Cette après midi j’ai rendez-vous à
la rue Allenby.
Si la
matinée fut pleine d’activité afin de
profiter de la fraîcheur de l’espérance
d’une journée, maintenant le temps prend son
temps. Ensuite, midi nous a chassé des rues
des places dans un éblouissement permanent,
venant du ciel, insoutenable à notre regard
comme de la terre gorgée de lumière,
vous renvoyant sa réverbération. La
vie semble ralentir dans une sorte d’économie
de geste et de parole. Laissant son azur de feu, bientôt
le ciel prendra ses habits profonds et somptueux du
soir. Aimablement les ombres s’allongent pour guider
notre itinéraire. Tiens, même un premier
souffle vient à notre rencontre.
Cette rue Allenby, fait écho en parallèle
à la rue Foch pour atteindre en montant la
place de l’Etoile qui dans une ronde modeste et charmante
vous invite à vous asseoir sur une chaise,
au coin d’une table d’un café trottoir. Ces
noms ajoutés au style du quartier, en art et
déco avec une touche orientale, vous emportent
vers un rêve d’autrefois du temps de….nos grands-pères,
ou encore plus de nos arrières arrière-grands-pères.
Pourtant dans sa rénovation, respectueuse du
passé, l’architecture nous chante des temps
nouveaux pleins de projets. Demain, s’ajoutera un
autre Café turc à un Café italien.
Une vitrine de mode venant Londres rivalisera à
une autre arrivée de Paris. Les plaques de
cuivres sur les entrées de portes annoncent
déjà la reprise des affaires. Au-delà
des vastes vitrines toujours propres, dans la fraîcheur
d’un air conditionné, le monde enchanteur de
la consommation se met à votre disponibilité
avec courtoise discrétion et une patience tranquille.
Des élégantes secrétaires parfumées
attendent le client, qui sûrement ne va pas
tarder, devant leur ordinateur de caisse scintillant
de couleurs vives aux chiffres mystérieux.
Quels sont vos désirs ?
Dans le luxe et l’abondance ils trouveront le chemin
de votre satisfaction. Vous voulez aller dans un projet
plus vaste avec de larges ambitions ? Le directeur
n’est pas loin dans la profondeur du magasin ou derrière
une porte capitonnée. Tout est disponible dans
la nonchalance d’une promenade musarde, aux caprices
de vos curiosités.
Les noms des maréchaux nous remémorent
des images figées dans la gloire d’une photographie
sépia. L’Anglais sur son beau cheval entre
dans Jérusalem «délivrée
». Sur fond d’Arc de Triomphe, le Français
descend les Champs Elysées lors du Défilé
de la Victoire. Il en oublie qu’il est trois fois
Maréchal ; de France, de Grande Bretagne et
Pologne! Tiens! Il y manque la note américaine.
Tous deux portent une belle moustache relevant la
noblesse de leur visage. L’Anglais avec un aspect
plus taurin tandis que le Français plus cep
de vigne. Nous n’avons pas entendu leur voix ou vu
leur attitude afin d’animer notre perception. Néanmoins
nous les imaginons volontiers comme des parents éloignés
dont les portraits trônaient au-dessus du lit
de nos grands-parents. Pour la génération
suivant ces noms se fixeront seulement sur les images
d’actualités ; un porte-avions et un pont au-dessus
du Jourdain.
Tout en laissant notre esprit méditer sur le
jadis, nous ne pouvons pas nous empêcher d’attraper
le naguère de ce quartier. C’était entre
deux cessez-le-feu non respectés. Beyrouth
était divisée militairement dans une
guerre civile qui semblait éternelle. Une floraison
de végétation luxuriante en marquait
la pérennité dans une abondance et une
vigueur surprenante de dynamisme silencieux.
D’où
venait ce figuier là?
Et ce
cette sorte d’arbre dont le fragile feuillage vert
monte jusqu’au sixième étage d’un immeuble
blessé? La fenêtre béante d’obscurité
lui servant de faire valoir, illustre le concert à
deux voix du minéral et du végétal.
Et ce tapis de genévriers, orné de ses
baies violettes qui monte à la conquête
des murs écaillant leur crépi, qui leur
donne cette ardeur foisonnante?
Plus
merveilleux, encore ces cascades de bougainvillées
sortant des blessures des maisons abandonnées
chantent leurs couleurs fuchsias. Par-dessus tout,
le ciel imperturbable rythmait les saisons. Ce n’est
pas pour rien que cette cicatrice de la querelle des
hommes s’appelait ; «La ligne verte».
Il est temps d’honorer notre rendez-vous ! Nous reprendrons
notre méditation enchanteresse après,
en début de soirée. Cependant nous ne
pouvons que remercier les rénovateurs du centre
ville, en particulier Monsieur Rafik Hariri, d’avoir
si bien marié l’ancien et le nouveau, le souvenir
et le futur, le minéral et le végétal.
Bien que l’homme dans ses activités penche
plus pour les surfaces planes où nos pas pressés
vont à la poursuite de leurs rêves, la
végétation demeure, patiente et taciturne.
Les murs ont repris leurs couleurs de jeunesse faites
de miel et d’or.
L’esprit
humain a maîtrisé le chaos de la vie
pour un ordre harmonieux.
- Beyrouth, Rue Foch-Allenby, la Nuit: >>
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la Vue << (2003-07-01)