La
Béqaa, un vaste jardin du Liban par Fulvio
Roiter, 1980, Conseil N. de Tourisme au Liban
La Béqaa est comme un vaste jardin entre le
versant oriental du Mont-Liban, qui y tombe presque
a pic, et le massif rectiligne de l’Anti-Liban,
qui s’élève au-dessus d’elle
par paliers successifs. La haute plaine de la Beqaa
(900 mètres d’altitude, 8 à 12
km de large) est un monde en miniature dont l’unité
s’affirme à travers la diversité
des paysages, des hommes et des dieux.
Ici, la géographie a tout façonné:
l’histoire, les modes de vie, l’activité
économique, voire les croyances, les mythes
et les rites, de la préhistoire à nos
jours. Car elle a fait de cet étroit couloir,
ouvert au nord sur la Syrie et au sud sur la Haute
Galilée, un lieu complexe et privilégié,
à la fois seuil de démarcation et terrain
de rencontre, passage naturel et foyer de convergences.
Une double pente, dont le faîte se situe dans
la région de Baalbek, ligne de partage des
eaux de confluence qui dévalent des crêtes,
détermine l’hydrographie de la Béqaa
et en modèle les faces contrastées.
Vers le nord, jaillissant presque miraculeusement
de la Source Bleue tant le paysage alentour est d’allure
lunaire, s’élance l’Oronte, fleuve
rebelle (Al-Assi). C’est un exemple unique d’une
rivière sortant toute formée du sein
de la terre. Elle ne tarde guère à s’enfoncer
en Syrie, sans être parvenue à vaincre
l’aridité du Hermel, rude région
poudreuse et caillouteuse à la steppe rabougrie.
Mais les techniques modernes d’irrigation et
le creusement de puits artésiens pourraient
rendre sa prospérité d’antan à
cette région propice aux pâturages. Elle
est aussi un terrain d’élection pour
les moutons et les chèvres que conduisent les
bergers à l’allure farouche qui n’hésitent
cependant pas à sacrifier leurs derniers moutons
pour l’étranger de passage.
Sur l’autre versant de la plaine, plusieurs
sources, non loin de celle de l’Oronte, donnent
naissance au Litani, l’antique Léontes,
maître-fleuve qui nourrit les sols gras et plantureux
de la Béqaa centrale et méridionale,
cette terre à blé qui fut l’un
des greniers de Rome. Les terres en friche et les
champs cultivés y forment un damier brun et
vert dont le panorama enchanteur, encore exalté
par les brumes matinales ou les teintes roses dont
se pare l’Anti-Liban au couchant, laisse une
impression inoubliable au voyageur qui débouche
du col du Baïdar. C’est peut-être
la région la plus riche du Liban, et en tout
cas la plus fertile. Champs de blé, d’orge,
de maïs alternent avec des plantations de betteraves
sucrières et des cultures maraîchères,
sans compter les vignobles et les arbres fruitiers
tels que pommiers, cerisiers, pêchers, pistachiers,
qui se sont beaucoup multipliés depuis une
trentaine d’années.
Un barrage construit en enrochement avec un bassin
de retenue pouvant emmagasiner 220 millions de m3
d’eau, celui de Karaoun, est venu récemment
multiplier les possibilités d’irrigation,
tout en fournissant de l’énergie hydraulique
à la centrale de Markaba, taillée dans
la montagne. C’est le plus important projet
hydro-électrique du Liban.
Le centre de recherches agricoles d’Ablah aide
les agriculteurs à moderniser leurs méthodes
d’exploitation, et de nombreuses coopératives
facilitent l’écoulement des produits,
souvent transformés par une industrie alimentaire
des plus actives.
Cette agriculture dynamique est épaulée
par de nombreuses fermes avicoles ultramodernes, dont
certaines ont recours à l’ordinateur
pour le dosage quotidien de l’alimentation des
poules pondeuses et des poulets destinés à
la broche. N’oublions pas l’élevage
des moutons à queue plate, déjà
fameux dans l’antiquité, les fermes laitières,
les haras de chevaux de pure race arabe, et la pisciculture,
d’introduction récente.
Parallèlement à cette richesse agricole,
et souvent en fonction d’elle, se sont développées
plusieurs industries moyennes: deux raffineries de
sucre, deux importantes sociétés viticoles,
qui produisent d’excellents vins, une usine
de montage de tracteurs, plusieurs fabriques de conserves
de légumes et de fruits, des industries fromagères,
etc…
Si la vie tribale encore proche du nomadisme marque
le caractère du Hermel, dans le centre et le
sud de la Béqaa les mœurs sont plus sereines,
rythmées par les saisons et leurs labeurs :
les villageois sédentaires, de diverses confessions,
cohabitent et coopèrent en paix.
C’est la ville de Zahlé, la fiancée
de la Béqaa, chef-lieu administratif et centre
économique dont l’action rayonne sur
toute la plaine, qui en coordonne les activités
avec sa zone industrielle et son centre commercial
et bancaire. Dans la verdoyante vallée encaissée
de sa rivière, le Bardawni, Zahlé est
dotée d’une étonnante enfilade
de restaurants, où l’on retrouve, autour
d’un mezzé, le sens des agapes antiques.
Chtaura, important nœud routier en piedmont et
étape traditionnelle pour les voyageurs en
route pour Baalbek ou Damas, rivalise avec sa voisine
dans les délices culinaires, tout en offrant
un éventail d’hôtels prisés
à la fois par les nouveaux mariés et
par les Beyrouthins en quête de quiétude.
Mais la Béqaa actuelle, méthodiquement
exploitée, ne saurait éclipser la Béqaa
historique, cette voie d’invasion classique
où, régulièrement, affluaient
les conquérants, remontant le cours de l’Oronte,
descendant du col du Baïdar. Nabuchodonosor,
Alexandre, Ptolémée, Agrippa, Antiochos
III le Séleucide, les Omayades et tant d’autres
y ont laissé des traces, plus ou moins durables,
plus ou moins profondes, dans le paysage, les mœurs,
les croyances. Et que dire des hauts personnages locaux
et des dieux du cru dont maints monuments énigmatiques
perpétuent mystérieusement le souvenir
: pyramide du Hermel, monumental autel rupestre de
Qabb-Elias, qui rappelle un peu le site de Petra,
temple monolithe de Ferzol, colonne de Ya’at,
temple d’Astarté au lac sacré
de Yammouné, censé receler de fabuleux
trésors dans ses souterrains, caverne de l’Ermite
où, dit-on, Saint Maron vécut au Vlle
siècle, sans parler des nombreux tells historiques
et préhistoriques non encore explorés
ou en cours de fouille, tel Kamed al-Loz.
La Béqaa, immémoriale terre sacrée,
avait déjà ses mystères irritants
et ses secrets bien gardés lorsque les Romains
la colonisèrent pour quatre siècles
qui l’ont marquée d’une profonde
empreinte, et l’on retrouve ici de nombreux
vestiges : temples, statuettes, inscriptions latines,
ponts, aqueducs, voies romaines, et autres sans oublier
les vestiges les plus consistants et les mieux conservés
dont l’important complexe de Niha et l’Acropole
Solaire de Baalbek. De l’époque des Omayades
persistent les palais et la ville marchande de Aanjar.
Etonnante palette de vert d’or et de brun, cette
plaine a vu défiler bien des peuples et des
conquérants.