Du bon usage de la Franc-maçonnerie au Levant

En préambule je tiens à souligner que je ne suis d’aucun rite maçonnique. Même d’une certaine façon, je serais un traditionnaliste catholique messalisant en latin. Cependant comme toute personne, j’ai rencontré au bout d’un certain temps le phénomène maçonnique. Toutefois, dès que l’on pose le pied sur ce terrain, nous avons l’impression d’être environné d’une jungle très épaisse. Pour résumer succinctement, nous dirions quec’est un ensemble de communautés de sociétés secrètes,s’organisant par initiation. Elles ont une hiérarchie avec ses grades.A bien y réfléchir, je préfèrerais dire des fraternités discrètes. Tous ses membres ne se disent-ils pas frères ? Je n’insiste pas sur leurs opacités car qui veut se renseigner sur elles, le fait sans trop d’effort. Même, sur ce sujet, il y aurait un excès d’informations. Régulièrement les magazines hebdomadaires font leur couverture sur les Francs-maçons. Dans le titre, il y a toujours un côté fabuleux, afin d’attirer le chaland.

Personnellement j’y vois deux tendances générales et capitales ; la Franc-maçonnerie anglo-saxonne et la Franc-maçonnerie latine. L’une maintient le Grand Architecte et l’Immortalité de l’âme tandis que l’autre milite vigoureusement pour un athéisme intégral tempéré par l’humanisme.

La raison en est historique. Dans les îles britanniques au XVI et XVII siècle avec les Royaumes d’Irlande, d’Ecosse et d’Angleterre, il n’était pas facile de s’y retrouver entre les différentes particularités religieuses. À cela s’ajoutait à un changement dynastique. Les Tudor et les Stuart par leurs descendances rivalisaient. Avec des mouvements populaires quasiment telluriques, des particularités îliennes britanniques se différenciaient du continent européen.La parole de l’homme religieux ne faisait que traduire, avec le verbe, un état d’esprit déjà dominant.La très noble Ecosse devenait une sévère presbytérienne avec quelques trop rares notes de catholicisme. L’Irlande faisait du catholicisme sa pierre de touche, avec quelques familles protestantes dans un coin. Elles-mêmes, se partageaient entre puritains, presbytériens et anglicans. Quant à la souveraine, ou au souverain,du Royaume de la Rose, l’Angleterre, avait un grave problème de succession. Dans le domaine religieux, elle cherchait sa voie entre les pages du fameux « Prayer Book » et les « Quarante-deux articles ». L’Église épiscopalienne anglicane établissait ses assises. D’un côté sa théologie était plutôt calviniste tandis qu’elle gardait un peu plus de catholicisme dans sa liturgie et sa hiérarchie. Il faut se souvenir des controverses ardentes sur les surplis pour les officiants et le nombre de chandeliers nécessaires sur le maître autel. Actuellement, nous avons du mal à concevoir que ces signes puissent être des motifs de luttes mortelles. Sans compter que les Puritains n’étaient pas du tout d’accord. Ils voulaient retrancher tout décorum, même dans la rue ; le peuple chrétien devait se vêtir sobrement de noir, ne pas rire bruyamment et même sourire ironiquement.Ainsi se créait une atmosphère sévère et triste. Comment évoluer dans ces ensembles mouvants et incertains ? N’oublions pas qu’il y avait des sanctions,avec exécutions capitales tout de même. Le feu ou la hache avait la faveur des nobles. Une corde suffisait pour le reste. Cependant, afin d’avoir un minimum de terrain spirituel commun et d’évoluer entre gens raisonnables, se créa la Franc-Maçonnerie écossaise. C’est évident quand vous deviez aller d’un salon clanique d’Édimbourg, à la cour d’Hampton puis à Dublin. Il fallait à tout prix,éviter un séjour à la Tour de Londres. N’est-ce pas dans ce peuple remarquable que se dit le proverbe ; « Les Ecossais inventèrent Dieu pour avoir une conversation au niveau de leur intelligence ».En effet combien de personnes ramènent le concept divin aux dimensions de leurs frustrations ou de leurs ambitions. Le cavalier, noble bien souvent, le soir, tard, venant dans la campagne doit se loger. Il n’a pas trop le choix, dans la nuit qui s’avance. Une lumière lui fait un signe amical. Il rencontre un homme de qualité à son domicile. A qui a-t-il affaire ? Quels sont les sujets à éviter dans la conversation ? Quels sont ceux que l’on peut aborder sans crainte ? Ainsi nous comprenons les utilités des signes maçonniques. Depuis la grille d’entrée ou du heurtoir de la porte de la demeure, jusqu’au serrement de main de salutation. Par quelques indices, on pouvait savoir en face de qui vous étiez.

Pour l’Allemagne au début du XVII siècle et avant la terrible Guerre de Trente Ans, le mouvement Rosicrucien, associant la Rose Mystique et la Croix christique, avait ce même objectif. Toutefois, il visait un sens plus ésotérique et syncrétique. Néanmoins, jusqu’à maintenant, on n’arrive pas à savoir si son fondateur était Protestant ou Catholique. Certains prétendent même qu’il n’a pas existé. C’aurait été le nom d’un petit groupe d’universitaires voulant la réconciliation par une élévation spirituelle.

Pour le Royaume de France, durant les Guerres des Religions, depuis la Conjuration d’Amboise en 1560 jusqu’à la chute de le Rochelle en 1628, je n’ai pas connaissance de cette sorte de société de médiation intellectuelle. En dehors des officielles Jurandes des corporations des divers métiers, il se constitua bien, certes,des sociétés de Compagnons clandestines. Leurs buts à forte dominante professionnelle, n’étaient que le bel ouvrage avec ses mystères techniques et la répartition,avec paiement,des tâches. La Franc-Maçonnerie entra dans le Royaume des Lys par les Ecossais des Rois Stuart, Jacques I et II. Elle prospéra avec l’anglomanie du XVIII siècle. Est-elle la grande instigatrice de la Révolution Française ? D’après mes recherches, il apparaît que la Franc-maçonnerie était tellement généralisée que l’on ne peut pas lui attribuer ce cataclysme. Une pierre de touche : les Jésuites ; ils furent dissous bien avant. Leur premièreexpulsion du Royaume du Portugal date de 1759 et leur suppression totale par le Pape Clément XIV de1773. Si nous regardons vraiment les protagonistes des évènements dramatiques de la dernière décennie du XVIII siècle à Paris, nous pourrions y reconnaître un « complot » Suisse, en cherchant bien. Il s’ouvre avec Jean-Jacques Rousseau et se termine aux Tuileries avec le massacre des Suisses, le 10 Août 1792. Cette journée est totalement illégale ; véritable coup d’État. C’est la rupture totale entre l’Ancien Régime millénaire et le Nouveau Régime. Entre ces deux évènements,on croise les banquiers Neuchâtelois Perrégaux ou Genevois Necker, le colonel Besenval avec sa cavalerie, pis nous rencontrons Jean-Paul Marat de Neuchâtel lui aussi.

La véritable Franc-Maçonnerie latine se cristallisa au milieu du XIX siècle par un anticléricalisme forcené. Quand en 1873 la première Assemblée Nationale vota une loipour la construction de la Basilique du Sacré Cœur à Montmartre en expiation des péchés de la Commune de 1871,il y eut une totale opposition,encore minoritaire, certes mais profonde. On retient habituellement le Grand Orient dans son aspect d’anti-Église Catholique. En 1877, il refuse le Grand Architecte de l’Univers et l’Immortalité de l’âme. Cette opinion se transforme en dogme. Comme le ministre Aristide Briand le proclame toujours du haut de l’Assemblée Nationale lors de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905 ; « Nous avons éteint toutes les espérances du ciel ». Effaçons les crucifix des hôpitaux, des tribunaux, éliminons toutes références au christianisme dans le paragraphe des lois. En particulier vis-à-vis de la famille ; on prône le maximum d’individualisme que permet l’air du temps : divorce, émancipation des enfants, égalité entrel’époux et l’épouse,…l’avortement et l’interchangeabilité. On en arrivera à chasser les Congrégations religieuses du territoire de France. L’image la plus frappante fut l’expulsion de moines de la Grande Chartreuse des sommets des Alpes. La Franc-Maçonnerie était devenue plus intolérante et sectaire que l’Église qu’elle critiquait.

On dit que le Roi de Jordanie est le grand maître de la Franc-maçonnerie anglo-saxonne en Orient. Nous pouvons aisément le croire. Il ne faut pas être grand clerc pour le supposer. Par sa naissance et son éducation tout l’y porte. Par contre nous sommes obligés de constater que ce Royaume, au milieu du maelström du printemps arabe, évite les affrontements sanglants que vit son frère syrien. Certains jugeront cela naturel, en apportant des raisons fort compréhensibles ; les occidentaux le soutiennent, son armée est fidèle, et Israël est son voisin. Il serait facile d’apporter des raisons inverses ; les tendances de l’Islam sur son territoire ne sont pas moindres qu’ailleurs. Il suffit de remonter quelques décennies pour se souvenir du grave problème palestinien. Un Royaume en 2014 n’est-ce pas anachronique ? Son économie reste fragile. Il peut y surgir une crise sociale. Finalement les avantages et les inconvénients entre Damas et Aman s’équilibrent. Cependant je veux pousser plus loin mon regard. Dans une vision véritablement maçonnique, je pense que le Roi Abdallah II sait trouver un esprit commun aux diverses interprétations de l’Islam. Cet esprit de pouvoir vivre ensemble l’Islam sans penser exactement la même chose, doit servir à franchir des étapes délicates des émotions populaires.

En Syrie justement, il paraît que la Franc-maçonnerie anglo-saxonne était interdite, comme tout autre rite ou associations de libre pensée. Elles étaient vues comme des agents de l’étranger dans ses divers impérialismes. Par contre, le Bath voulant régénérer l’arabisme, tient beaucoup à une sorte de Franc-maçonnerie à la française ; le cléricalisme voilà l’ennemi ! Ils veulent être laïques. On nationaliste tout l’enseignement afin de recréer par l’éducation en arabe, le jeune arabemoderne. On veut être au-delà de l’alternative chrétien ou musulman. Les Frères Musulmans sont pourchassés plus que de raison. Il y a trente ans, ils se soulevèrent. Ils furent écrasés. Une idéologie intolérante sert de prétexte à une dictature de plus en plus impitoyable. D’ailleurs avec le temps, on se satisfait de la crainte tout en transigeant avec la doctrine étatique. On se libéraliserait…économiquement.Soudain par contagion arabe, une oppositions’exprime sans permission. Tous les vendredis, à la sortie des mosquées le phénomène s’amplifie.On désigne cela comme une marque de fanatisme renaissant. Des martyrs offrent leur sang. La bataille commence. On fait des sacrifices de sa propre vie. On en appelle à Dieu. L’atroce guerre civile commence. Elle s’accentue dans l’horreur des excès de la répression. La montée aux extrêmes se fait avec une rapidité sans hésitation. Nous sommes surpris du manque de liaisons ou d’intermédiaires entre les autorités et les opposants. Divers groupes islamistes, sunnites, entrent dans le combat. A la troisième année, les diverses tendances islamistes s’entretuent. Dans ce cas-là, nous sommes encore plus étonnés qu’il n’y ait pas un minimum de concordance entre tous ces opposants de même couleur confessionnelle. Il y manque vraiment une sorte de Franc-maçonnerie islamique. Dans ces tragiques contradictions,naturelles dans une guerre civile, nous aurions aimé qu’un certain équilibre pleinement conscient permette d’éviter le pire.

Souvent on imagine la politique comme un mécanisme complexe, difficile à saisir dans ses commencements et ses aboutissants. Certains veulent y voir une histoire secrète manipuler par des maîtres obscures. Ce serait la vraie histoire. Bien que je croie aux anges, aux diables et même aux miracles. Je prends en considération l’eau bénite. Allumer un cierge a son utilité. Tout cela ne m’empêche pas de voir l’agitation humaine dans toute sa simplicité. Décrire par un mot, plutôt que par un autre fait voir autrement, sans changer cette réalité-là. Celui qui se saisi d’une pelle, nous pouvons savoir à peu près ce qu’il peut faire dans les cinquante mètre autour de lui. Pour une pioche il en est de même. Celui qui prend le fusil, a une sensation d’un pouvoir extraordinaire. Il a confiance dans sa puissance redoutable. Pourtant,elle a aussi ses limites. Nous pouvons la chiffrer avec la hausse de visée de son arme et le nombre de cartouches. Un bateau de munitions à Lattaquié, nous savons déjàquels aspects elles prendront sur les villes syriennes. Il en est de mêmepour le 4x4 avec ses volontaires et ses rares munitions en caisses, s’introduisant en Syrie. Dans l’arrestation et l’interrogatoire poussé d’un homme ou d’une femme nous pourrions presque en écrire le procès-verbal dans son mensonge comme dans sa vérité, très cruelle. Ce que je note comme exceptionnel dans cette guerre-là ; c’est la volonté d’anéantissement de l’adversaire. Il est nié en tant qu’opposant. Nous retrouvons ces mêmes objectifs d’annihilations entre diverses factions islamiques.Chacun s’envoie en enfer, sans rémission. Dans cette ambiance, il est facile de voir qu’un gouvernement d’union nationale, de réconciliation est du domaine de l’utopique.Alors n’est-il pas possible d’envisager une conversation avec des gens d’un même courage sur un minimum d’humanité avec un minimum de cruauté, par une sorte de complicité tacite. Rendre la vie,vivable, supportable. Sans renoncer aux différences spirituelles on peut vouloir construire avec desaccords tacites.

Michel Rouviere