Avenue du Parc Beyrouth

Avenue du Parc Beyrouth

Beyrouth est d’une beauté chaotique. Impossible de l’embrasser d’un seul coup d’œil. Beyrouth est fondamentalement déroutante. Ecartelée entre l’orient et l’occident, mais aussi entre son passé et son présent, cette ville à plus d’un visage. Beyrouth a surtout un œil tourné vers le futur, Phénix acharné à renaitre de ses cendres. Et c’est le cas de le dire! Parce qu’entre les quartiers de Minet el Hosn et de Saïfi est apparue au milieu de nulle part – en bord de mer – une certaine avenue du parc, érigée à l’allure d’une sims city et devenue aujourd’hui la skyline beyrouthine.

Texte Gilles Khoury - Aishti

Initialement, ce quartier n'était qu'une tache d'eau – parce que recouvert par la mer - où les poutres en bois, les yachts et les voiliers venaient mouiller. Et puis la guerre civile. Les quatre millions de mètres cubes de déchets inorganiques provenant de ces "événements malencontreux du passé" (façon pudique d'évoquer la guerre) furent déversés sur cette parcelle. Et pendant une quinzaine d'années, toute l'âme de Beyrouth s'est retrouvée nichée entre ces piles de pneus, ces carcasses de voiture, ou ces restes de vie. Ce n'est que bien plus tard que la société Solidère les reconvertit en terrains à aménager, bordés d'un front de mer / promenade baptisé l'avenue du parc ou selon le nouveau mode d'appellation anglo-saxon, "Park avenue".

Aujourd'hui, ce secteur ressemble à un énorme chantier en perpétuel mouvement, une sorte de fourmilière géante dans laquelle des hommes couverts de casques jaunes font pousser les immeubles comme des champignons. Cet espace est aussi un ground zero, un point de départ qui repose sur le cadavre d'un passé (peu) glorieux, un lieu improbable qui fait se rejoindre les mondes et ou les époques se télescopent. Parce qu'ici, tout est neuf, moderne, tout pousse sous le regard austère et aigri des squelettes d'ex bâtiments mythiques beyrouthins. Et quand on y prend pied, c'est un étrange paysage qu'on découvre: incessant mouvement des grues qui lèvent les bras vers le ciel, noria des camions, autoroute à plusieurs voies ou les nouvelles berlines sont comme des jouets d'enfant. Très film de science fiction. Les projets les plus fous se succèdent. On ne sait si ce sont de simples idées jetées en l'air ou des chantiers déjà lancés, mais en tous cas, ils se hérissent de tours qui chatouillent les nuages. Des presque gratte-ciel dont les loyers, extravagants, atteignent parfois les quinzaines de milliers d'euros mensuels. Des bulles de luxe, rêves d'oligarques arabes qui recherchent un peu plus d'humanité, d'âme et de fraicheur. Des princes venus des pays du Golfe, et prêts à tout pour avoir un pied à terre dans ce quartier, quitte à louer des chambres sur une année dans les hôtels environnants. Justement, ce n'est pas une coïncidence que l'Avenue du Parc relie le centre-ville à ce qu'on appelle le quartier des hôtels. Et d'hôtels, il y en a à la pelle. D'une part les légendaires Phoenicia, St Georges et Holiday Inn (dont il ne reste plus grand-chose) et d'autre part ceux qui sont venus s'ajouter à la liste. Parce que dans sa quête de gigantisme et de flamboyance, Beyrouth s'est dotée d'un nouvel atout pour attirer la clientèle fortunée. Sont venus se poser sur ce front de mer le Monroe, le Hilton en construction et tout récemment le Four Seasons avec ses 26 étages dont l'architecture contemporaine est a mi-chemin entre celle d'un Empire State Building et d'un Burj el Arab dubaiote. Deux autres tours résidentielles – notamment - se disputent également les cieux: la Marina et la Platinum tower ou s'est tenue dernièrement une exposition des œuvres de Marc Quinn. Ces deux tours affichent chacune I50 mètres de haut et une identité typiquement californienne avec leurs baies vitrées bleutées qui reflètent le Beyrouth d'avant. En perspective, l'avenue du Parc a clairement substitué une construction verticale à la structure horizontale, esplanade sur laquelle cet extraordinaire projet à été monté.

A ce cadre grandiose, piqué de gratte-ciel signés par de grands noms de l'architecture moderne et contemporaine, le quartier ajoute deux avenues bordées de vitrines réjouissantes, une promenade pour amateurs de vert comme de bleu, bikers, joggers, lovers et surtout shoppers. Parce que Beyrouth se découvre depuis un certain temps comme un véritable eldorado du logo. Et c'est bien le cas dans ce quartier du Parc que les griffes du luxe et de la mode n'ont pas épargné. A la manière de Sex and the city ou de Pretty Woman, on voit de partout des filles noyées sous les gros sacs de shopping, se ruant sur la dernière robe Alexander Wang de chez Plum ou les Golden Goose dernier cri chez Taten. L'avenue du Parc est aussi et surtout un quartier d'hommes, un triangle des Bermudes de la mode masculine entre Brioni / Tom Ford / Paul Smith, les salles d'expositions de Porsche ou Infiniti et la Marina du Saint-Georges où l'on frime avec les yachts les plus somptueux. Le luxe atteint finalement son point culminant avec de grands noms de la restauration qui s'installent dans ce quartier. Avec le Balthus, Soho, le Mybar, le Mandaloun-Sur-Mer ou les restaurants du Four seasons et du Phoenicia, le secteur du Parc satisfait les palais les plus exigeants.

Comme dans les grandes villes arabes et notamment Dubaï, a se promener dans ce quartier, on tomberait facilement dans le cliché ressassé d'une ville qui se travestit en usine, une ville en quête uniquement de fortunes étrangères à s'injecter. Effectivement, certains diront que cet univers impitoyable n'a fait que se déguiser sous quelques diamants. Mais à Beyrouth on croit vraiment à cette rédemption par le luxe et la culture. La culture justement dans laquelle la ville se cherche une nouvelle âme. Le BEC (Beirut Exhibition Center) en est l'emblème, avenue du Parc. Une sorte de White Cube, les pieds dans l'eau, dont la structure en miroir est un lego de façades coulissantes sur lesquelles se reflètent des monstres sacrés de l'art contemporain. Ce projet est le dernier né d'un complexe de bâtiments publics dont le principal est de BIEL (Beirut International Exhibition and Leisure Center) où se tiennent depuis plus d'une décennie d'importantes foires et autres forums. Au sein de ce spacieux complexe brille de mille feux le SkyBar, une boîte de nuit sur rooftop, classée parmi les plus célèbres au monde.

L'unique bémol, peut-être la seule chose qu'on pourrait reprocher à ce secteur est son aspect aseptisé, un peu trop parfait, voire artificiel. Contrairement à la Corniche ou se juxtaposent les mille et une âmes de Beyrouth, l'avenue du Parc se fige - à l'image de son architecture - dans un souci de perfection qui en devient presque monotone. C'est peut-être pour cette raison que la société de construction et de réaménagement Solidère s'est lancée dernièrement un défi charmant: celui de reconstituer la marina beyrouthine dans son esprit authentique, celui des années 60 et 70. Baptisé sous le nom de Zaituny Bay, ce projet consisterait à (re) donner une âme à cette espèce de Croisette qu'est le secteur du Parc. Essayer, coûte que coûte, comme tous les Libanais le font depuis I990 de refaire vivre cet Age d'Or de l'Avant-guerre. Nostalgie ou crainte de se renier, on ne le saura jamais, mais là réside le secret de cette force étrange qui finit toujours par soulever des montagnes.