisément
la route la plus mauvaise et la plus franchement dangereuse
de toutes celles que j'ai parcourues!
Elle
m'a fait songer aux routes du San Bernardino ou du
Col de la Furka, en Suisse, que représentent
les vieilles estampes, agrémentées de
diligences.
Du
Taxi-Service à l'Hélicoptère
Il
paraît donc facile de visiter le Liban et de
le découvrir sous ses aspects les plus éloignés,
jadis inaccessibles, avec sa propre voiture, ou en
utilisant celles des services publics. C'est dans
ce secteur des activités libanaises, que le
corps des chauffeurs est passé maître,
au propre et au figure, dans l'art des transports
routiers en commun. Les luxueuses voitures américaines,
les derniers modèles de Mercedes offrent leurs
bons offices à la collectivité. Ce sont
les taxi-services qui suivent un parcours déterminé
et dont le prix de la course est fractionné
entre ses cinq occupants.
Jusqu'ici,
même système que les "dolmus"
à Istamboul ou Ankara. Mais au Liban, il est
possible de parcourir tout le pays en "taxi-service"
à des prix dérisoires. Aussi personne
n'estime devoir faire l'économie d'un voyage
ou d'un déplacement. On imagine l'intensité
du mouvement, particulièrement sur les liaisons
routières Beyrouth-Montagne et Beyrouth-Tripoli.
Des
problèmes se posent aux autorités: une
première disposition a interdit aux voitures
l'usage des combustibles dont les gaz d'échappement
recouvraient les routes de nappes de fumées
toxiques. Ensuite, l'élargissement des routes
ne suivant pas le rythme accru du trafic, il a été
décidé de recourir aux autostrades.
La première, Beyrouth-Tripoli, 70 kilomètres,
est en construction et un premier tronçon de
20 kilomètres est ouvert à la circulation.
La seconde, la Beyrouth-Damas, doit s'intégrer
dans un plan de développement routier inter-arabe,
mais elle n'existe encore que sur le papier.
Heureusement,
l'initiative privée supplée dans tous
les secteurs aux déficiences occasionnelles
qui se manifestent dans la vie publique. Un ingénieur,
du nom de Abdelnour, vient de solliciter et d'obtenir
du Gouvernement la concession pour l'exploitation
d'un service d'hélicoptères pour voyageurs
encore plus pressés, entre Beyrouth, Tripoli,
Saida et Baalbeck.
Gageons
qu'il obtienne un succès mérité,
car la presse beyrouthine s'exclamait "pourvu
qu'il soit sincère, ce serait trop triste!"…
Aux
automobilistes, un conseil: prudence et patience,
car au Liban si la route est reine, point n'est besoin
d'en être l'esclave, ni la victime.
Les
Hôtels, Orgueil du Liban
Il
existe de beaux pays sans hôtels; il se trouve
aussi de bons hôtels dans des régions
moins favorisées par la nature. Le Liban n'appartient
ni à l'une ni à l'autre de ces catégories
et c'est tout à l'avantage du tourisme intercontinental
auquel se prête parfaitement ce pays.
Terre asiatique, le Liban reçoit autant de
voyageurs d'Europe que d'Afrique; plaque tournante
de communications aériennes, encore faut-il
que tant d'hôtes, venus par mer et par air,
puissent évoluer dans des conditions de confort
à défaut desquelles Beyrouth risquerait
de perdre la face.
Cette
situation a été comprise. A l'heure
actuelle les hôtels du Liban se divisent en
deux groupes: ceux de la ville et ceux des stations
de villégiature, en montagne ou à la
mer.
A
Beyrouth, sur le rivage de la mer, l'hôtel Saint
Georges, le doyen des grands établissements
hôteliers, est entouré d'une couronne
de création récente: l'Excelsior, le
Palm Beach, le Riviera, l'Ambassador, le Capitol situé
au douzième étage et dont les jardins
suspendus consentent des vues panoramiques sur toute
la ville, le Bristol, doté d'une belle piste
de glace pour patinage.
D'autres
sont en construction, notamment le Phénicia,
d'autres projetés, tel le Hilton, de la chaine
hôtelière américaine. La future
présence de ce dernier est commentée
par de vives polémiques.
Inutile
de le dire, tous ces hôtels sont dotés
de service up to date y compris l'air conditionné.
Ils se partagent une clientèle cosmopolite
toujours croissante..
La
capacité hôtelière de Beyrouth
et environs atteint à l'heure actuelle plus
de 4.000 lits, ce qui est remarquable; mais ce chiffre
sera insuffisant d'ici quelques années si le
rythme du tourisme se maintient aussi élevé.
Les
stations de villégiature brillent le soir de
tous leurs feux et la vie mondaine gravite autour
des hôtels de Aley, de Bhamdoun, de Brumana
ou les hôtels, parmi les meilleurs d'Orient,
possèdent tous cabarets et orchestres.
Il
serait vain d'énumérer ici une liste
fastidieuse d'hôtels, mais les lecteurs pourront
s'adresser aux Organisations officielles du Tourisme
libanais, notamment au Commissariat qui "supervise"
toute l'organisation hôtelière.
Ce
que vous dépenserez au Liban
l
L.L.= 100 piastres =16 Frs belges.
HOTELS:
LUXE
AVEC BAIN
Chambre 2 personnes: L.L. 30.00 à 35.00
Chambre 1 personne: L.L. 14.00 à 17.00
Pension 2 personnes: L.L. 50.00 à 57.00
l
repas à la carte: L.L. 8.00 à 12.00
l repas menu: L.L. 4.50 à 6.75
l plat garni: L.L. 3.50 à 4.50
l bière du pays: L.L. 0.75
l bière européenne: L.L. 1.25 à
2.00
l apéritif: L.L. 1.00 à 1.50
l café turc: L.L. 0.50
l bouteille de vin du pays: Ksara: L.L. 1.00 / Musar:
L.L. 3.00
l bouteille de vin européen: L.L. 5.00 à
7.50
EXTRAS:
Taxi
(en ville): L.L. 1.50
Taxi-service: L.L. 0.25 la place
l journal local: L.L. 0.25
l journal étranger: L.L. 0.75
l rouleau Ektachrome: L.L. 4.00
l mise en plis avec shampooing: L.L. 7.00
l coupe de cheveux: L.L. 3.00
l repassage + lavage de chemise: L.L. 1.25
FRAIS
DE VOITURE:
l
bidon d'essence ordinaire (20 litres): L.L. 6.25
l bidon d'essence "super"(20 litres): L.L.
7.00
l lavage de voiture: L.L. 1.50
l "parking": L.L. 0.25
DISTRACTIONS:
l
place de cinéma: de L.L. 1.25 à 1.75
l consommation dans un night club: L.L. 3.00
l billet d'entrée pour la plage: L.L. 2.00
l billet d'entrée pour les ruines de Baalbeck:
L.L. 1.00
SPECIALITES:
l
kilo de baklawa (pâtisserie orientale): L.L.
5.00
l arak avec mezzé simple: L.L. 4.50
l nappe brodée pour six personnes: L.L. 175.00
l mètre de brocart: de L.L. 10.00 à
30.00.
Gastronomie
libanaise: Alliance arak-mezzés
"Tasket
arak": la table de l'apéritif que l'on
prend avec l'arak, la boisson nationale, est un tableau
qui flatte l'œil avant même d'exciter le
palais. Le plus modeste "mezzé" comporte
une douzaine de plats colorés, par convive:
salaison, pistaches d'Alep, "taboulé",
poivrons, piments divers, concombres, aubergines additionnées
d'huile de graine de sésame et tachetées
de "chatta" rouge, tomates, etc. Ce cornet
d'abondance ne se déguste pas sans l'arak.
Cette alliance "arak-mezzés" est
un rite sacré qui s'accomplit dès le
matin, et se renouvelle encore la nuit devant le spectacle
d'une danseuse orientale.
Ce
qu'est l'Arak? Tout simplement de l'eau de vie de
raisin, fortement alcoolisée et additionnée
d'un gout d'anis. Verse dans de petits verres, l'arak
est blanc, invisible. L'eau le transforme en un liquide
d'aspect laiteux: ainsi coupé d'eau, il se
boit à petites gorgées, interrompues
par la dégustation des plats dont la table
est couverte.
Néanmoins,
le "mezzés" enrichi de toute sa gamme
d'amuse-bouche n'est qu'une entrée en matière
au chapitre de la table libanaise. N'espérez
pas en déceler les finesses au premier repas:
les secrets de la gastronomie libanaise ne se livrent
pas séance tenante, ne serait-ce que la terminologie
culinaire si complexe, qui s'agrémente d'expressions
telles que "kobéba", "labaneya",
"arnabeya", "chechbarak", "chichekebab",
sans compter des ingrédients tels que le "borghol",
la "tehina", le "chatta" et enfin
le "hommos" et le "taboulé"
national! Il n'y a cependant pas lieu de se décourager,
car le palais assimile plus vite que le cerveau et
l'estomac digère ce que les méninges
repoussent!
Un
peu d'ordre dans les ides ne nuirait pas, avant d'entrer
dans ce labyrinthe coutumier de la ménagère
libanaise. Le "kobéba" se consomme
régulièrement et dans chaque famille,
d'autant plus que s'accommodant de diverses manières,
ce gâteau ne fatigue pas. Il est en quelque
sorte un pâté de viande de mouton, préparé
dans une bouillie de blé concassé appelé
"borghol". Le "kobéba"
bouilli, se mange avec une sauce de lait de chèvre
caillé additionné de riz: c'est alors
le "labaneya". Les braises interviennent
aussi pour griller les brochettes de "kobéba".
Des oranges amères, l'huile de sésame
(appelée "téhina"), des pois
chiches composent une autre mixture qualifiée
" arnabeya".
L'huile
de graine de sésame, très populaire,
à ses partisans, tout comme l'huile d'olive
a ses amateurs. Pour ma part, ce n'est pas le premier
jour que j'ai sauté de mon camp dans celui
de mon voisin, bien que cette huile de sésame
entre dans plusieurs compositions gastronomiques libanaises,
et particulièrement dans certains plats qui
accompagnent le "mezzé". Le "chechbarak"
se présente également sous la forme
d'un gâteau de viande d'agneau mais il se sert
recouvert de lait de chèvre caillé,
mélangé avec du riz ou des pâtes
vermicelles. La participation du lait aux bouillis
de viande n'est d'ailleurs pas uniquement une prérogative
de la cuisine libanaise: de nombreux pays d'Orient
adoptent cette formule; le lait et le "yaourt"
sont aussi d'usage courant en Turquie.
Le
Libanais consomme énormément de choux
que les maîtres-queux jusqu'aux modestes ménagères
remplissent de farce, saupoudrent de menthe et entourent
de feuilles de vignes. Ah! ces feuilles de vignes!
que de souvenirs n'évoquent-elles pas! Que
de conversations se prolongent jusque dans la nuit,
devant un tel plat, celui qui de bouchées en
bouchées diminue le plus rapidement. Les feuilles
de vigne fraiches s'enroulent autour de hachis de
gigot d'agneau mêlé avec du riz pimenté.
Ce mets froid acquiert ainsi un goût agréablement
suret. Deux salades nationales, le "taboulé"
et le "hommos", colorent les tables et rallient
tous les suffrages: blé concassé, persil,
menthe verte, tomates, oignons, poivre, citron, ail,
pois chiches et "chatta" se retrouvent dans
des mélanges qui font la joie quotidienne des
Libanais. L'étranger sans en connaître
même la composition acquiesce d'abord et finit
par s'enthousiasmer.
Une
invitation de la part d'un Libanais débute
par l'offre d'un mezzé, mais finit par la vision
d'un agneau entier qu'il vous faudra admirer certes,
mais aussi, en homme courtois, manger lentement jusqu'à
extinction. On vous fera grâce des os, sombrés
dans les dernières cuillerées de riz.
Une
Archéologie dynamique, Facteur du Tourisme
Qui
a dit qu'au Liban les pierres étaient accueillantes?
Je l'ignore, mais j'aime cet auteur romantique inconnu
qui, au XIXe siècle déjà, sut
comprendre l'âme des pierres qui dorment au
Liban. Et cependant, ces pierres ne connurent pas
toujours la sérénité des choses
éternelles. Alors qu'elles ne se lassaient
pas de resplendir majestueuses au soleil de Baalbeck,
un violent tremblement de terre, se renouvelant durant
des jours, détruisit avec un acharnement systématique,
diabolique même (peut-être était-ce
Caïn qui, selon la légende, trouva refuge
dans les antres du temple, qui secouait sa conscience
alourdie par la malédiction), détruisit,
dis-je, l'œuvre des hommes dédiée
à leurs dieux païens. Et des 72 colonnes
du grand temple de Jupiter, 6 seulement se sauvèrent
de l'hécatombe pour mieux attester le caractère
colossal d'Héliopolis et perpétuer le
regret des générations qui suivirent.
Tyr,
Sidon, Byblos, connurent un destin analogue: le fer,
le feu, l'abandon.
Mais
que reste-t-il de tant de ruines, de ces villes mortes
du Liban? Eh bien, un passé toujours vivant,
un grand livre ouvert à tout venant, désireux
de connaître, de parcourir ces berceaux de notre
civilisation.
L'archéologie
au Liban offre des éléments grandioses
et variés à la fois. Elle réservera
encore des surprises dans ses champs inexplorés
quoique déjà des résurrections
se soient opérées.
Le
domaine archéologique national comporte de
nombreuses nécropoles phéniciennes disséminées
dans toute la zone littorale; le touriste ne pouvant
les visiter sur place, en admirera les pièces
essentielles au musée de Beyrouth qu'elles
enrichissent, comme elles illustrent d'autres musées
étrangers, notamment le musée des antiquités
d'Istanbul. Ce domaine compte aussi les ports antiques
engloutis sous les eaux salées et le sable
de la mer. Tyr (aujourd'hui Sour) et Sidon (aujourd'hui
Saida) ne sont point encore ressuscités; et
les bourgades actuelles ne sont même pas le
reflet de leur opulence antique.
Par
contre, le port de Byblos (aujourd'hui Jbeil) livre
des témoignages du passé d'une importance
majeure et la zone archéologique, dont quelques
hectares seulement ont été dégagés,
offre une superficie qui la classe en tête de
tous les centres archéologiques du littoral
méditerranéen oriental, de l'Egypte
à la Turquie.
Enfin,
Baalbeck! Incomparable… Nous y reviendrons dans
les pages suivantes.
Le tourisme au Liban possède là un atout
qu'il exploite, reconnaissons-le, intelligemment.
Cette
archéologie est encore en évolution;
elle possède un caractère dynamique.
Elle progresse selon un programme de fouilles qu'il
ne m'a pas été donné de connaître,
mais nous l'aimerions parfois moins lent et le Liban
y gagnerait. Je souhaite que Baalbeck et Byblos n'aient
pas l'apanage exclusif des travaux, mais que les soins
attentifs de la Direction des Antiquités se
portent aussi d'une manière soutenue vers Saida
(Sidon).
Saida
mérite une amélioration. La restauration
du château de la mer, construit par les Croisés
de l'époque franque, et l'achèvement
du pont en maçonnerie le reliant à la
terre ferme, restitueraient à ce monument unique
le caractère imposant qu'il devait avoir à
l'état original; ces travaux permettraient
en outre aux visiteurs d'y avoir accès.
Et
de cette manière, le château maritime
accentuerait sensiblement l'intérêt touristique
de cette ville du Liban-Sud.
Langue
et Culture
Ce
peuple au passé si chargé, ce peuple
libanais d'aujourd'hui qui revendique une descendance
directe des Phéniciens, a l'expérience
d'une nation qui a connu toutes les occupations, toutes
les invasions. Il en a rejeté les scories,
l'indésirable, il en a conservé le meilleur
grain. Un peuple qui a coudoyé au cours de
plusieurs millénaires, depuis ces mêmes
Phéniciens actifs et navigateurs, les Egyptiens,
les Assyriens, les Arméniens, les Hittites,
les Sumériens, les Romains, les Arabes, les
Croisés francs, les Turcs séleucides,
les Ottomans jusqu'aux Français du Mandat,
ne pouvait pas ne pas être un peuple cultivé,
lettré.
Un
tel passé laisse des traces, même si
d'aventure un raz de marée vient obscurcir
un siècle.
Aussi
rien d'étonnant si aujourd'hui le peuple libanais
jouit encore du niveau de vie intellectuel le plus
élevé de tous les pays d'Orient.
Dix
mille kilomètres carrés, un million
et demi d'habitants: cette population évoluant
sur cet étroit territoire compte 83% de lettrés!
Quel
est le pays d'Orient en mesure d'aligner une telle
statistique?
Cette
surprenante situation résulte d'une évolution
constante, lente, progressive; aussi est-elle plus
sûre, plus affermie dans toutes les classes
sociales en marche vers un niveau culturel solide.
La plus fertile terre d'Orient l'est aussi au point
de vue littéraire, et sa culture orientaliste
amalgamant un levain occidental, lui a permis de s'imposer
à d'autres peuples frères et voisins.
L'Egypte
lui doit nombre de ses hommes de lettre; et ce furent
des Libanais qui dotèrent cette grande Nation
du Nil d'une presse littéraire et moderne à
la fois.
On ignore assez souvent cette influence libanaise
sur ses grands voisins, pour s'entendre affirmer l'opposé.
Qu'il me soit permis de souligner ici que les Libanais
furent les promoteurs d'une renaissance de la langue
arabe, qui connut au XIXe siècle son siècle
d'or.
Les
hommes de lettres libanais contemporains joutent aussi
bien avec la prose ou la rime française qu'arabe
et, à cette dualité de culture et de
linguistique, s'attache peut-être le lien le
plus sur entre l'Orient et l'Occident.
C'est
grâce à eux, grâce aux enseignants
laïcs et religieux, que ce patrimoine de l'esprit
demeure vivace.
Le
Libanais moyen, l'homme de la rue, s'exprime et lit
le français comme son arabe; les quelques piastres
qu'il consacre à sa lecture quotidienne lui
permettent de joindre un quelconque "Al Jaridah"
à un quelconque "Orient". Beyrouth
publie en effet chaque jour un nombre de journaux
quotidiens supérieur à celui de n'importe
quelle autre ville d'Orient, le Caire y compris. Leurs
tirages seront plus limités, forcément,
mais leur multiplicité dénote une richesse
d'esprit.
Enfin,
n'est-il pas curieux et divertissant de suivre les
soirs d'été, les diseurs et animateurs
des cabarets d'Aley conter leurs calembours et leurs
plaisanteries en une langue mi-arabe, mi-française?
L'effet est surprenant et irrésistible.
Aujourd'hui,
les sciences, les lettres et les arts irradient dans
la culture populaire par le truchement d'institutions
qui ne sont plus exclusivement l'œuvre de missions
étrangères.
Une
académie libanaise des Beaux-Arts, née
en 1943, est la première institution académique
à caractère national qui dispense aux
jeunes générations les enseignements
du Droit, des Sciences, de l'Economie politique, des
Lettres, de l'Arabe littéraire, de l'Architecture,
de la Musique, sans oublier la chorégraphie
et l'art dramatique.
Le
Folklore libanais par la Danse
La
danse du ventre, expression populaire pour designer
une variation de la danse orientale, tant à
l'honneur dans tout l'Orient, au Liban non moins qu'ailleurs,
a ses adeptes et ses fervents à Beyrouth, à
Aley, dans diverses stations d'estivage où
les "night club" ne concevraient pas un
programme sans l'attraction d'une danseuse orientale,
au physique de préférence voluptueux.
Rien n'est en effet plus envoûtant que de suivre,
dans la chaleur des cabarets orientaux, les évolutions
tour à tour lascives ou frénétiques
de danseuses aux hanches souples, et de scander avec
les mains le rythme de la mélopée.
Cette
danse-là doit être comprise, et mes amis
libanais me commentaient avec enthousiasme les gestes
et les paroles de la complainte arabe.
Cependant,
le Libanais n'identifie jamais la danse du ventre
avec les danses orientales du folklore national. Ce
sont deux expressions chorégraphiques différentes.
La première est une interprétation personnelle,
la seconde une émanation collective de la vie
du terroir. "Avant tout, le folklore libanais
a quelque chose à défendre de précieux
et de menace": ainsi s'exprimait le promoteur
d'un centre folklorique qui s'efforce par des cours
privés de maintenir le feu sacré pour
les danses folkloriques populaires. Celles-ci risquent
bien de s'amenuiser devant l'envahissement des rythmes
modernes et saugrenus d'Outre-Océan.
Tous
les Libanais parlent avec enthousiasme des rondes
entraînantes de la "dabké",
au cours desquelles les danseurs martèlent
le sol des pieds, sautent en mesure, agitent en cadence
des mouchoirs sur un rythme de fifres et de tambourins
appelés "derbaké".
Tout
cela me tentait, mais il me fut impossible au cours
de mon séjour au Liban de trouver quiconque
capable de m'amener dans la montagne, là ou
se dansait la "dabké"!
J'en
ai déduit que la danse populaire libanaise
souffrait soit d'un complexe d'infériorité
devant les importations, soit d'une crise d'exécutants
qui se font de plus en plus rares. Peut-être,
des deux maux à la fois.
Quoiqu'il
en soit, sans pouvoir encore parler d'une renaissance
de la danse folklorique, on peut déjà
applaudir le fait de l'avoir remise en honneur et
de la maintenir vivante. Le folklore libanais est
peut-être très riche, mais il est en
tout cas fort peu connu.
Néanmoins,
une troupe nationale est à l'heure actuelle
en voie de formation; elle permettra de représenter
le Liban à l'occasion d'un prochain festival
international de danse et de folklore, tel qu'il m'a
été donné d'en suivre à
Venise. La "dabké" pourra alors s'insérer
entre une tarentelle napolitaine et une "vira"
portugaise.
La
"dabké" a de curieuses variantes,
mais la plus typique reste celle en honneur dans le
Liban-Sud, où chaque danseur porte sur ses
épaules un partenaire permettant ainsi a la
ronde de se poursuivre à double étage!
Assurément,
voilà de l'originalité! La "dabké"
n'est pas unique. D'autres danses sont tombées
en désuétude ou se pratiquent moins:
la "danse du bâton", s'inspirant des
anciennes danses de la lance, était encore
répandue dans la montagne au siècle
dernier.
La
"danse du mandil" était une ronde
paysanne qui, sans avoir des canons rigides, comportait
une suite de mouvements sur deux files, agissant l'une
en face de l'autre. D'autres, hélas, ne sont
plus que souvenirs. Les Libanais parlent aussi d'une
danse des "sabres et boucliers", mais si
celle-ci se pratique encore, je pense qu'il s'agit
la plutôt d'une danse empruntée au folklore
turc (l'empire ottoman a laissé des traces
dans tout l'Orient, le Liban y compris) car j'en ai
vu des exécutions au cours de mon séjour
en Turquie, spécialement en Anatolie, et dans
des costumes qui n'avaient rien de libanais.
La
"danse des poignards", d'inspiration guerrière,
a un caractère acrobatique nettement marqué.
Elle est actuelle, puisqu'elle se danse encore dans
le sud, à Lakhlouk, au son de la "derbaké"
et aux battements de mains des assistants.
Un
jeune homme tenant deux poignards, les manie avec
dextérité sans jamais se couper; de
temps en temps, il saute et dessine des arabesques
vertigineuses, sous le regard ravi des spectateurs.
C'est une danse de réjouissance populaire.
J'emprunte encore quelques détails à
Sami Salechy, relativement aux instruments de musique.
Une
dizaine sont en usage: la traditionnelle "derbaké",
le fifre, le "nay', le tambour, le "oud'',
le ''canon" ou ''harpe de table'', les cymbales,
le tambourin, le ''bouzok'' ou viole a long manche.
Ces
instruments si curieux ne peuvent entrer tous dans
la composition d'un orchestre typique, car il y a
entre eux certaines incompatibilités: traditionnellement
on joint la "derbaké'' et le fifre, le
tambourin, le fifre et les cymbales, le "canon'',
le "oud" et la viole.
Ces instruments se jouent également dans les
cabarets orientaux de Beyrouth.
Humour
campagnard au Liban
Jeha
reçut un jour la visite d'un de ses amis qui
le trouva étendu sur un divan, les pieds ramenés
sous lui à la façon arabe, le narguilhé
en bouche et, sur une grande table, son arak-mezzés.
– Dis-moi comment tu te débrouilles pour
vivre si bien quand tu ne fais rien de toute la journée?,
lui demanda son ami.
– C'est bien simple, répondit-il, j'ai
acheté le seul puits du village avec mes économies
et mon âne tourne durant douze heures la roue,
me ramenant ainsi des jarres et des jarres d'eau que
je vends à tout le village.
– Mais qui te dit que ton âne ne s'arrête
pas de travailler? De l'intérieur de ta maison,
tu ne peux pas le surveiller!
– Quand la cloche que j'ai suspendue à
son cou s'arrête, je sais qu'il ne travaille
plus.
– Mais suppose encore que ton âne s'asseye
et agite sa tête de droite à gauche,
tu croiras qu'il travaille alors qu'il se repose.
– Quand mon âne deviendra si intelligent,
répliqua Jeha, alors il prendra ma place et
je tournerai la roue du puits.
Le
Folklore par les Costumes
Plus
visible qu'une danse, le costume libanais a toujours
une présence sensible dans la population.
La
diversité des communautés religieuses
est à l'origine de la variété
des costumes portés par les Libanais, ou plus
exactement, par certaines couches de la population.
Maronites, musulmans, druses, kurdes, gardèrent
longtemps le signe distinctif de leur appartenance
à leurs communautés. L'Empire ottoman,
puissance occupante, a laissé dans la mode
masculine et l'habillement féminin une profonde
influence sur le costume traditionnel. C'est une note,
j'irais jusqu'à dire un atout, du folklore
libanais.
A
l'heure actuelle, ce costume traditionnel se mélange
au costume européen; à Beyrouth, ce
dernier l'a supplanté. Seules, les femmes kurdes
restent fideles à leurs vêtements pittoresques
et colorés, et elles animent joyeusement les
rues de Beyrouth.
A
l'intérieur du pays, villageois et montagnards
exhibent toujours leurs propres costumes levantins
d'une manière naturelle, sans aucun style exhibitionniste
propre à certains pays touristiques de l'Europe.
C'est ce naturel qui donne un charme incontestable
aux populations rurales.
Il
m'est difficile de m'étendre sur ce sujet dans
le cadre de la présente esquisse du Liban,
mais le lecteur trouvera dans la table vestimentaire
publiée dans ces pages, quelques données
intéressantes sur ce folklore vestimentaire.
Le
Liban, Arpent de Terre Sainte
L'idée
la plus courante, loin de ce fait la plus véridique,
est que seule la Palestine, aujourd'hui morcelée
en Jordanie et en Israël, monopolise un caractère
de sainteté.
Or,
si l'Egypte, ou vécut en refugiée la
famille de Jésus, ou le mont Sinaï entendit
la voix de Dieu, peut être considérée
comme terre sainte, pourquoi le Liban, possédant
un arpent de terre foulée par le Seigneur,
ne jouirait-il pas de ce qualificatif au même
titre que ses voisins?
Les
pérégrinations du Maître dans
cet Orient méditerranéen sont bien connues;
dans le courant de sa vie publique Jésus, ignorant
les frontières, passa au Liban, marcha sous
son soleil et se manifesta aux foules de Sidon (aujourd'hui
Saida); l'épisode est du reste relaté
dans les évangiles de Mathieu et de Marc (XV,21-VII,
24).
L'apôtre
Paul, anxieux d'affronter son destin romain, s'embarqua
dans une galère phénicienne qui leva
l'ancre non loin de Beyrouth, dans la petite crique
de Tabarja à 15 kilomètres au nord de
cette ville. La grève est, aujourd'hui comme
hier, recouverte des filets de pécheurs. Et
pourrions-nous oublier l'image de la Vierge fuyant
Jérusalem et les premières persécutions,
traverser le Liban, y faire halte accompagnée
de l'apôtre Jean, avant d'arriver à Ephese,
sur les rivages plus sûrs de l'Anatolie, dans
l'attente de sa dormition qui devait la dérober
aux yeux des humains?
Oui,
terre sainte le Liban, terre intimement liée
au déroulement de la vie évangélique
et biblique même, puisque Abraham, émerveillé
par les visions de plénitude et d'abondance
qui lui offraient les vallées fleuries du Liban
et sa forêt de cèdres majestueux, crut
se trouver au seuil de la Terre Promise, où
coulent le lait et le miel.
Enfin,
dans les vallées retirées du Mont Liban,
éclosent les premières présences
des anachorètes et leur esprit n'est point
mort au terme d'une course effrénée
de vingt siècles; ils sont encore là,
dans les monastères maronites, comme à
Annaya, d’où se détache un moine
Charbel aimant, dans les plus pures traditions du
Christianisme naissant, les solitudes et les grands
renoncements.
Annaya
connaît aujourd'hui l'affluence des foules chrétiennes
et musulmanes; elles reprennent certainement le chemin
que d'autres générations empruntèrent
vers quelques hauts lieux du mysticisme chrétien
d'autrefois.
Cher
Liban, terre sainte et fertile qui conserve dans les
heurts des siècles et dans le fracas des générations,
dans le fanatisme des civilisations, ce sens du mystique,
de l'aimable, de l'accueillant, au sein d'une terre
riante, nous t'aimons…
A
l'instar des Coffres-forts suisses
Quoique l'économie libanaise demeure une économie
à physionomie rurale et agricole, - la campagne
de propagande en faveur de l'exportation des fruits
du Liban, de la pomme aux pêches, ressource
certaine, ne le confirme-t-il pas?, - quoique l'industrie
en soit à ses débuts, le développement
du pays considéré de Beyrouth, est spectaculaire.
Sur quelles bases financières s'appuie le Gouvernement
pour maintenir cet essor? Malgré l'effort du
Point IV et de diverses contributions financières
internationales, le Liban compte davantage sur le
capital privé pour assurer l'épanouissement
de sa vie nationale, tant au point de vue agricole
qu'économique: les banques, les transports,
l'hôtellerie, le tourisme prospèrent,
en raison des financements privés qui s'allient
parfois au capital étranger. Nous y reviendrons.
Le
"Point IV" qui épuisa l'encre de
bien des stylos, accordait au Liban une aide de 2
millions 1/2 de dollars, aide substantielle quoique
ne représentant que le quart des dix millions
escomptes par le Gouvernement. Néanmoins, ces
dollars furent de nature à aider efficacement
le pays, même s'ils furent destinés exclusivement
à l'exécution de grands travaux de l'Etat,
tels ceux de la construction du barrage du Litani.
Objectivement
parlant, aucune crise ne menace directement le commerce
libanais et les événements politiques
d'Orient ne ralentirent pas en profondeur le rythme
des affaires; il semble au contraire que depuis une
décade, le Liban ait bénéficié
financièrement de l'incertitude régnant
parfois parmi ses voisins, proches ou éloignés,
en faveur desquels il assume le rôle d'intermédiaire,
de mandataire commercial même, rôle qui
s'est encore accentué dans l'actualité.
L'apport
financier, le plus précieux, parce que constant
et coutumier, est représenté par les
deniers des Libanais à l'étranger, tantôt
éparpillés en Afrique Occidentale, tantôt
groupés en puissantes colonies, au Brésil
notamment. Le capital libanais, qui se constitue et
se renouvelle constamment en dehors du territoire
national, aide efficacement le pays, soit qu'il finisse
par rentrer par des transferts à échéances
régulières aux familles restées
"intra-muros", augmentant ainsi les disponibilités
en devises fraîches du Gouvernement et la circulation
de capitaux privés; soit qu'il se thésaurise
dans d'autres pays, permettant ainsi aux Libanais
de servir leur pays, par des opérations commerciales
rapides sur d'autres marchés, évinçant
la concurrence grâce à l'entrée
en jeu immédiate de ces fonds.
Le Liban, comme on le voit, gagne sur tous les tableaux.
En 1956, un décret-loi vint opportunément
garantir le secret bancaire. Cette disposition si
importante pour les intérêts du pays,
passa presque inaperçue dans la presse internationale,
bien qu'elle classât le Liban en tête
des nations du Moyen-Orient dans le domaine financier,
en consacrant ce pays comme le réel coffre-fort
de la Méditerranée orientale.
Grace
à cette mesure, à l'instar de celle
régissant le fonctionnement du coffre-fort
suisse en Europe, le Liban garantissait le capital
étranger de toute influence et de toute ingérence
indiscrètes. Cette invitation à l'investissement
étranger dans une terre de liberté et
de tolérance économique, permettra au
pays de devenir dans ce coin de Méditerranée
un havre sûr; et le déclin de la zone
internationale de Tanger, à l'autre extrémité
de cette même Méditerranée, est
un atout supplémentaire que le Liban met dans
son jeu. Tout comme en Suisse, les coffres-forts de
Beyrouth, comme ceux de Zurich, encaissent chaque
jour plus qu'ils ne dépensent. Les cheiks,
les sultans, les émirs, de Kuweit à
Quatar, les industriels et hommes d'affaires de Syrie
et d'Egypte, les rois et roitelets du pétrole
même, préfèrent bénéficier
de la sécurité bancaire du Liban que
courir les aléas d'une thésaurisation
chez eux.
L'Opinion
d'un Economiste
Ne
dit-on pas familièrement que "lorsque
le bâtiment va, tout va"? Le progrès
de la construction à Beyrouth représente
encore un indice de l'essor du pays. On le voit, il
serait erroné pour s'en convaincre de se cantonner
dans l'étude des budgets ministériels.
Un économiste belge, engagé par le gouvernement
libanais pour émettre une opinion d'expert
sur l'économie du pays, n'affirma-t-il pas,
renonçant à poursuivre son travail,
que le Liban se trouvait en état de faillite
perpétuelle?
Cet
économiste n'a pu comprendre que le fond de
la vie économique libanaise repose sur d'autres
assises, invisibles, introuvables dans les livres
des budgets ministériels, néanmoins
existantes. Les spéculations internationales
pour lesquelles les Libanais montrent une prédilection
et une aptitude certaines, - (vendre la cargaison
d'un bateau libérien au gouvernement de Panama,
pour encaisser des dollars destinés à
acheter en Belgique des marchandises pour l'Egypte,
est une opération courante qu'ils peuvent traiter
sans même quitter leurs bureaux de Bab Idriss)
- leur rapportent des sommes considérables;
d'autant plus que, méfiants en matière
financière, ils aiment investir à grands
risques, mais à courts termes, ce qui leur
permet d'exiger des intérêts élevés.
Au
rythme de ces bénéfices dont profite
indirectement l'Etat, s'ajoutent les devises étrangères
dues au tourisme, les rentrées des ressortissants
d'autres pays orientaux qui élisent le Liban
comme leur domicile stable, les transferts des émigrés
et enfin, les redevances de transit des "pipeline"
d'Iraq a Tripoli, d'Arabie Saoudite à Saida.
Ces redevances, se chiffrant à des millions
de Livres libanaises, ne sont point à dédaigner.
Le Gouvernement les augmenta encore l'année
dernière, et le ministre Saeb Salam, grand
maître des affaires pétrolières,
me commentait cette politique gouvernementale en me
disant: "Le Liban ne pourrait s'identifier avec
l'image évoquée par ce proverbe arabe
qui dit: ...malheureux comme ce chameau, chargé
d'outres, qui meurt de soif…''"!
Voilà
les clés qui peuvent nous faire comprendre
la prospérité libanaise à l'heure
actuelle.
Les
Festivals libanais: de Baalbeck à Byblos
Le
Liban ne s'est point contenté d'élever
le niveau culturel de ses habitants par un enseignement
soutenu, comportant, nous l'avons vu, les divers degrés
d'écoles et de lycées; il a voulu s'affirmer
dans le domaine international en choisissant d'emblée
la manifestation culturelle la plus complexe, la plus
hardie: le festival. Vouloir s'imposer à l'attention
des autres peuples et de ce fait, se soumettre à
la critique et au jugement d'aînés qui,
dans le domaine théâtral et dramatique,
vantent des traditions assises sur des montagnes de
lauriers, était peut-être ambitieux.
Néanmoins, le Liban se taille déjà
une place remarquée dans l'émulation
idéale qui met en lice les nations traditionnelles
de la musique, par leurs manifestations de Salzbourg,
de Florence, d'Avignon, de Rome, etc.
Le
festival, au Liban, est entré dans la vie culturelle
du pays par la grande porte; et le cadre majestueux
de Baalbeck, judicieusement choisi, a contribué
d'une manière certaine au succès de
cette initiative.
Au
seuil de sa troisième année d'expérience,
le Festival de Baalbeck a reçu Corneille, Giraudoux,
jusqu'à Cocteau, pressente les théâtres
français et anglais, entendu les concerts symphoniques
des grands orchestres européens.
Faire retentir toutes ces voix au seuil du désert,
dans un décor d'Orient aussi beau, attirer
les foules nationales et étrangères,
est une démonstration qu'en jargon politique
on qualifierait "de force",mais que dans
le langage de l'esprit on pourra qualifier de vitalité
créatrice.
Le
théâtre et la musique se croisent plus
volontiers au Liban que les fers, et c'est l'indice
d'une nation évoluée. Le Festival de
Baalbeck, dans sa prochaine édition, comportera
aussi des éléments du folklore national:
la danse et le costume, qui y trouveront un motif
de renouveau et de réaffirmation. Il est question
de dédoubler ce festival par une initiative
qui a déjà ses partisans: un festival
de la Mythologie dans le cadre millénaire de
Byblos.
Innovation
certaine car, que je sache, aucune nation n'a jamais
tenté de faire revivre par des tableaux vivants,
les aspects poétiques ou dramatiques de la
mythologie païenne. L'Italie avait, avant la
guerre, représenté des danses grecques
à Agrigente, mais l'initiative de Byblos se
développerait à une échelle plus
vaste. Initiative enthousiasmante qui permettrait
de décerner un prix d'humanisme au Liban.
Souhaitons
pouvoir suivre le développement de cette manifestation
dans sa phase concrète.
Le
Liban est à voir sur place
Tout
ce qui précède, sans être de la
vaine littérature, je l'espère, reste
toutefois une évocation abstraite, une esquisse
incomplète. Les mots ne valent que pour autant
qu'ils se traduisent dans la réalité.
Aussi, le lecteur l'aura déjà compris,
c'est au cours d'un voyage au Liban, que ces pages
prendront vie.
Le
Liban sur papier n'est qu'une image imparfaite. Une
croisière en Méditerranée orientale
aboutit nécessairement sur les rivages de l'ancien
royaume des Cèdres: passez donc cette porte
de l'Orient, que les Libanais conservent ouverte depuis
des siècles afin de vous y recevoir.
Petit
Lexique vestimentaire du Folklore libanais
-
Abaya: Manteau rectangulaire dont les manches ne sont
pas taillées.
- Abba: Pardessus brun, blanc ou noir d'une coupe
droite et aux manches larges s'arrêtant aux
coudes.
- Agal: Torsade de fines cordes noires que les Orientaux
portent autour de la tête; encore en usage dans
les montagnes libanaises et dans la plaine de la Bekaa.
- Gambaz: Robe droite tombant jusqu'aux chevilles,
portée tout aussi bien par les femmes que par
les hommes. Elle est surtout portée par les
Kurdes au Liban et dans tous les pays orientaux.
- Henne: Matière rouge, ocre ou brune, appliquée
par les femmes orientales sur les cheveux, les mains
et les pieds. Ce produit de beauté n'est plus
utilisé au Liban.
Kab-Kab: (prononce ab-ab) Sorte de sabot de bois.
- Kaffia: Grand carré de tissu fin, généralement
blanc, qui se porte pose sur la tète et qui
est retenu sur le sommet par le Agal.
- Kohl: Cosmétique utilisé pour noircir
les cils et sourcils; dans les villes, les femmes
le remplacent par le rimmel.
- Kubran: Boléro ou veste ornementale, une
sorte de gilet porté par les hommes. Labbade:
Chapeau de paysan en forme de cône; il est fait
de poils de chameaux. Libas: Culottes longues (sous-vêtement)
que le paysan porte serré au mollet.
- Mendil: Echarpe ou voile utilisé par les
femmes musulmanes, recouvrant le visage et le front.
- Sherwal: Large pantalon bouffant qui se porte serré
aux genoux et jusqu'aux chevilles. Il est ajusté
à la taille et retenu par une large ceinture
d'étoffe, enroulée plusieurs fois autour
de la taille.
- Tantour: Ancien chapeau pointu porté par
les femmes libanaises de la haute société.
- Zouk: Tapisserie de soie tissée. Le village
de Zouk, qui exécute une grande partie des
travaux manuels de l'artisanat libanais, a donné
son nom à ce genre de travail.
- Masba-Ha: Sorte de chapelet dont les grains sont
en pierre d'ambre ou de toute autre matière.
Cette masba-ha se trouve dans toutes les poches et
dans les mains des vrais Orientaux, qui l'utilisent
comme simple passe-temps; elle est dépourvue
de tout caractère religieux.