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Joined: 09 Mar 2007 Posts: 529 Location: Jbeil Byblos |
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Splendeurs du Liban |
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Splendeurs du Liban
Pour moi, après douze années, je ne connais guère de matin où je ne regrette point de ne pas me réveiller là-bas. Je me souviens d'une de ces journées commencées au ras des flots, dans la torpeur des géraniums et des oranges. Une heure suffisait pour me transporter sur un balcon montagneux où mes pieds plongeaient dans la neige. Que l'air était pur, là-haut! Qu'il faisait bon vivre! Que l'on se sentait d'appétit ! Le brouillard qui s’accumulait peu à peu nous séparait du reste du monde. Les cloches d'un couvent voisin semblaient celles du Paradis. Pourquoi ne pas demeurer ici? A quoi bon redescendre? Il est vrai que, plus d'une fois, je ne suis pas redescendu, ce jour-là du moins. J'ai attendu le lendemain, ou même la semaine suivante. La nuit, quand je me réveillais, j'avais, pour me rappeler l'endroit où j'étais, la chanson des cascades. Cet endroit, je ne prendrai même pas la peine de le nommer. Tant d'autres lieux, dans le Liban, lui sont semblables! Chaque montagne porte sa grappe de villages où il suffit de s'asseoir au hasard pour se sentir un cœur plus vaste et une âme moins compliquée.
Et c'est maintenant enfin que nous allons pouvoir le mieux te contempler et te connaître, douce somptuosité du Liban. De quelles splendides soieries le crépuscule est-il en train de te teindre! Ce ne sont que turquoises, que pourpres, qu'améthystes superposées. La légère brise du soir s'élève et fait frissonner les palmiers. Elle avive, dirait-on, le murmure des eaux courantes. Il en est non loin d'ici, très exactement à Ain Zhalta, au prés desquelles je vous convie à venir vous asseoir, ne serait-ce que quelques minutes. Je vous en prie, ne me refusez pas. Ce n'est plus le promeneur, en effet, c'est l'auteur qui vous implore. Consentez à sa vanité ce mince sacrifice. C'est comme à la foire, on ne paie qu'en sortant, et si l'on est satisfait.
Sur la gauche du chemin qui nous ramène à Beyrouth, il ne s'agit d'ailleurs que d'un bref crochet. Mais, dès que nous aurons quitté la route, vous allez vous apercevoir que le paysage, tout à coup, va se transformer. La végétation va disparaitre. Nous allons pénétrer brusquement dans un Liban inattendu, un Liban de roches fauves, de cette teinte particulière qu'a la peau du lion.
Les gigantesques cimes se profilent sur le ciel avec la netteté d'une corniche qu'on croirait pouvoir toucher de la main. L'air raréfié des montagnes donne à chaque détail un relief, une précision à l'emporte-pièce que je n'ai jamais observée ailleurs, ni dans les paysages les mieux éclairés des Maures et de la Catalogne, ni au Sahara... Qu’en dites-vous? Est-ce assez réussi, comme désolation? Ah! Sacrée femme, va!
La mortelle que je me permets de traiter d'une façon aussi cavalière n'est autre qu'Athelstane, châtelaine du Kalaat-el-Thara, dont vous ne verrez jamais le château, bien qu'il se dresse tout prés d'ici. J'en garde trop jalousement le secret dans mon cœur, ainsi que l'image de sa propriétaire, cette femme que j'ai tant aimée, parce que pour lui donner naissance, je n'ai eu qu'à obtenir de mes belles amies d'alors, les dames libanaises, l'aumône d'un peu de leur grâce, de leur mystère, de leur langueur, de leur beauté.
Pierre Benoit - De l'Académie Française
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