Tanios Chahine par Joseph Sokhn

Chef révolutionnaire et fondateur de la première république en Orient 1815-1895

Le Kesrouan est une région excessivement pittoresque qui compte plusieurs centres importants de villégiature.

Il avait, déjà, attiré d'illustres voyageurs et orientalistes tels Flaubert, Lamartine et Barrès. Les descriptions qu'ils en firent laissaient présager ce que l'avenir devait réserver à cette belle région où se mêlent harmonieusement mer et montagne et où de nombreux éléments expliquent son charme et son originalité:

Les plages, la présence de sources thermales, les paysages naturels et les vergers de pommiers, poiriers, pruniers et autres arbres fruitiers.

Il suffira de citer le témoignage de Lamartine en 1832 et celui de Barrès en 1914:

"Je me suis levé avec le jour, j'ai ouvert le volet de bois de cèdre… jamais spectacle de montagnes ne m'a fait une telle impression. Le Liban à un caractère que je n'ai vu ni aux Alpes ni au Taurus; c'est le mélange de la sublimité des lignes et des cimes avec la grâce des détails et la variété des couleurs, c'est une montagne solennelle comme son nom, ce sont les Alpes sous le ciel de l'Asie, plongeant leurs cimes aériennes dans la profonde sérénité d'une éternelle splendeur''. (La-martine)

''Devant la mer immense et dangereuse, et dans ce climat consumé de soleil, ces montagnes portent des ombrages et des neiges. Bien plus, à tous leurs étages, elles offrent à la vénération de la terre et de la mer comme des ostensoirs, leurs chapelles, et sur tous les hauts-lieux, elles dirigent nos regards, soulèvent nos pensées vers le ciel. '' (Barrès)

Arrêtons-nous un instant pour voir comment Tanios Chahine, le paysan révolutionnaire du Kesrouan est arrivé à contrecarrer les projets des Cheikhs Khazen, maîtres de la région et à imposer la justice sociale et la démocratie avec une énergie peu commune.

Malheureusement, obéissant à des sentiments de rancune contre ses seigneurs, il n'hésita pas à commettre avec les paysans kesrouanais des assassinats et des actes de terrorisme.

A cette époque, vers 1856, l'anarchie se répandait dans la plupart des régions libanaises, les taxes et les impôts atteignirent des taux excessifs. Les paysans kesrouanais, à leur tour, furent persécutés par les Khazen, ils s'attaquèrent ouvertement non seulement à l'autorité du Patriarche maronite Boulos Massad qui soutenait les Cheikhs Khazen, mais aussi à sa personne et à sa vie.

Mais déjà au début de 1858, les échos des réunions secrètes des paysans kesrouanais pour une reforme générale, une nouvelle vie, une nouvelle conception du milieu paysan se faisaient entendre. La lutte contre la féodalité à laquelle participait Tanios Chahine, détermina la voie que devait suivre ce chef révolutionnaire, forma sa personnalité, lui donna cette position courageuse qui fut toujours la sienne.

Enfance de Tanios Chahine

Tanios Chahine est un paysan Kesrouanais né à Rayfoun en 1815. Son père était métayer chez les Khazen. Il avait un physique agréable, une haute taille et une étonnante force musculaire. Muletier et maréchal-ferrant, on prétend même qu'il travaillât au Collège Lazariste d'Antoura. Il était presque illettré, mais jouissait d'un bon sens rare et d'une intelligence supérieure. Il a été choisi par ses concitoyens pour conduire la rébellion contre les Khazen.

On le surnomma le ''chef de la jeunesse paysanne''.

Mais une fois le pied dans l'étrier, il sut orienter ses partisans issus en majorité des villages de Rayfoun, Achkout, Mayrouba, Mazaarat-Kfardebian, Ghosta, Jdaydeh, Dlepta et Zouk-Mikayel.

Sûr de sa force, il coopéra efficacement à la réussite de son mouvement et d'un nouveau plan aidant à contenter tous les paysans du Kesrouan. Il prêchait le changement démocratique par des réformes, oui, mais dans un but précis, le passage à la liberté et à la justice sociale.

C'est pourquoi il perpétra des actes de provocation contre les Cheikhs et envoya ses partisans tirer des coups de feu et semer la terreur à travers les bois durant la nuit. Les Cheikhs affolés fuyaient en abandonnant terres et logis.

D'autre part, Tanios Chahine avait des relations avec le consul de France et dialoguait secrètement avec un grand messager ecclésiastique du Patriarche pour le convaincre d'adopter ses projets et d'abandonner ceux des Cheikhs Khazen.

En quoi consistaient les revendications de Tanios Chahine?

Tout d'abord, abolition du droit des Cheikhs à délivrer les autorisations de mariage. Remboursement des taxes perçues. Interdiction aux Cheikhs de battre les paysans et de les soumettre à corvée.

Abolition du droit de la taille.

Restitution des taxes des trois années au cours desquelles le Kesrouan avait été dispensé du fait de sa collaboration à la victoire sur l'armée égyptienne en 1840. L'impôt perçu par les Cheikhs n'avait pas été versé au budget de l'Etat.

Versement par les Cheikhs Khazen des fortes sommes d'argent perçues en 1840 pour être payées aux volontaires qui ont combattu dans les rangs des troupes alliées.

Tanios Chahine demandait également au nom des paysans le droit de choisir eux-mêmes des représentants qui seraient placés à côté de l'administrateur pour contrôler la répartition des impôts.
Les Cheikhs désignèrent de leur côté un comité de trois membres qui se rendait à Beyrouth pour défendre leur cause devant les autorités ottomanes.

Toutefois, les revendications de l'union des paysans sous l'égide de Tanios Chahine n'eurent pas un résultat positif dans l'immédiat. Les Cheikhs furent invités un peu plus tard à rembourser les impôts. Ils s'exécutèrent mais en gardant une partie de la somme.

Fin de la révolte

Le 29 juillet 1860, grâce aux efforts louables déployés par le Patriarche Maronite pour mettre fin à la révolte des paysans kesrouanais, les représentants de 21 villages acceptèrent le retour des Cheikhs Khazen dans leurs foyers et dans leurs biens. Les Khazen à leur tour, oublièrent le passé et promirent à Tanios Chahine de faciliter sa tâche de chef des paysans et de réformateur. Tous les problèmes matériels entre eux et les paysans furent résolus.

Un tel résultat est dû a l'action habile de Tanios Chahine qui sut agir pour son propre compte, levant des impôts, acquérant une autonomie financière et des ordres au nom de la République du Kesrouan.